Résumé
Le 7 avril 2015, l’élysée annonçait la déclassification de documents émis entre 1990 et 1995 par la présidence de la République et concernant le rôle de la France au Rwanda. Il est trop tôt pour dire si cette décision représente une véritable avancée sur le chemin de la vérité ou s’il s’agit d’une simple opération de communication pour atténuer l’impact de révélations sans cesse plus nombreuses. Une chose est sûre : les dirigeants français, longtemps suivis par l’immense majorité des médias, n’ont jamais cessé de défendre une version falsifiée de l’histoire. Après avoir exposé dans le précédent numéro les grandes étapes du travail des chercheurs pour reconstituer les faits, cette seconde partie entend éclairer les motivations politiques et géostratégiques d’un tel acharnement dans le déni.
Texte intégral
- 1 Patrick de Saint-Exupéry, Complices de l’inavouable. La France au Rwanda, Paris, Les Arènes, 2009.
1Lorsqu’on évoque la complicité de la France avec les génocidaires rwandais, la virulence du déni est, dans le pays, d’autant plus forte que ce sont les plus hauts responsables politiques et militaires, aidés par des mercenaires et des institutions financières, qui ont trempé dans cette infamie. Sur la couverture de la réédition de son ouvrage (Complices de l’Inavouable), Patrick de Saint-Exupéry fait apparaître, comme un nouveau « J’accuse ! », une trentaine de noms de dirigeants qui veulent faire endosser à la France la responsabilité de leur faute, la diluant dans un « on » national qui les dédouanerait mais que récusent à bon droit les citoyens éclairés sur la question1.
- 2 Sur son rôle et son empressement à soutenir Habyarimana, lire Human Rights Watch, Fédération intern (…)
- 3 François Mitterrand, dans Le coup d’État permanent, Paris, Plon, 1964, dénonçait une dérive dictato (…)
- 4 Cet aspect, fondamental, est souligné dans le titre de l’ouvrage de Benoît Collombat et David Serve (…)
- 5 « Jean Sarkozy candidat pour prendre la tête de l’EPAD », Le Monde, 8 octobre 2009.
- 6 « Sur le Rwanda, Jean-Christophe Mitterrand est l’œil, l’oreille et le porte-voix de son père. Dans (…)
- 7 Jean Lacouture, Mitterrand, Une histoire de Français, 2, Les vertiges du sommet, Paris, Seuil, 1998 (…)
2Au sommet de la chaîne de responsabilités se trouve François Mitterrand, président de la République durant la période clé de 1990 à 19942. C’est lui qui a mené la politique étrangère de la France, avec un goût du secret et de l’opacité dans la plus grande tradition de la Ve République qu’il a pourtant dénoncé durant toutes les années où il fut dans l’opposition3. Car il s’agit bien, au Rwanda, de guerre secrète4, d’engagement militaire sans contrôle parlementaire et encore moins citoyen, décidé avec une poignée de conseillers dans ce que l’on nomme la cellule africaine de l’élysée. On a beaucoup glosé sur l’affaire Jean Sarkozy à qui son père dans un élan de népotisme irrépressible voulait donner la gestion de l’EPAD de la Défense, alors que ledit Jean Sarkozy n’avait aucune qualification particulière pour la fonction5. Que penser alors d’une diplomatie africaine confiée par le président François Mitterrand à son fils Jean-Christophe, de 1986 à 1992, dont les qualifications n’étaient guère plus probantes mais dont le rôle de relais auprès de la famille Habyarimana fut semble-t-il déterminant dans les relations entre la France et le Rwanda6 ? Réseaux, clientélisme, népotisme, même chez les biographes les moins mal intentionnés, la persistance des tares de la Ve République sous Mitterrand est soulignée : « Mais au sommet de l’État, les amitiés anciennes […], le système des clientèles et des réseaux est le plus fort. Dans le meilleur des cas, cela donne, en trois coups de téléphone, un redressement du cours du café ou du cacao en Afrique occidentale. Dans la pire des hypothèses, cela mène à une certaine implication dans le processus qui conduit à un génocide7 ».
- 8 Jean-Pierre Cosse, Alain Juppé et le Rwanda, Paris, L’Harmattan, 2014.
3Autour de Mitterrand, un cercle restreint d’hommes politiques est directement concerné par le dossier rwandais. Hubert Védrine, secrétaire général de l’élysée, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères8, Dominique de Villepin, son directeur de cabinet, partagent la même ligne diplomatique et défendent encore aujourd’hui la politique menée durant cette période. édouard Balladur, Premier ministre, et François Léotard, ministre de la Défense, contestent le degré d’engagement de la France qui a prévalu avant leur arrivée aux affaires et tentent d’infléchir la ligne dure de l’exécutif. On voit qu’à la situation inhabituelle de cohabitation s’ajoutent des querelles de clans au sein de la droite, les balladuriens et les chiraquiens s’opposant à l’époque, dans la perspective de l’élection présidentielle de 1995. Du côté militaire aussi, un nombre très restreint de hauts gradés joue un rôle déterminant auprès du pouvoir exécutif : le général Quesnot, chef de l’état-major particulier du président, le général Huchon, son premier adjoint, l’amiral Lanxade, chef de l’état-major des armées. Tous participent, par leurs informations et conseils, à la définition de la politique qui a prévalu au Rwanda. Ces personnages étaient les plus hauts responsables politiques et militaires en 1994. La chaîne de commandement décroissante se poursuit avec les responsables de la mise en œuvre sur le terrain de cette politique, impliquant militaires, ambassadeurs, mercenaires, institutions financières ayant facilité des livraisons d’armes…
- 9 L’accord d’assistance militaire et technique de juillet 1975 entre la France et le Rwanda a été pré (…)
- 10 Motivations reconnues par la mission d’information parlementaire.
- 11 Alison Des Forges, Aucun témoin…., op. cit., p. 142.
- 12 Mais cette volonté traverse les siècles. Elle est comme consubstantielle à l’État moderne. Déjà, lo (…)
- 13 Ce « syndrome de Fachoda » est notamment évoqué dans le rapport de la mission d’information parleme (…)
4Quelles furent les lignes directrices de cette politique qui a plongé la France au cœur de la « nuit rwandaise » ? Pour le comprendre, il faut la replacer dans le cadre plus large de la politique étrangère de la France à l’égard de ses anciennes colonies africaines, ce qu’il est d’usage d’appeler la « Françafrique ». Après la décolonisation, essentiellement en 1960 pour l’Afrique subsaharienne, tous les gouvernements successifs se sont ingéniés à maintenir les anciennes colonies dans un système de dépendance et d’influence française, notamment par le biais d’accords de coopération. Le Rwanda est un cas à part puisqu’il ne faisait pas partie du domaine colonial français mais était une ancienne colonie belge. L’ancienne puissance tutélaire perdant de son aura dans ce petit pays, la France a avancé ses pions vers cette partie orientale de l’Afrique, cherchant à y supplanter la Belgique dès les premiers mois de l’indépendance9. Derrière cette décision, on retrouve les mêmes motivations que celles qui ont toujours prévalu dans les relations entre l’Europe et l’Afrique10. Il s’agissait de disposer d’une base solide pour gérer les crises potentielles au Zaïre11, le grand état voisin particulièrement riche – contrairement au Rwanda – en ressources minières. Il s’agissait également de tenir son rang dans le concert des nations, obsession aussi bien partagée par Mitterrand que par de Gaulle ou Giscard12. à cet égard, le Rwanda avait une position de tête de pont de la francophonie face à l’espace africain anglophone. Il est souvent fait mention dans la bibliographie du « complexe de Fachoda » : presque un siècle après que Marchand dut faire place à Kitchener – mais il est vrai que militaires et politiques à l’ancienne sont hommes à cultiver traditions et mémoires conflictuelles – l’état-major voyait l’occasion d’une revanche dans la mainmise sur ce petit pays des Grands Lacs13.
- 14 Sur ce point crucial, le rapport de la mission d’information parlementaire maintient la fiction sel (…)
- 15 Voir les chapitres consacrés à Paul Barril dans Benoît Collombat et David Servenay, « Au nom de la (…)
- 16 Ce point est objet de controverse. Il n’est pas exclu que la rivalité franco-anglophone ait été à s (…)
- 17 Voir plus loin le relais de cette propagande par Pierre Péan.
- 18 Général Quesnot, cité par Laure de Vulpian à partir des archives Mitterrand. Laure de Vulpian, Thie (…)
- 19 Jean-Pierre Chrétien, « Un demi-siècle de racisme officiel », dans L’Histoire, no 396, février 2014 (…)
- 20 C’est le point clé de la défense d’Hubert Védrine qui présente toutes les actions militaires frança (…)
5L’engrenage de la coopération mis en place, l’appareil d’État s’est montré incapable de faire machine arrière. La coopération s’est amplifiée jusqu’à permettre l’engagement direct14, mais inavoué, de nos troupes et de mercenaires15, auprès de l’appareil politico-militaire rwandais. Quand les réfugiés tutsi de l’Ouganda s’organisent dans le Front patriotique rwandais à partir de 1987, afin d’exiger leur droit au retour et défendre un programme démocratique sortant des schémas ethnistes, ils deviennent l’ennemi à abattre pour les autorités françaises qui les perçoivent comme des envahisseurs et comme des pions à la solde des Américains16. La lutte acharnée contre le FPR se fait donc au nom de la crédibilité de la France en Afrique : montrer à tous ses « clients » africains que la France tient ses engagements et qu’elle est capable de repousser l’invasion des troupes qui menacent un allié ; montrer aux Américains et à leurs alliés que la France maîtrise cette portion du territoire africain soumise aux luttes d’influence postcoloniales. La guerre ne pouvant se gagner sans une propagande idoine – d’abord à usage interne de l’appareil militaro-politique, puis en direction de la population17 –, la diabolisation de l’ennemi FPR va connaître des sommets rarement atteints dans l’histoire des intoxications politiques, sur le thème du tutsi « khmer noir18 », puis selon la terminologie racialiste reprise du programme politique de « révolution sociale » de Kayibanda19, le présentant comme génétiquement programmé pour le mensonge et la dissimulation. Pour toutes ces raisons, la lutte contre le FPR reste le premier objectif de la France engagée au Rwanda de 1990 à 1994, y compris pendant le génocide. La recherche d’un compromis dans le cadre des accords d’Arusha – sans cesse mise en avant par Hubert Védrine, le théoricien le plus retors de la défense de la diplomatie française au Rwanda – apparaît comme un alibi bien mince à l’aune de l’engagement sans faille des autorités françaises auprès des extrémistes hutu, avant, pendant et après le génocide20.
- 21 Benoît Collombat et David Servenay, « Au nom de la France »…, op. cit., « Les réticences de Pierre (…)
- 22 Ibid., « Un général français écarté pour avoir dénoncé l’engrenage génocidaire », p. 235.
- 23 « L’armée française a été exemplaire au Rwanda selon édouard Balladur », Le Parisien, 27 février 20 (…)
6Cet enfermement de la pensée dans un carcan erroné, aboutissement ultime de la politique françafricaine instaurée par De Gaulle et perpétuée sans discontinuité jusqu’à Mitterrand, n’était pas une fatalité. Chez les politiques comme chez les militaires, certains responsables se sont élevés contre la dérive de la politique française au Rwanda. Pierre Joxe, ministre de la Défense entre 1991 et 1993 a averti sans succès François Mitterrand contre l’engagement démesuré de l’armée française auprès du régime d’Habyarimana21. Le général Varret a refusé l’escalade militaire et a tenté d’appliquer de manière stricte la coopération des soldats français avec le régime hutu mais il fut « démissionné22 ». édouard Balladur occupe une place particulière dans cette affaire. Premier ministre de la deuxième cohabitation, avait-il les moyens de s’opposer à Mitterrand sur un sujet qui relevait du domaine réservé du président dans l’esprit des institutions de la Ve République ? On a vu plus haut qu’il a défendu une définition strictement humanitaire de l’opération Turquoise, ce en quoi il n’a pas été entendu. Peut-être en accord avec ce qu’il pense devoir être un homme d’État, il est en tout cas un des plus farouches obstacles à la reconnaissance de la complicité des autorités françaises de l’époque23.
- 24 Philippe Leymarie, « L’armée française malade du Rwanda ? », « Défense en ligne », blog du Monde di (…)
- 25 « Déjà en janvier 2003, le Forum social d’Addis-Abeba avait averti : “à la lumière du génocide rwan (…)
- 26 Auquel on reproche bien plus communément son passé d’extrême droite et ses fâcheuses accointances a (…)
7On voit que sont en jeu, entre autres, la place dans l’histoire d’un président défunt – âprement défendue par Hubert Védrine, gardien de la mémoire mitterrandienne –, et l’avenir politique d’un homme de premier plan, Alain Juppé. Mais c’est également la crédibilité de la diplomatie française qui est questionnée. Si la thèse de la complicité venait à devenir paradigmatique, quelle marge de manœuvre resterait-il au Quai d’Orsay pour intervenir en Afrique et maintenir le système françafricain ? La référence au Rwanda est permanente et le souci de ne plus prêter le flanc à de telles accusations est quasi obsessionnel dans le cadre de l’intervention française en Centrafrique24, comme elle l’était déjà au moment de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire en 200325. Les faits sont connus, têtus donc, et terriblement accusateurs. Comment concevoir alors qu’ils n’aient guère eu de conséquences tant sur le plan judiciaire – aucun haut responsable n’a été inquiété – que politique, comme en atteste le retour en grâce dans les sondages d’Alain Juppé ou la mémoire quasi immaculée de François Mitterrand26 ?
- 27 à l’exception notable des jeunes socialistes : le MJS, dans une déclaration publique du 25 février (…)
- 28 Page facebook de Marine Le Pen, 12 septembre 2011. La position du Front national est proche de cell (…)
- 29 Ou « colonisation informelle », without a flag disent les Anglo-Saxons. Voir Jean-Paul Gouteux, La (…)
8L’une des raisons principales permettant de comprendre l’impunité actuelle des responsables politiques réside dans la prise en charge de cette politique honteuse par les deux principaux partis de gouvernement de l’époque : de mars 1993 à mai 1995, la deuxième cohabitation encadre donc l’épisode rwandais et associe un président socialiste et un Premier ministre issu des rangs du RPR. Ce sont les mêmes partis ou leurs héritiers (le PS et l’UMP) qui sont aux affaires depuis 20 ans, et à l’exception notable de Nicolas Sarkozy qui a pu vouloir régler quelques comptes avec Alain Juppé, l’exécutif a toujours campé sur ses positions, avec d’autant plus d’aplomb que ses principaux opposants ne pouvaient pas lui reprocher d’avoir trempé dans des eaux troubles où eux-mêmes s’étaient aventurés. Le PS27 et l’UMP sont donc solidaires dans le déni parce qu’ils l’étaient dans la faute. On ne doit pas compter non plus sur le Front national – qui est aujourd’hui en passe de bousculer cette bipolarisation – pour reprendre à son compte la dénonciation de l’ignominie française au Rwanda, quand bien même l’affaire lui fournirait une belle occasion de fustiger le « système » et de railler « l’état UMPS ». En septembre 2011, à l’occasion de la visite officielle de Paul Kagame à Paris, Marine Le Pen s’insurgeait contre l’invitation par Nicolas Sarkozy d’un « dictateur », « insulteur de l’armée française28 ». Moins que les institutions, ce que protège ici le Front national, c’est avant tout l’armée et son action pour la défense du pré carré africain, d’autant plus en cohérence avec ses traditions qu’il existe une évidente continuité dans l’idéologie de certains cadres de l’état-major comme dans leurs méthodes de guerre, de l’Outremer impérial aux formes contemporaines de colonisation, sans colons ni drapeaux29.
- 30 « Rwanda : la France complice du génocide », Hebdo l’Anticapitaliste, n° 229, 13 février 2014, « L’ (…)
- 31 Alain Montaufray, « 1994, le génocide des Tutsis au Rwanda. 20 ans d’impunité en France », 6 avril (…)
- 32 Jean-Pierre Cosse, Alain Juppé et le Rwanda…, op. cit., p. 326.
- 33 Son communiqué du 9 avril 2014 juge « grave et regrettable » la décision du gouvernement français d (…)
- 34 Voir <www.placeaupeuple2012.fr>.
9Le Modem étant singulièrement muet sur la question, pour trouver une véritable critique politique de cette page particulièrement noire de la Françafrique, il faut regarder vers la gauche de l’échiquier ou vers la mouvance écologiste. Le Nouveau parti anticapitaliste (NPA, ex-LCR), à travers sa commission Afrique, est depuis longtemps très actif sur ce terrain, par ses manifestations et ses publications30. Le rôle joué par des transfuges de la formation trotskyste dans la fondation du jeune parti « Ensemble ! » explique aussi peut-être la place que cette question a occupée sur son site au moment des commémorations et de la polémique d’avril 201431. Prolongeant son hostilité résolue à l’ingérence française en Afrique, marquée notamment par l’opposition d’André Lajoinie à l’opération Turquoise dès 199432, le Parti communiste a, de son côté, fait preuve d’une belle ténacité dans le soutien aux chercheurs et aux journalistes engagés dans ce bras de fer avec les tenants de la vérité officielle33. D’une manière générale, le Front de gauche est favorable à la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’implication de la France au Rwanda, une demande qui faisait partie de la plate-forme programmatique de son candidat à l’élection présidentielle de 201234.
- 35 On peut y lire, notamment : « Il est aujourd’hui nécessaire d’aller au bout de cette démarche [de r (…)
- 36 Noël Mamère, « Pas à un paradoxe près, la France reconnaît le génocide des Arméniens, mais pas celu (…)
- 37 <http://noelmamere.eelv.fr/inauguration-a-begles-les-hommes-debout/>.
10Europe Écologie-Les Verts (EELV) est pareillement très impliqué dans ce combat pour la vérité. Le 16 janvier 2012, ce mouvement a publié un communiqué intitulé « Faire la lumière sur l’implication de la France dans le génocide rwandais pour renouer des relations décentes avec l’Afrique35 ». Noël Mamère (aujourd’hui en rupture avec EELV), une des figures emblématiques de l’écologie politique en France, est peut-être l’un des parlementaires qui communique le plus sur ce thème de la responsabilité française. Cette activité est manifestement liée à une bonne connaissance du dossier, comme en atteste un article récent posté sur son blog36. Maire de Bègles, le député écologiste a également souhaité que soit célébrée dans sa ville la mémoire des victimes de ce génocide. Le 30 novembre 2013, il inaugurait dans la chapelle de Mussonville, en présence de l’ambassadeur du Rwanda en France, une sculpture du plasticien sud-africain Bruce Clarke intitulée « Les hommes debout37 » : unique exemple en France, à notre connaissance, d’un lieu dédié aux 800 000 morts de la tragédie, ceux que Christiane Taubira n’aura pas pu honorer sur les lieux de leur martyre, en raison de la feinte susceptibilité d’un pouvoir prisonnier de son mensonge.
11Ces politiques qui « sauvent l’honneur » de la France ont beau ne pas être marginaux, ils n’en sont pas moins, tous réunis, largement minoritaires. En 2014, les élus du Front de gauche (essentiellement communistes) et ceux des Verts à l’Assemblée nationale sont au nombre de 33 : ils représentent ensemble moins de 6 % des députés hexagonaux. Autant dire qu’en l’état actuel des rapports de force, le législatif n’est pas en mesure de pousser l’exécutif à une salutaire révision de sa ligne officielle.
- 38 Sur le traitement lucide et rigoureux du génocide par l’Humanité en 1994, voir Laure Coret, Françoi (…)
- 39 Jean-Paul Gouteux, Le Monde, un contre-pouvoir ? Désinformation et manipulation sur le génocide rwa (…)
- 40 Voir notamment Christophe Ayad et Philippe Bernard, « Le Rwanda, une passion française », Le Monde, (…)
- 41 Jean-Paul Gouteux, La nuit rwandaise…, op. cit., p. 252-255.
- 42 « Rwanda, De très étranges missiles français », une de Libération du 1er juin 2012, relatif à un do (…)
12Les médias ont leur part de responsabilité dans l’acceptation par l’opinion publique du déni de la complicité dans le génocide des Tutsi. Il n’est pas possible de dresser un panorama exhaustif dans le cadre de cette étude, aussi nous bornerons-nous à quelques exemples saillants. Un regard sur la presse quotidienne permet de percevoir la complexité de la topographie éditoriale en temps de cohabitation où les positions ne recoupent pas parfaitement le clivage gauche-droite habituel. Il permet également de comprendre la perplexité du citoyen qui tente de se faire une opinion grâce à la presse. Ainsi avons-nous eu l’occasion de souligner les articles pionniers de Patrick de Saint-Exupéry, publiés dans un journal qui n’est pas un modèle d’objectivité par ailleurs, Le Figaro. De manière moins paradoxale et à l’autre bout de l’échiquier idéologique, l’Humanité, fidèle à sa tradition anticoloniale et anti-interventionniste, fut à la pointe de l’information avec son correspondant Jean Châtain qui continue encore aujourd’hui à alimenter la lecture critique des événements de 199438. Le Monde, qui occupait encore à ce moment la place de journal de référence – ou perçu comme tel par une grande partie de l’intelligentsia – fut sans doute, de par sa position même dans le champ médiatique, un des principaux organes d’intoxication, relayant sans critique la propagande des services de renseignement français39. Ce même journal, affaibli depuis par plusieurs crises de crédit tant financier que professionnel, a infléchi sa position sur les événements du Rwanda, notamment sous la plume de Philippe Bernard et Christophe Ayad40. Après avoir été l’un des piliers d’une forme de « désinformation pointue », alimentée notamment par le journaliste Stephen Smith41, le quotidien Libération a lui aussi connu une nette inflexion vers des positions plus critiques à l’égard des autorités françaises en responsabilité en 1994. Les apports de l’enquête du juge Trévidic et les éléments nouveaux sur l’attentat du 6 avril 1994 ont récemment été relayés par ce journal, figurant parfois même à sa une42.
- 43 Christophe Ayad et Philippe Bernard, article cité, note 40.
- 44 Christophe Ayad, qui a qualifié Onana de négationniste, s’est vu intenter un procès qu’il a gagné.
- 45 Dans les numéros 447 et 448 de Marianne.
- 46 Politis n° 1060, 6-12 juillet 2009.
- 47 Alma Rodinson, « Vérité “irréfutable”, vraiment ? », dans Politis, 26 janvier 2012. Voir la réfutat (…)
- 48 Jean-Paul Gouteux (sous le pseudonyme de Pierre Cougot), « Rwanda : la France et le génocide », Pol (…)
- 49 « Pendant trois ans (1990-1993), l’armée française a tenu à bout de bras les troupes d’un régime rw (…)
13Brouillant encore plus les pistes et justifiant l’idée de Christophe Ayad selon laquelle « le Rwanda rend fou43 », un regard sur les hebdomadaires met en évidence le rôle majeur joué par Marianne dans la propagation d’une position qui se voudrait patriote face à une nouvelle anti-France fantasmée mais qui n’hésite pas à donner la parole à un auteur que l’on peut qualifier de négationniste comme Charles Onana44. Ou à se montrer de mauvaise foi en encensant et démontant le juge Bruguière, dans deux numéros consécutifs, selon qu’il est question de son instruction éminemment politique de l’attentat du 6 avril 1994 au Rwanda ou de l’affaire de l’attentat du DC 10 en 198945. Plus étonnant encore, la posture devenue systématiquement complaisante à l’égard des autorités françaises d’un hebdomadaire qui pratique d’ordinaire un sens critique plus radical : Politis. Même si le doute commence à s’installer au sein de la rédaction de ce périodique situé à « la gauche de gauche », Politis a régulièrement diffusé dans ses colonnes des points de vue visant à minimiser l’implication française (ceux du sociologue André Guichaoua ou du responsable de MSF, Rony Brauman), sans jamais offrir un espace équivalent aux positions adverses (Survie, par exemple et tous les auteurs que nous avons cités dans la première partie). La revue a, de surcroît, offert une tribune, sans contradiction et largement disproportionnée, à Hubert Védrine, l’un des plus farouches thuriféraires de la Mitterrandie, par ailleurs bien compromis dans les événements puisqu’il était secrétaire général de l’élysée en 199446. Grave aussi nous paraît cet article d’un journaliste soi-disant indépendant – et dissimulé sous le pseudonyme d’Alma Rodinson – qui prétend contester, sur des bases d’une malhonnêteté intellectuelle tellement évidente qu’elle en devient ridicule, les conclusions de l’expertise du juge Trévidic47. Gageons qu’un tel acharnement a dû dérouter plus d’un lecteur de cet hebdomadaire qui relaya pourtant les premières incriminations de Jean-Paul Gouteux48 ! La totale contradiction de cette démarche avec les positions des mouvances dont Politis se dit proche (EELV et Front de gauche) est peut-être un signe d’indépendance, elle n’en reste pas moins aberrante. Il y a dans la ligne éditoriale de cette revue comme une incapacité, un verrou mental – somme toute compréhensible en d’autres lieux eu égard à l’énormité des faits – qui empêche tout relais des éléments qui accusent la France de la cohabitation mitterrando-balladurienne. Ce verrou n’existe pas au Monde diplomatique, qui a ouvert ses colonnes dès mars 1995 à François-Xavier Verschave, puis à Colette Braeckman et bien d’autres, offrant un suivi régulier et honnête d’un des dossiers les plus brûlants de la République49.
- 50 Il faudrait souligner en premier lieu combien le paysage médiatique a évolué en vingt ans, avec not (…)
- 51 Dans son éditorial daté du 7 avril 2014, Daniel Schneidermann contournait assez maladroitement la q (…)
- 52 François-Xavier Verschave, « Françafrique : les médias complices ? », février 2001, <acrimed.org>.
14Faire un panorama plus complet de la production des médias sur le sujet et mesurer l’évolution de l’opinion publique seraient l’objet d’une monographie de grande ampleur qui reste à écrire50. La lecture des sites spécialisés dans la critique des médias montre une nouvelle fois la diversité des approches concernant le Rwanda. Le site Arrêt sur images, animé par Daniel Schneidermann, est pour le moins frileux sur le sujet, comme s’il restait inabordable51. à l’inverse, le site Acrimed, vecteur d’une critique plus radicale des médias inspirée de Pierre Bourdieu, ouvre ses colonnes aux acteurs les plus engagés dans le combat contre l’impunité. Dans une approche plus structuraliste, le traitement du Rwanda par les médias y est relié à celui des relations coupables tissées entre les acteurs de la Françafrique et ceux du champ médiatique52.
- 53 C’est à un pilier de la Françafrique, Charles Pasqua, que l’on attribue généralement la théorisatio (…)
- 54 Le dossier « réchauffement : chaud le débat », sur <arretsurimages.net> permet de se faire une idée de la bataille médi</arretsurimages> (…)
- 55 Affaires africaines, Paris, Fayard, 1983 ; L’Homme de l’ombre : éléments d’enquête autour de Jacque (…)
- 56 Il serait un ami de Pierre-Yves Gilleron, ancien commissaire de la DST. Voir Jean-François Dupaquie (…)
- 57 Cité dans Zineb Dryef et David Servenay, « Pierre Péan, un enquêteur au service du pouvoir ? », dan (…)
- 58 éditions Mille et une nuits, 2005.
15Ces positions souvent déconcertantes de la presse engagée sèment donc la confusion dans l’esprit du lecteur habitué à se faire une opinion à partir des journaux ou des revues qui sont proches de sa sensibilité. S’il ne veut pas sombrer dans la schizophrénie, l’abonné conjoint à l’Humanité et à Politis n’aura pas d’autre issue que d’enquêter par lui-même ou de renoncer à comprendre ce qui s’est passé en 1994 ! Les faits sont connus, têtus, accablants… mais aussi largement parasités par une masse d’informations, abondamment et sans doute sciemment répandues dans les médias dans le but de maintenir autour d’eux la nébulosité suffisante pour désamorcer le scandale et les remises en cause dont ils sont potentiellement vecteurs. La technique est bien rodée et porte le nom d’enfumage. Une vérité gênante pour de puissants intérêts est en train d’affleurer ? Au lieu de la censurer, on monte de toutes pièces une thèse antagoniste et on accuse à grand renfort de communication les défenseurs de la thèse rivale d’être des affabulateurs voire, plus efficace encore, des conspirateurs. L’enfumage marche ainsi main dans la main avec la théorie du complot. Les deux thèses s’affrontent et, en quelque sorte, s’annulent : l’avancée de la vérité est ainsi contenue dans un débat souvent sans issue qui permet aux intérêts menacés de continuer à prospérer53. Cette méthode a récemment fait ses preuves lorsque financiers et industriels productivistes ont fabriqué un discours « savant » destiné à minimiser la portée des alertes sur les dangers du réchauffement climatique54. Elle est aussi à l’œuvre pour le Rwanda avec, dans le rôle de l’enfumeur n° 1, Pierre Péan. L’homme, complexe, mérite qu’on s’arrête quelques instants sur un parcours qui l’entraîne du journalisme de combat à l’outrance polémique « au service du pouvoir ». Pierre Péan a, en effet, un passé d’enquêteur sérieux, soucieux de la fiabilité de ses sources et attentif à révéler les coulisses des relations franco-africaines55. à la fin des années 1970 et au début des années 1980, Pierre Péan aurait même pu damer le pion à François-Xavier Verschave ! Sa rencontre avec François Mitterrand et ses amitiés dans les services secrets56 en décidèrent autrement. Au moment où l’élysée est aux prises avec la situation au Rwanda, le président lui ouvre les portes de son passé controversé. Pierre Péan y gagne un best-seller – Une jeunesse française – et François Mitterrand la fidélité d’un enquêteur à succès qui, dix ans plus tard, se fait le chevalier blanc de sa politique africaine : « J’en ai parlé avec François Mitterrand : ma conviction est ancrée que la France n’a pas à rougir de son action57 ». Noires fureurs, blancs menteurs (Rwanda, 1990-1994)58 est, en effet, un livre qui ne recule devant rien pour forger la thèse d’une version fallacieuse de l’histoire propagée par le FPR et ceux qui, en France, le soutiendraient : affirmations aux relents racistes sur la « culture du mensonge » des Tutsi, insinuations sur le rôle de leurs femmes dans la conversion de certains auteurs français (Dupaquier et Gouteux) à la cause des rebelles, jugements insultants et à l’emporte-pièce sur les militants de Survie (Carbonare et Verschave, censés former « le cabinet noir du FPR en France » !), obsession d’une cinquième colonne qui aurait réussi à infiltrer la presse et l’université françaises, accusations de trucages et de manipulations contre le journaliste Patrick de Saint-Exupéry, sans oublier la théorie du « double génocide »… L’ouvrage de Péan déploie, avec plus de lourdeur que de talent, toute la panoplie du pamphlet haineux. Avec pour matière essentielle une compilation de rumeurs, l’auteur parvient toutefois, grâce à une campagne de promotion sans précédent, à atteindre son but : occuper un temps les micros et les colonnes et faire ainsi office de contre-feu médiatique aux questions soulevées par des enquêteurs bien plus rigoureux.
- 59 Pierre Péan, Le Monde selon K., Paris, Fayard, 2009 ; Carnages. Les guerres secrètes des grandes pu (…)
- 60 Pierre Péan, Le monde selon K., op. cit., p. 18.
- 61 Zineb Kryef et David Servenay, « Pierre Péan, un enquêteur… », art. cité.
- 62 Pierre Péan, Le monde selon K., op. cit., p. 133.
- 63 Ibid., quatrième de couverture.
- 64 On peut la réécouter sur <www.la-bas.org>.
16Péan n’a plus ensuite qu’à faire fructifier son capital. En 2009 et 2010, deux nouvelles publications chez Fayard sur Bernard Kouchner puis sur le rôle des Anglo-Saxons dans les guerres en Afrique59 servent de prétexte à alimenter la même théorie tout en la maintenant sur le devant de la scène médiatique. Le premier livre s’en prend au ministre des Affaires étrangères de Nicolas Sarkozy dont Péan ne supporte pas le rôle dans le rapprochement diplomatique avec le Rwanda de Kagame60. Le polémiste ne s’en cache d’ailleurs pas. Son objectif est d’abord d’assurer la publicité de la thèse visant à dédouaner la France et ses alliés en imputant toute la responsabilité du génocide au FPR : « Pourquoi Kouchner ? C’est le Rwanda… Les trucs pour faire exploser le dossier Bruguière me scandalisent. Ce sont des méthodes de république bananière. Ce qui me pose problème, c’est quand un ministre militant induit une rupture dans la continuité de l’état61 ». Pierre Péan confesse ici tranquillement son rôle de promoteur des conclusions, aujourd’hui caduques, de l’enquête Bruguière. Peu importe que la continuité de l’état à assurer soit, en l’occurrence, celle du mensonge : il reste qu’une fois encore, l’objectif de brouillage a été atteint. De nombreux médias, tout particulièrement à gauche, ont naïvement souscrit à la critique du Kouchner ami du « boucher » Kagame62, livré en lot avec l’homme des conflits d’intérêts et des dérives affairistes en Afrique ou avec le diplomate connu pour ses « flirts éhontés avec le bushisme et les néocons américains63 ». Daniel Mermet tombe lui-même dans le piège en promouvant le livre de Pierre Péan et en invitant son auteur à évoquer le dossier Kouchner dans l’émission Là-bas si j’y suis du jeudi 5 février 200964. Rien d’étonnant, dès lors, que le citoyen ordinaire, si progressiste soit-il, peine aujourd’hui à se retrouver dans ce fatras d’informations contradictoires, sauf, encore une fois, à fournir un gros effort personnel en terme de lectures et de recherches documentaires, seule façon de parvenir à démêler le vrai du faux.
- 65 Voir l’éditorial de Bernard Guetta prononcé sur l’antenne de France Inter, en direct de Kigali, le (…)
17Si Pierre Péan joue un rôle important dans la propagation de la thèse de l’innocence de la France au Rwanda, les acteurs de 1994 répondent eux-mêmes aux accusations avec assez d’habileté pour anesthésier l’opinion publique. Les politiques semblent avoir compris qu’il n’était pas nécessaire d’en « faire trop », laissant les outrances à un Pierre Péan ou à Marianne. Leur tactique ressemble à celle d’un joueur de tennis qui renverrait inlassablement les balles du fond du court. Contre les attaques régulièrement exprimées, connaissant leur maximum d’intensité lors des commémorations, de simples communiqués qui font mine de balayer d’un revers de main des accusations présentées comme absurdes sont plus efficaces qu’une défense acharnée, voire des assignations en procès potentiellement dangereuses. Cette tactique est d’autant plus redoutable que les gouvernements qui se sont succédé, jusqu’à celui de Manuel Valls encore dernièrement, ont décidé d’endosser l’héritage politique de cette période. Le citoyen peu au fait de l’histoire se trouve le plus souvent placé par les médias dans la situation d’avoir à trancher entre un dictateur africain qui accuse la France de complicité de génocide et un réseau politico-médiatique qui le renvoie à la sidération d’une telle assertion :« Comment peut-on croire que la France, patrie des Droits de l’homme, ait pu faire une chose pareille, et quel aurait été d’ailleurs son intérêt65 ? »
- 66 Jacques Semelin, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, (…)
- 67 Voir Jean-Paul Gouteux, La nuit rwandaise, op. cit., « Les apôtres français de la démocratie racial (…)
- 68 « L’auteur (Michael Mann) ironise sur le passé de plusieurs présidents des États-Unis qui ont été à (…)
- 69 Voir notamment Yves Bénot, Massacres coloniaux, 1944-1950, la IVe République et la mise au pas des (…)
- 70 Propos de Jean Carbonare, Le Nouvel Observateur, 4 août 1994, cités par François-Xavier Verschave, (…)
18L’impensable n’est pourtant pas sans précédent. Le lien entre démocratie et crime contre l’humanité est même une constante dans l’histoire. Depuis Athènes, les démocraties fondant leur système sur une définition étroite, souvent ethniste, de la citoyenneté, pratiquent logiquement la colonisation violente et dénient l’égalité aux citoyens des autres cités. Les démocraties fondant leur système sur des valeurs conçues comme universelles à des degrés divers n’ont paradoxalement pas fait mieux : « Les idées fondatrices de la démocratie peuvent engendrer des formes diverses de violence politique de masse ou de purification ethnique. L’idéal de la souveraineté du peuple a entremêlé le demos avec l’ethnos dominant, engendrant alors une conception organique de la nation et de l’état66 ». C’est exactement ce qui s’est passé au Rwanda, où la France a soutenu l’idée de « démocratie majoritaire » : le pouvoir hutu était perçu comme légitime car les Hutu étaient majoritaires, ceci en complète contradiction avec la tradition universaliste de la démocratie héritée des Lumières67. Ainsi, des ordres d’extermination prononcés à l’encontre des populations indiennes par des présidents américains lors de la conquête de l’Ouest68 à la colonisation de l’Afrique et de l’Asie par les Français et les Britanniques69, l’histoire de la démocratie est inséparable de la violence de masse. Pour enlever son caractère « impensable » à la notion de complicité de génocide il faut donc relier l’histoire de la relation franco-rwandaise à l’ensemble de l’histoire coloniale et plus directement à celle de la Françafrique. Alors, seulement, on comprend que la complicité de génocide, loin d’être impensable, n’est que le stade ultime d’un système mortifère. Le fil est tendu qui relie toutes les abominations dont regorge l’histoire de notre république : « J’ai eu deux grands chocs dans ma vie. Le premier lorsque j’ai découvert qu’en Algérie on avait institutionnalisé la torture. Le deuxième, en janvier 1993, quand j’ai vu des instructeurs français dans le camp militaire de Bigogwe, situé entre Gisenyi et Ruhengeri. C’est là qu’on amenait des civils par camions entiers. Ils étaient torturés et tués, puis enterrés dans une fosse commune que nous avons identifiée près du cimetière de Gisenyi70 ».
- 71 Voir le site Internet de l’association, <france-turquoise.fr>.
- 72 Didier Tauzin, Rwanda : Je demande justice pour la France et ses soldats, Paris, Jacob Duvernet, 20 (…)
- 73 Quatre militaires, le colonel Jacques Hogard et les généraux Lafourcade, Tauzin et Stabenrath, ont (…)
- 74 Hélène Dumas, Étienne Smith, « La vérité doit être enfin faite sur l’engagement français au Rwanda. (…)
19Et pourtant, les politiques semblent traverser le champ de mines mémoriel du Rwanda comme une voiturette sur un terrain de golf. Il en va autrement des militaires impliqués sur le théâtre d’opération rwandais. Les principaux responsables de la mise sur pied de l’opération Turquoise, notamment, défendent de manière de plus en plus structurée leur action au Rwanda. Le général Lafourcade a ainsi créé l’association France-Turquoise et se démène dans les médias pour donner sa version des événements71. Certains ont témoigné dans des livres, comme le général Didier Tauzin72. Nous avons déjà évoqué le général Quesnot et son sens du double discours. Ce qui frappe chez tous, c’est l’absence de toute réelle autocritique alors que les ambiguïtés – au minimum – de l’opération Turquoise ne font plus aucun doute. La raideur de cette défense la réduit à une tentative désespérée de sauver l’honneur de l’armée. Position navrante, intenable devant un tribunal73 et qui paraît d’un autre siècle, celui de l’affaire Dreyfus. Car il n’y a jamais qu’une voie possible pour sortir de l’erreur, la reconnaître : « Espérons aussi qu’un jour, au Rwanda, d’anciens militaires français qui ont véritablement défendu l’honneur de la France seront invités à une commémoration du génocide aux côtés de rescapés. […] Une véritable réconciliation franco-rwandaise passera par la reconnaissance du courage des anonymes, aux antipodes du bellicisme et de la hargne de certains hauts gradés ou de la lâcheté des politiques responsables des ambiguïtés françaises au Rwanda74 ».
- 75 Roger Faligot et Jean Guisnel (dir.), Histoire secrète de la Ve République, op. cit., « Les diamant (…)
- 76 Pierre Boiley, « Les visions françaises de l’Afrique et des Africains », dans Adama Ba Konoré (dir. (…)
- 77 La phrase aurait été prononcée durant l’été 1994. Voir Patrick de Saint-Exupéry et Charles Lambrosc (…)
20Si l’efficacité des techniques d’enfumage de l’opinion publique est patente, il faut également s’interroger sur un tissu social qui semble d’une manière générale incapable de sanctionner des responsables pour des décisions afférentes au domaine réservé. à l’exception dérisoire des diamants de Bokassa, qui ont peut être coûté cher à Valéry Giscard d’Estaing lors de la présidentielle de 198175, aucun homme politique – même mouillé jusqu’au cou dans des affaires – n’a durablement ni profondément pâti d’une accusation dans le cadre des turpitudes de la Françafrique. Les politiques, en virtuoses du temps médiatique, peuvent compter sur la lassitude, l’indifférence, et les préjugés régulièrement revitalisés, plus ou moins consciemment, par les médias, d’une Afrique où la violence serait congénitale. Les adversaires ne se battent donc pas à armes égales : les spécialistes de la désinformation profitent de l’enracinement dans les mentalités françaises de ces stéréotypes et de ces simplifications péjoratives qui font de l’Afrique « un continent où les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets qu’ailleurs » et des Africains « une humanité à part76 ». La terrifiante assertion prêtée à François Mitterrand – « dans ces pays-là, un génocide, c’est pas trop important77 » – reflète peut-être hélas ce que pensent nombre de Français. L’insurrection citoyenne autour des scandales de la Françafrique en général et du Rwanda en particulier est donc en grande partie tributaire de l’anéantissement de ces clichés datant de l’ère coloniale, expressions manifestes d’un racisme inconscient.
- 78 Lire l’honnête et touchant « aveu » de Stéphane Audouin-Rouzeau reconnaissant être passé à côté de (…)
- 79 Jean-Paul Gouteux, La nuit rwandaise…, op. cit., p. 377-389. Ces attaques contre Survie sont repr (…)
- 80 Voir son point de vue sur le Rwanda, désormais plus nuancé, dans Politis du 27 mars 2014.
- 81 Rwanda : l’histoire secrète, Panama, 2005. La préface est signée Claudine Vidal. Voir Christophe Ay (…)
- 82 Jean-François Dupaquier, L’Agenda du génocide. Le témoignage de Richard Mugenzi : ex-espion rwandai (…)
- 83 Rwanda, de la guerre au génocide. Les politiques criminelles au Rwanda, Paris, La Découverte, 2010, (…)
- 84 André Guichaoua, Stephen Smith, « Rwanda : une difficile vérité », Libération, 13 janvier 2006, et (…)
21Dans ce registre pédagogique, le rôle des chercheurs et des historiens est évidemment primordial. Beaucoup d’entre eux n’ont manifestement pas été à la hauteur de l’enjeu, par ignorance, par paresse intellectuelle, par manque d’intérêt ou par peur78. Parmi les spécialistes, certains n’osent pas – faute de preuves, disent-ils – franchir le pas qui sépare la responsabilité (dans les événements antérieurs au 6 avril) de la complicité consciente (avec les génocidaires en action). C’est le cas de la sociologue Claudine Vidal qui, en 1999, aidée de Marc Lepape, également sociologue et chercheur au CNRS, s’en était même pris violemment à François-Xavier Verschave et au périodique de l’association Survie, Billets d’Afrique, accusés de privilégier « une version conspiratoire et souterraine de l’histoire79 ». Mais l’ancienne directrice de recherche au CNRS semble aujourd’hui à la peine pour défendre cette thèse, face à l’accumulation des révélations factuelles, précises et parfaitement documentées80. D’autres ont pu accréditer une partie du discours officiel, peut-être d’ailleurs en toute bonne foi. Le sociologue André Guichaoua a, par exemple, écrit une postface au livre du pseudo témoin du juge Bruguière, Abdul Ruzibiza81, offrant ainsi sa caution à une manipulation judiciaire et médiatique qui a pu être qualifiée de véritable « affaire Outreau tropicale82 » ! Ce professeur à Paris I, dans un livre de facture au demeurant sérieuse, fait en outre montre d’une certaine indulgence avec la France, dédouanant Turquoise des intentions cachées qu’on lui impute83. Il est tout aussi clément avec les errements nauséabonds de Pierre Péan dont il valide les affirmations sur l’implication du FPR dans l’attentat du 6 avril84. Si notre intention n’est bien sûr pas d’accabler ces deux universitaires qui semblent, par ailleurs, être de fins connaisseurs de la région, remarquons tout au moins que leurs interventions dans le débat auront un temps contribué à retarder la prise de conscience de leur lectorat, et tout particulièrement de ceux qui avaient confiance en leur expertise.
- 85 L’Afrique des Grands Lacs. Deux mille ans d’histoire, Paris, Aubier, 2000.
- 86 Jean-Pierre Chrétien, avec Jean-François Dupaquier, Marcel Kabanda, Joseph Ngarambe, Rwanda. Les mé (…)
- 87 à commencer par cet article sur le régime rwandais, en forme d’alerte à nos gouvernants, dans Libér (…)
- 88 Pierre Péan, Noires fureurs, blancs menteurs, Paris, Fayard, 2005, p. 389. Sur ce thème, Pierre Péa (…)
22Si l’on s’attache plutôt aux historiens, une place particulière revient sans nul doute à Jean-Pierre Chrétien, directeur de recherche au CNRS, spécialiste français internationalement reconnu de l’Afrique des Grands Lacs. Auteur d’une excellente synthèse historique sur cette partie du continent85, Jean-Pierre Chrétien a également publié sur le rôle des médias durant le génocide et, tout récemment, sur l’émergence du mythe hamitique et sa mue en idéologie meurtrière dans le cadre d’une option politique raciste et extrémiste86. Sans avoir véritablement souhaité s’affranchir de sa posture de chercheur pour endosser l’habit du militant, Chrétien ne fait pas mystère de son point de vue et ne s’est donc jamais défaussé de ses responsabilités de citoyen éclairé, comme en attestent sa participation aux travaux de la CEC ou ses articles et interviews dans la presse87. Pierre Péan ne s’y est d’ailleurs pas trompé, en lui consacrant quelques-unes de ses pages les plus écœurantes. Le chapitre 20 de ses Blancs menteurs, qu’il intitule « Jean-Pierre Chrétien ou le cachet universitaire des sornettes du FPR », débute par cette phrase invraisemblable : « Qui dira un jour la responsabilité de Jean-Pierre Chrétien dans la tragédie rwandaise ? 88 » !
- 89 Hélène Dumas, Le génocide au village…, op. cit.
- 90 Pour se convaincre de la compétence analytique de ces auteurs, voir par exemple les pages que Laure (…)
23Il reste que, sur ce thème et malgré la prometteuse recherche doctorale d’Hélène Dumas89, la France manque de spécialistes issus du monde universitaire susceptibles de prendre en charge l’histoire de cette partie immergée des relations franco-africaines dévoilée par François-Xavier Verschave. à ce jour, les enseignants qui veulent envisager, dans le cadre, par exemple, d’une étude comparée des génocides, la question des responsabilités françaises travaillent essentiellement à partir d’une littérature non académique, produite le plus souvent par des journalistes. Ces derniers s’installent donc dans le rôle d’historiens du présent qui, s’agissant d’auteurs comme Patrick de Saint-Exupéry, Laure de Vulpian, David Servenay ou Benoît Collombat, n’est d’ailleurs en rien usurpé. Leur méthodologie est irréprochable, alliant le croisement, la confrontation et l’analyse critique des sources90 à une maîtrise spectaculaire des différents contextes nationaux et internationaux. Leur contribution associe le courage à la rigueur. La première vertu manquerait-elle aux historiens ? Force est de constater qu’aucune pétition de chercheurs exigeant la fin du déni officiel ou, a minima, l’ouverture des archives du Quai d’Orsay et de l’élysée, n’est parvenue jusqu’à nous. Nous restons également interloqués par l’abîme qui sépare la vigueur des réactions académiques au célèbre – et évidemment scandaleux – discours de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007, et la nonchalance du monde universitaire – en dehors des cercles « africanistes » – face à ces soupçons largement étayés de complicité de génocide. Et ce, alors même que les deux épisodes relèvent bien d’une grille de lecture de l’Afrique similaire, évidemment raciste.
- 91 François-Xavier Verschave, La Françafrique…, op. cit., p. 26.
24Le travail pour faire éclore la vérité sur le rôle de la France au Rwanda est une tâche aux allures proprement sisyphéenne, comme le laisse penser la répétition depuis vingt ans d’écrits dénonciateurs dont l’impact limité pourrait sembler décourageant. Mais les obstacles rencontrés sont à la hauteur du statut de l’événement, d’une exceptionnelle gravité et qui continue à innerver les organes vitaux de la République : certaines de ses élites politiques, son armée, son image et son rôle de puissance internationale. Le génocide de 1994 appartient donc à une séquence historique qui, en France, n’est toujours pas close. Pour combien de temps encore ? Il a fallu une cinquantaine d’années pour que Jacques Chirac évoque solennellement le rôle de la France dans la déportation des juifs, environ autant pour que François Hollande fasse de même avec la « sanglante répression » du 17 octobre 1961. Combien de commémorations du génocide de 1994 les autorités de la France passeront-elles dans le déni ? Nul ne le sait. Ce qui est certain, en revanche, c’est que le jour de la reconnaissance officielle adviendra. Pour le hâter, il est plus que jamais nécessaire d’intensifier la dénonciation publique argumentée et d’amplifier les pressions sur les autorités. Afin que ce crime ne repose plus collectivement sur la nation mais bien sur ceux de ses représentants qui ont violé les principes fondateurs de nos institutions et dont les survivants devront être traduits en justice. Afin que l’on ne puisse plus dire au présent : « Le Rwanda est l’accomplissement de notre démission collective91 ».
Notes
1 Patrick de Saint-Exupéry, Complices de l’inavouable. La France au Rwanda, Paris, Les Arènes, 2009.
2 Sur son rôle et son empressement à soutenir Habyarimana, lire Human Rights Watch, Fédération internationale des ligues des droits de l’homme [Alison Des Forges, dir.], Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Paris, Karthala, 1999, p. 141-146.
3 François Mitterrand, dans Le coup d’État permanent, Paris, Plon, 1964, dénonçait une dérive dictatoriale des institutions qu’il s’est bien gardé de remettre en question une fois élu : « L’exemple le plus significatif de sa [ le Premier ministre ] déchéance est fourni par un décret qui enlève au chef nominal de l’exécutif ses ultimes responsabilités en matière de défense […] de telle sorte que la vie et la sécurité des Français dépendent entièrement d’un homme qui, pour déclencher la manette du cataclysme, n’est tenu de consulter ni les élus du peuple ni le gouvernement théoriquement responsables devant eux. Il en est de même pour les options fondamentales de la politique étrangère » (p. 34).
4 Cet aspect, fondamental, est souligné dans le titre de l’ouvrage de Benoît Collombat et David Servenay, « Au nom de la France », Guerres secrètes au Rwanda, Paris, La Découverte, 2014. Des responsables politiques élus ont, dans le privé de leur cabinet, entaché l’honneur collectif de la nation dans une guerre secrète au Rwanda.
5 « Jean Sarkozy candidat pour prendre la tête de l’EPAD », Le Monde, 8 octobre 2009.
6 « Sur le Rwanda, Jean-Christophe Mitterrand est l’œil, l’oreille et le porte-voix de son père. Dans les périodes de crise, il est tous les jours au téléphone avec Kigali, dont il reçoit les demandes de soutien, qu’il répercute immédiatement au “château”. La famille Habyarimana sait qu’il est le canal le plus direct pour se faire entendre du président français. La presse et certaines ONG le disent proche du fils du président rwandais Jean-Luc Habyarimana. Ce qu’il dément formellement.», Benoît Collombat et David Servenay, « Au nom de la France »…, op. cit. , p. 142.
7 Jean Lacouture, Mitterrand, Une histoire de Français, 2, Les vertiges du sommet, Paris, Seuil, 1998, p. 461.
8 Jean-Pierre Cosse, Alain Juppé et le Rwanda, Paris, L’Harmattan, 2014.
9 L’accord d’assistance militaire et technique de juillet 1975 entre la France et le Rwanda a été précédé le 20 octobre 1962 d’un traité d’amitié et de coopération. En 1966, le général Juvénal Habyarimana, à l’époque chef d’état-major et ministre de la Garde nationale et de la Police, était reçu à Paris pour négocier l’achat de matériel militaire, suscitant une certaine crispation des relations franco-belges (voir Olivier Thimonier, « Aux sources de la coopération franco-rwandaise », Golias Magazine, n° 101, mars-avril 2005).
10 Motivations reconnues par la mission d’information parlementaire.
11 Alison Des Forges, Aucun témoin…., op. cit., p. 142.
12 Mais cette volonté traverse les siècles. Elle est comme consubstantielle à l’État moderne. Déjà, lors du débat parlementaire sur la colonisation en 1882, Jules Ferry justifiait la conquête en ces termes : « Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, croyez-le bien, […] c’est abdiquer et, dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c’est descendre du premier rang au troisième ou au quatrième ». Il faudrait ajouter toutes les raisons inavouables à cet engagement en Afrique : un système de corruption généralisé allant du financement occulte des partis politiques à l’enrichissement de réseaux traversant les champs politiques et économiques (Roger Faligot et Jean Guisnel (dir.), Histoire secrète de la Ve République, Paris, La Découverte, 2006 ; François-Xavier Verschave, De la Françafrique à la mafiafrique, éd. Tribord, 2004).
13 Ce « syndrome de Fachoda » est notamment évoqué dans le rapport de la mission d’information parlementaire : « Le Rwanda aux frontières de l’Afrique francophone », p. 31.
14 Sur ce point crucial, le rapport de la mission d’information parlementaire maintient la fiction selon laquelle la limite a été frôlée mais pas franchie.
15 Voir les chapitres consacrés à Paul Barril dans Benoît Collombat et David Servenay, « Au nom de la France»…, op. cit.
16 Ce point est objet de controverse. Il n’est pas exclu que la rivalité franco-anglophone ait été à sens unique, la cristallisation d’une obsession univoque de la part des autorités françaises. Si Kagame a reçu une formation militaire aux États-Unis, rien n’indique clairement qu’elle ait été en relation, de la part des Américains, avec une quelconque vue sur le Rwanda et qu’elle ait débordé du cadre des accords de coopération passés entre les états-Unis et l’Ouganda. Voir le rapport de la mission d’information parlementaire : « Présentation du FPR », p. 123.
17 Voir plus loin le relais de cette propagande par Pierre Péan.
18 Général Quesnot, cité par Laure de Vulpian à partir des archives Mitterrand. Laure de Vulpian, Thierry Prungnaud, Silence Turquoise. Rwanda, 1992-1994. Responsabilités de l’état français dans le génocide des Tutsi, Don Quichotte éditions, 2012, p. 46.
19 Jean-Pierre Chrétien, « Un demi-siècle de racisme officiel », dans L’Histoire, no 396, février 2014, p. 42-47.
20 C’est le point clé de la défense d’Hubert Védrine qui présente toutes les actions militaires françaises comme la résultante d’une recherche désespérée du rapport de force favorable à un compromis (repousser le FPR et « tordre le bras » aux extrémistes hutu). Malgré une rhétorique d’une rare virtuosité, cette ligne de défense vole en éclats, au minimum, pour la période allant de l’attentat du 6 avril à la mise en place de la zone humanitaire sûre de l’opération Turquoise qui a permis l’exfiltration des génocidaires. Voir les propos d’Hubert Védrine, recueillis par Politis, n° 1060, 6-12 juillet 2009. Il faut souligner que cette défense et cette illustration de la realpolitik à la française par Hubert Védrine sont bien plus aptes à enfumer les intellectuels sceptiques que les outrances d’un Pierre Péan (voir plus bas). Même Rony Brauman, critique à l’égard des accusations portées contre la France, admet qu’après le 6 avril, la politique de la France devient indéfendable : « Défendable jusqu’à ce 6 avril 1994, c’est par la suite que la politique française devient coupable. Le soutien apporté au gouvernement intérimaire composé de radicaux et de partisans ouverts de l’élimination des Tutsi et de leurs complices – ils ont immédiatement, parmi bien d’autres crimes, assassiné trois ministres hutu – témoigne d’un aveuglement au scénario terrifiant qui se trame alors. », « Rwanda, un criminel nommé Kagamé », <http://www.france-rwanda.info/article-rwanda-un-criminel-nomme-kagame-123669338.html>.
21 Benoît Collombat et David Servenay, « Au nom de la France »…, op. cit., « Les réticences de Pierre Joxe », p. 159.
22 Ibid., « Un général français écarté pour avoir dénoncé l’engrenage génocidaire », p. 235.
23 « L’armée française a été exemplaire au Rwanda selon édouard Balladur », Le Parisien, 27 février 2010.
24 Philippe Leymarie, « L’armée française malade du Rwanda ? », « Défense en ligne », blog du Monde diplomatique, 5 avril 2014, <http://blog.mondediplo.net/2014-04-04-L-armee-francaise-malade-du-Rwanda>.
25 « Déjà en janvier 2003, le Forum social d’Addis-Abeba avait averti : “à la lumière du génocide rwandais de 1994, de la guerre civile du Congo en 1997, et des conflits en cours en Centrafrique et en Côte d’Ivoire, il est urgent pour les états africains francophones de réévaluer leurs relations avec l’ancienne puissance coloniale ». Boubacar Boris Diop, « Avertissement ivoirien à la Françafrique », Le Monde diplomatique, mars 2005.
26 Auquel on reproche bien plus communément son passé d’extrême droite et ses fâcheuses accointances avec des anciens sbires de Vichy que son rôle dans le génocide du Rwanda (cf. le film Le Promeneur du Champ-de-Mars de Robert Guédiguian, sorti en salle en 2005, ainsi que l’interview accordée par François Mitterrand à Franz-Olivier Giesbert après la publication de sa biographie par Pierre Péan, Le Figaro, 8 et 9 septembre 1994).
27 à l’exception notable des jeunes socialistes : le MJS, dans une déclaration publique du 25 février 2010, exigeait ainsi de la France « la vérité et la justice au sujet du génocide des Tutsi », <www.rwandaises.com/2012/03/france-rwanda-suites-de-lappel-citoyen-france-rwanda/>.
28 Page facebook de Marine Le Pen, 12 septembre 2011. La position du Front national est proche de celle de Bernard Lugan, un auteur sympathisant de l’extrême droite et partisan de thèses racialistes, qui se démène beaucoup pour diffuser dans le grand public la thèse du complot tutsi et exonérer ainsi l’armée française de toute compromission dans les massacres. Lugan qui fut coopérant au Rwanda durant la dictature d’Habyarimana, use, pour asseoir sa légitimité, de son statut d’expert auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Ce titre provient en fait essentiellement de sa contribution à la défense de génocidaires, parmi lesquels Théoneste Bagosora, accusé d’être le « cerveau du génocide » des Tutsi.
29 Ou « colonisation informelle », without a flag disent les Anglo-Saxons. Voir Jean-Paul Gouteux, La Nuit rwandaise. L’implication française dans le dernier génocide du siècle, Paris, L’esprit frappeur, 2002, p. 180-222.
30 « Rwanda : la France complice du génocide », Hebdo l’Anticapitaliste, n° 229, 13 février 2014, « L’implication de la France dans le génocide des Tutsi du Rwanda », interview de Raphaël Doridant (association Survie), 4 juin 2011, vidéo sur <www.dailymotion.com>.
31 Alain Montaufray, « 1994, le génocide des Tutsis au Rwanda. 20 ans d’impunité en France », 6 avril 2014, <https ://www.ensemble-fdg.org/content/1994-le-génocide-des-tutsi-au-rwanda-20-ans-d’impunité-en-france>.
32 Jean-Pierre Cosse, Alain Juppé et le Rwanda…, op. cit., p. 326.
33 Son communiqué du 9 avril 2014 juge « grave et regrettable » la décision du gouvernement français de ne pas participer aux cérémonies du 20e anniversaire. Le PCF considère « qu’il y a une leçon à tirer pour la France elle-même du drame inhumain qui s’est déroulé. Nous devons reconsidérer de fond en comble nos relations avec les peuples et les États africains, plutôt que de considérer l’Afrique comme une zone d’intervention prioritaire sur le plan militaire sans jamais promouvoir une véritable politique de coopération et d’échange laissant aux Africains la maîtrise de leurs choix politiques et économiques de leurs pays ».
34 Voir <www.placeaupeuple2012.fr>.
35 On peut y lire, notamment : « Il est aujourd’hui nécessaire d’aller au bout de cette démarche [de recherche de vérité], en déclassifiant toutes les archives liées à cette période, en faisant tomber les protections dont bénéficient certains présumés génocidaires résidant en France, en instaurant enfin une commission d’enquête parlementaire sur la coopération franco-rwandaise de 1990 à 1994, ainsi qu’EELV le demande depuis le 7 avril 2011 […] <http://transnationale.eelv.fr/2012/01/17/faire-la-lumiere-sur-limplication-de-la-france-dans-le-genocide-rwandais-pour-renouer-des-relations-decentes-avec-lafrique>.
36 Noël Mamère, « Pas à un paradoxe près, la France reconnaît le génocide des Arméniens, mais pas celui des Tutsi », <blog.rue89.nouvelobs.com/chez-noel-mamere/2014/04/14>.
37 <http://noelmamere.eelv.fr/inauguration-a-begles-les-hommes-debout/>.
38 Sur le traitement lucide et rigoureux du génocide par l’Humanité en 1994, voir Laure Coret, François-Xavier Verschave, L’horreur qui nous prend au visage. La France et le génocide au Rwanda., Paris, Karthala, 2005, p. 320-324.
39 Jean-Paul Gouteux, Le Monde, un contre-pouvoir ? Désinformation et manipulation sur le génocide rwandais, Paris, L’esprit frappeur, 1999.
40 Voir notamment Christophe Ayad et Philippe Bernard, « Le Rwanda, une passion française », Le Monde, 26 janvier 2012. Voir également le démontage des arguments de Pierre Péan par Pierre Rémy, « Un pamphlet antitutsi sur le génocide rwandais », Le Monde, 3 décembre 2005.
41 Jean-Paul Gouteux, La nuit rwandaise…, op. cit., p. 252-255.
42 « Rwanda, De très étranges missiles français », une de Libération du 1er juin 2012, relatif à un document de l’ONU révélant la présence de 15 Mistrals au sein de l’arsenal de l’armée rwandaise, la veille de l’attentat.
43 Christophe Ayad et Philippe Bernard, article cité, note 40.
44 Christophe Ayad, qui a qualifié Onana de négationniste, s’est vu intenter un procès qu’il a gagné.
45 Dans les numéros 447 et 448 de Marianne.
46 Politis n° 1060, 6-12 juillet 2009.
47 Alma Rodinson, « Vérité “irréfutable”, vraiment ? », dans Politis, 26 janvier 2012. Voir la réfutation de cet article dans Billets d’Afrique n° 210, février 2012.
48 Jean-Paul Gouteux (sous le pseudonyme de Pierre Cougot), « Rwanda : la France et le génocide », Politis, 3 novembre 1994, p. 15-16.
49 « Pendant trois ans (1990-1993), l’armée française a tenu à bout de bras les troupes d’un régime rwandais – ou plutôt d’un clan – s’enfonçant dans le génocide, le racisme et la corruption. Engagée dans le combat contre le Front patriotique rwandais (FPR), l’ennemi diabolisé en “Khmer noir”, la France a massivement équipé les Forces armées rwandaises (FAR) ; elle les a instruites dans des camps où se pratiquaient la torture et le massacre de civils (à Bigogwe par exemple) ; elle a encouragé une stratégie “antisubversive” qui passait par la création de milices enivrées de haine, et enivrées tout court. Après la publication, en février 1993, du rapport d’une commission internationale dénonçant – déjà – des “actes de génocide”, le mot d’ordre, venu directement de l’Élysée, n’a pas changé : “Casser les reins du FPR” ». François-Xavier Verschave, « Connivences françaises au Rwanda », Le Monde Diplomatique, mars 1995.
50 Il faudrait souligner en premier lieu combien le paysage médiatique a évolué en vingt ans, avec notamment l’éclosion de la presse en ligne. Il faudrait pouvoir mesurer l’influence exercée par des sites comme Rue89, cofondé par David Servenay, auteur avec Gabriel Périès d’un ouvrage sur les aspects militaires de l’implication française ( Une guerre noire. Enquête sur les origines du génocide rwandais, Paris, La Découverte, 2007) ou bien encore Médiapart, qui ouvre ses portes à Patrick de Saint-Exupéry (voir notamment la vidéo enregistrée dans les locaux du pure player « Rwanda, la responsabilité de la France », visible notamment à partir du site des éditions les Arènes, <http://www.arenes.fr/spip.php?article3717>).
51 Dans son éditorial daté du 7 avril 2014, Daniel Schneidermann contournait assez maladroitement la question de la responsabilité française en se demandant ce que l’on savait sur le rôle de Vichy dans la Shoah vingt ans après les événements. Daniel Schneidermann, « Rwanda, vingt ans après », <http://www.arretsurimages.net/breves/2014-04-07/Rwanda-vingt-ans-apres-id17217>.
52 François-Xavier Verschave, « Françafrique : les médias complices ? », février 2001, <acrimed.org>.
53 C’est à un pilier de la Françafrique, Charles Pasqua, que l’on attribue généralement la théorisation expéditive de la technique de l’enfumage : « Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que plus personne ne comprenne plus rien ». Théorème opportunément rappelé par le Journal du Dimanche : « écoutes de Sarkozy : la majorité accuse l’UMP d’enfumage », 12 mars 2014.
54 Le dossier « réchauffement : chaud le débat », sur <arretsurimages.net> permet de se faire une idée de la bataille médiatique autour du sujet.
55 Affaires africaines, Paris, Fayard, 1983 ; L’Homme de l’ombre : éléments d’enquête autour de Jacques Foccart, l’homme le plus mystérieux et le plus puissant de la Ve République, Paris, Fayard, 1990.
56 Il serait un ami de Pierre-Yves Gilleron, ancien commissaire de la DST. Voir Jean-François Dupaquier, Politiques, militaires et mercenaires français au Rwanda. Chronique d’une désinformation, Paris, Karthala, 2014, p. 49-50.
57 Cité dans Zineb Dryef et David Servenay, « Pierre Péan, un enquêteur au service du pouvoir ? », dans Rue89, 15 février 2009, <www.rue89.com>.
58 éditions Mille et une nuits, 2005.
59 Pierre Péan, Le Monde selon K., Paris, Fayard, 2009 ; Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2010.
60 Pierre Péan, Le monde selon K., op. cit., p. 18.
61 Zineb Kryef et David Servenay, « Pierre Péan, un enquêteur… », art. cité.
62 Pierre Péan, Le monde selon K., op. cit., p. 133.
63 Ibid., quatrième de couverture.
64 On peut la réécouter sur <www.la-bas.org>.
65 Voir l’éditorial de Bernard Guetta prononcé sur l’antenne de France Inter, en direct de Kigali, le 7 avril 2014, cité dans la première partie de cet article.
66 Jacques Semelin, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, 2005, p. 68.
67 Voir Jean-Paul Gouteux, La nuit rwandaise, op. cit., « Les apôtres français de la démocratie raciale », p. 125-133.
68 « L’auteur (Michael Mann) ironise sur le passé de plusieurs présidents des États-Unis qui ont été à la fois de “grands démocrates” et de “grands purificateurs ethniques” contre les Indiens d’Amérique. Comparant les Indiens aux loups, George Washington donna l’ordre d’attaquer les Iroquois, de “ravager toutes les habitations […] afin que le pays ne soit pas simplement envahi mais détruit”, Thomas Jefferson répéta pour sa part que les Indiens devaient être “exterminés” et “expurgés de la Terre”, tandis qu’Andrew Jackson encouragea ses soldats à massacrer femmes et enfants ». Jacques Semelin, op. cit., p. 68-69.
69 Voir notamment Yves Bénot, Massacres coloniaux, 1944-1950, la IVe République et la mise au pas des colonies françaises, Paris, La Découverte, 2005.
70 Propos de Jean Carbonare, Le Nouvel Observateur, 4 août 1994, cités par François-Xavier Verschave, La Françafrique. Le plus long scandale de la république, Paris, Stock, 1998, p. 20-21.
71 Voir le site Internet de l’association, <france-turquoise.fr>.
72 Didier Tauzin, Rwanda : Je demande justice pour la France et ses soldats, Paris, Jacob Duvernet, 2011.
73 Quatre militaires, le colonel Jacques Hogard et les généraux Lafourcade, Tauzin et Stabenrath, ont poursuivi Patrick de Saint-Exupéry en diffamation à la sortie de Complices de l’inavouable. La cour d’appel a confirmé le 29 juin 2011 le jugement rendu en première instance et donné tort aux plaignants.
74 Hélène Dumas, Étienne Smith, « La vérité doit être enfin faite sur l’engagement français au Rwanda. Mieux vaut écouter les hommes du rang que les rodomontades des gradés », Le Monde, 13 septembre 2001, cités par Benoît Collombat et David Servenay, « Au nom de la France », op. cit., p. 303-304.
75 Roger Faligot et Jean Guisnel (dir.), Histoire secrète de la Ve République, op. cit., « Les diamants de Bokassa, ou la vengeance du “garde-chasse” de la République », p. 171-174.
76 Pierre Boiley, « Les visions françaises de l’Afrique et des Africains », dans Adama Ba Konoré (dir.), Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy, La Découverte, 2008, p. 115 et 119.
77 La phrase aurait été prononcée durant l’été 1994. Voir Patrick de Saint-Exupéry et Charles Lambroschini, « France-Rwanda, un génocide sans importance », Le Figaro, 12 janvier 1998.
78 Lire l’honnête et touchant « aveu » de Stéphane Audouin-Rouzeau reconnaissant être passé à côté de « ce qui s’est joué d’essentiel au Rwanda ». Il ajoute : « Je ne vois pas pourquoi un chercheur, lorsqu’il n’a tout simplement pas vu et pas compris, ne le dirait pas avec quelque netteté. Après tout, c’est là une démarche réflexive utile pour mieux prendre en compte l’incompréhension des autres. » (préface à Hélène Dumas, Le génocide au village, Paris, Seuil, 2014, p. II.)
79 Jean-Paul Gouteux, La nuit rwandaise…, op. cit., p. 377-389. Ces attaques contre Survie sont reprises dans Claudine Vidal, « La politique de la France au Rwanda de 1990 à 1994. Les nouveaux publicistes de l’histoire conspirationniste » (Les Temps modernes, février-mars 2007, n° 642, p. 117-143).
80 Voir son point de vue sur le Rwanda, désormais plus nuancé, dans Politis du 27 mars 2014.
81 Rwanda : l’histoire secrète, Panama, 2005. La préface est signée Claudine Vidal. Voir Christophe Ayad et Philippe Bernard, « La communauté scientifique se déchire », Le Monde, 26 janvier 2012.
82 Jean-François Dupaquier, L’Agenda du génocide. Le témoignage de Richard Mugenzi : ex-espion rwandais, Karthala, Paris, 2010.
83 Rwanda, de la guerre au génocide. Les politiques criminelles au Rwanda, Paris, La Découverte, 2010, p. 526-527.
84 André Guichaoua, Stephen Smith, « Rwanda : une difficile vérité », Libération, 13 janvier 2006, et André Guichaoua, Rwanda, de la guerre au génocide…, op. cit., p. 242-246. André Guichaoua admet cependant – et c’est important – que « l’attentat ne peut être considéré comme la cause du génocide et [qu’il] ne l’explique pas » (ibid., p. 246).
85 L’Afrique des Grands Lacs. Deux mille ans d’histoire, Paris, Aubier, 2000.
86 Jean-Pierre Chrétien, avec Jean-François Dupaquier, Marcel Kabanda, Joseph Ngarambe, Rwanda. Les médias du génocide, Karthala, 1995, et Jean-Pierre Chrétien, Marcel Kabanda, L’idéologie hamitique et le génocide, Belin, 2013.
87 à commencer par cet article sur le régime rwandais, en forme d’alerte à nos gouvernants, dans Libération du 26 juillet 1994 : « Un nazisme tropical ».
88 Pierre Péan, Noires fureurs, blancs menteurs, Paris, Fayard, 2005, p. 389. Sur ce thème, Pierre Péan emboîte le pas à l’extrême droite française, qui compte Jean-Pierre Chrétien parmi ses cibles favorites.
89 Hélène Dumas, Le génocide au village…, op. cit.
90 Pour se convaincre de la compétence analytique de ces auteurs, voir par exemple les pages que Laure de Vulpian consacre au décryptage des messages entre Marin Gillier, le commandement de Turquoise à Goma et la CCR (Cellule de crise Rwanda) à Paris (Laure de Vulpian, Thierry Prungnaud, Silence Turquoise…, op. cit, p. 289-299) ou encore à l’affaire du « Fax n° 3 » (ibid. « L’original et la copie », p. 241-247).
91 François-Xavier Verschave, La Françafrique…, op. cit., p. 26.
Pour citer cet article
Référence papier
Alain Gabet et Sébastien Jahan, « « Les faits sont têtus » : vingt ans de déni sur le rôle de la France au Rwanda (1994-2014) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 129 | 2015, 153-173.
Référence électronique
Alain Gabet et Sébastien Jahan, « « Les faits sont têtus » : vingt ans de déni sur le rôle de la France au Rwanda (1994-2014) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 129 | 2015, mis en ligne le 01 octobre 2015, consulté le 04 février 2018. URL : http://journals.openedition.org/chrhc/4882