A-t-on oui ou non le droit de débattre du génocide contre les Batutsi et de son négationnisme?
Dans les milieux rwandais de Belgique, le débat fait rage sur cette question si sensible et si controversée.
TFR a cru bon de partager un épisode de ces échanges où la courtoisie feinte se mêle à des anathèmes qui ont fait tant de mal à notre pays.
A partir d’une vidéo mise en ligne le 16/02/2018 par Zaha Boo, fille de feu Boniface Ngulinzira, ancien ministre des Affaires étrangères du Rwanda tué pendant le génocide de 1994, un jeune rwandais Ruhumuza Mbonyumutwa, membre de l’association Jambo ASBL, par ailleurs fils d’un ancien ministre et petit-fils de Dominique Mbonyumutwa, premier président de la République rwandaise, a interpellé sa compatriote pour lui faire part de sa vision des choses.
Mbonyumutwa Ruhumuza
« Bonsoir Zara Boo, j’ai regardé attentivement (à deux reprises) ta vidéo et te remercie vivement d’avoir pris la peine d’exposer aussi pédagogiquement ton point de vue.
Je fais partie de l’ASBL Jambo et tenais à réagir mais à titre personnel.
Il y’a de cela quelques années, lorsque j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire de notre pays, j’étais très passionné car j’étais dépassé et voulais comprendre comment de telles choses avaient été possibles, comment de tels sommets de l’horreur avaient pu être atteints. J’ai, dans un premier temps, passé des nuits blanches entières à regarder tous les documentaires qui avaient alors été publiés sur le Rwanda, à lire différents livres ou suivre les travaux du TPIR pour tenter un peu de comprendre ce qui me paraissait alors totalement incompréhensible.
A côté de cela, je souhaitais échanger avec le plus de personnes possibles, ayant des opinions diverses et un vécu différent et ce que j’ai rapidement trouvé dommage est le fait que souvent quelque soit le dossier touchant au Rwanda, les contradicteurs (du moins sur les réseaux sociaux) adoptent une posture de confrontation qui cristallisent les positions antagonistes alors que si on adoptait plus souvent une posture d’échange, visant à écouter avec le moins d’à priori possible le point de vue de l’autre, on se rendrait souvent compte que les différents points de vue ne sont pas si éloignés qu’on le pense (sauf bien entendu pour ceux qui ont des intérêts personnels ou politiques dans l’issue des débats et qui très souvent les faussent) .
Ce que j’ai apprécié dans ta vidéo et qui me pousse à réagir (même si l’objectif direct n’était sans doute pas de répondre ou d’échanger avec des membres de Jambo), c’est le fait qu’elle est argumentée et que tu fais part de manière développée des points qui te mettent mal à l’aise dans la démarche entamée par l’association. Cela contraste fortement avec la démarche de qualifier des personnes de « négationnistes » (ou pire encore) sans même leur expliquer les raisons, ce qui pousse les uns les autres à camper sur leurs positions.
Concernant le fond du sujet, à savoir la proposition de loi en question, je pense qu’il convient d’abord de préciser que ce n’est pas parce qu’une proposition de loi a un objectif très noble (en l’occurrence pénaliser la négation du génocide perpétré contre les Batutsi) qu’elle ne peut pas être améliorée ou qu’elle ne comporte pas certains dangers auxquels il faut faire attention avant son adoption et je pense qu’en tant que belgo-rwandais, c’est un devoir citoyen de contribuer à la réflexion.
Lorsque la proposition de loi a été rendue publique le 24 juillet 2017 par le Député Gilles Foret, nous avons été interpellés par toute une série d’éléments sur lesquels nous avons souhaité ouvrir publiquement le débat.
Contrairement à ce qui a été véhiculé sur les réseaux sociaux, à aucun moment, notre dossier n’a eu pour objet de revenir sur le génocide perpétré contre les Batutsi en 1994 qui est un fait établi. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a d’ailleurs fait un constat judiciaire du génocide dans sa décision du 16 juin 2006, constat qui vide tout débat à ce sujet. La reconnaissance d’un génocide par un tribunal pénal international mandaté par l’ONU est en effet la plus grande forme de reconnaissance qui peut exister pour un tel crime.
Lorsque le premier projet de la proposition a été publié, nous n’étions, pas la seule association qui était interpellée par son contenu. Ibuka avait par exemple également formulées certaines préoccupations concernant le projet, dont certaines rejoignaient les nôtres.
Je pense par exemple au fait que dans un premier temps, les victimes n’étaient pas nommées, ou au fait qu’il valait mieux éviter d’utiliser certains termes comme « Hutus modérés » dans une loi.
L’auteur de la proposition a reçu toutes ces critiques et les a accueillies très positivement et au mois de septembre, il a adapté son projet, dans un sens qui est pleinement à saluer au niveau du contenu. Les victimes étaient cette-fois ci nommées, ce qui permettait d’éviter que le grand public en retienne des expressions floues comme « génocide rwandais » qui n’ont aucun sens d’un point de vue juridique ou historique. Certains termes comme « Hutu modérés » que nous jugions stigmatisants ont été complètement supprimés de la proposition de loi.
La question qui restait consistait dès lors à savoir quels types de propos seraient constitutifs du délit de négation du génocide les Batutsi. Sur cette question nous avions encore des inquiétudes étant donné qu’au Rwanda actuellement, c’est un délit qui est plus utilisé pour museler les propos qui dérangent plutôt que pour véritablement protéger la mémoire des victimes du génocide.
Je ne sais pas si sur ce point des exemples sont nécessaires mais si jamais je citerais certains des cas les plus flagrants comme celui de Déogratias Mushayidi, rescapé du génocide au cours duquel il a perdu l’ensemble de sa famille et qui lors de son procès a pourtant été accusé de négationnisme par le parquet au motif qu’il avait affirmé le FPR avait abattu l’avion.
Je peux encore citer le rapport du parlement rwandais (on ne parle pas ici d’individus isolés sur les réseaux sociaux mais bien du parlement national) « sur les injustices commises contre le Rwanda sur base de l’insécurité à l’est de la république démocratique du Congo » publié le 6 mars 2013 qui accuse par exemple tous azimuths des juges (le Juge espagnol Merelles), des journalistes (souvent des journalistes occidentaux qui critiquent le régime), des opposants (quasiment l’ensemble des principaux opposants) , des académiciens, et même le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme de l’Onu (en raison du rapport mapping) de négationnisme. Parfois les raisons pour lesquelles ces personnes ou institutions sont accusées de négationnisme ne sont même pas liées au génocide de 1994 mais par exemple font suite à des accusations de crimes qu’elles formulent à l’encontre du FPR sur le territoire de la RDC.
C’est notamment en raisons des risques d’instrumentalisation d’une telle loi à des fins politiques qu’on souhaitait que le débat continue, de manière contradictoire avec notamment la présence d’Ibuka, de la Commission nationale rwandaise de lutte contre le génocide, de politiques belges (pour et contre la loi), d’académiciens (pour et contre la loi), c’était cela l’objet de notre conférence. On souhaitait que soient au préalable (avant l’adoption de la loi) déterminés quels types de propos relèveraient du négationnisme et quels types de propos relèveraient de l’opinion dissidente, étant donné qu’actuellement les deux ont tendance à être mélangés.
Par exemple dans le cadre du débat, une vidéo telle que celle que tu as faite pourrait être extrêmement intéressante en ce qu’elle présente un point de vue de quels types de propos devraient être sanctionnés par la loi.
C’est d’autant plus intéressant qu’elle peut susciter le débat avec des personnes pour et des personnes contre.
Pour ma part, il y’a des éléments avec lesquels je ne suis pas en accord avec toi sur la question, je pense par exemple que ta prémisse qui consiste à prendre les éléments constitutifs de la négation de la shoah pour les appliquer tels quels au génocide perpétré contre les tutsis est erronée.
Pour donner un exemple simple, une personne qui dirait que «les chambres à gaz sont un détail de l’histoire » serait négationniste dans le cadre de la shoah mais pas dans le cadre du Rwanda.
Un autre exemple concret du cas rwandais qui peut être sujet à débat et que tu évoques dans ta vidéo est celui de la planification. A nouveau en faisant le parallélisme avec la shoah, tu considères qu’une personne qui dirait qu’il n y a pas eu de planification serait négationniste, et devrait par conséquent être sanctionnée par la loi.
Pour ma part, je pense qu’on a énormément de reproches à formuler à l’égard de l’ONU aussi bien pour son inaction en 1994 que pour sa gestion d’après (notamment les critiques qu’on peut formuler contre le TPIR) mais il est un fait, que grâce aux travaux du TPIR on a pu faire un pas en avant sur certaines questions. C’est à lui qu’on doit d’avoir fait le constat du génocide et ses travaux nous permettent d’un peu mieux comprendre son déroulement et ses causes. En ce qui concerne la planification, ce dernier ne l’a retient pas dans ces jugements, ayant acquitté ceux qui étaient considérés comme les planificateurs génocide dont « le cerveau » du crime « d’entente au vue de commettre un génocide ».
Dès lors pour moi, il serait complètement erroné de qualifier (et sanctionner judiciairement) une personne (citoyen, académicien, journaliste) de négationniste, simplement parce qu’elle dit que pour elle il n y a pas eu de planification.
Toi tu as une opinion inverse et c’est ce genre de débats qu’on voudrait mener dans l’enceinte parlementaire pour que le législateur belge, qui sera le seul à trancher en bout de course, tranche dans l’intérêt général en ayant recueilli l’ensemble des points de vue.
C’est donc dommage que les échanges des derniers jours sur le sujet de cette conférence partent dans tous les sens alors que je pense que le débat qu’on souhaitait mener est un débat citoyen sain et me semble être dans l’intérêt général.
Et voici la réponse de Zara Boo
« Bonjour Mbonyumutwa Ruhumuza. Merci pour ce message même s’il est kilométrique…?
J’ai fait cette vidéo pour justement vous dire pourquoi je vous considère comme négationnistes avant que l’on ne m’accuse -même si c’est fait ?- d’être propagandiste. Je peux comprendre que vous n’êtes pas d’accord sur son contenu-le contraire m’aurait étonnée- mais au moins cela vous aura éclairé sur le fait que ce n’est pas sans arguments qu’on vous considère comme extrémistes. Que ce n’est pas un n-ème complot contre les opposants de Kagame.
Outre le concept de la diaspora hutu qui m’avait particulièrement choquée et pour lequel j’avais contacté l’institut National Belge des Statistiques pour connaître l’approche officielle de la Belgique sur les ethnies, il y a également un autre texte qui parle des have nots du Rwanda, plus particulièrement de la femme hutue…Pourtant vous n’avez jamais écrit un seul article sur la misère que le génocide a laissée aux rescapés tutsis. Peut – être même qu’il aurait suffi d’écrire sur les have nots du Rwanda en général mais vous avez une approche ethniste qui est particulièrement extrême.
Comme vous le savez, à maintes reprises, j’ai souvent dénoncé sur mon mur les écrits de votre association que je considère négationnistes à tout point de vue.
Je connais votre organisation de près et de loin. Je lis vos écrits et tous tournez toujours dans la même sphère. Défendre les génocidaires sans en dénoncer un seul.
De par vos écrits, vous blessez les rescapés du génocide perpétré contre les tutsis. Vous blessez les familles d’opposants en écrivant des analyses rocambolesques sur comment ils sont morts et parfois je me demande même si vous vous relisez. Vous envoyez cette image d’extrémistes qui accourent chaque fois qu’on arrête un génocidaire pour dire qu’il est innocent. Soyez un peu sérieux. Il y a des coupables qui ont du sang jusqu’aux dents. Pas qu’un, pas deux, pas trois. Beaucoup de cadres hutus qui ont trempé dans ce génocide. Le génocide n’aurait pas été possible sans leur consentement. Et votre silence face à cela est assourdissant.
Et le génocide perpétré contre les tutsis, maintenant que vous êtes dans le collimateur, ENFIN vous l’appelez ainsi. Jamais auparavant je n’ai lu ce nom sur votre site internet.
C’est pour cela que, même si c’est votre droit/devoir de citoyen, c’est hallucinant de voir que c’est vous qui allez débattre une loi qui punit le négationnisme alors que vous faites quelque part parti du problème.
Un peu comme si….l’association de toxicomanes allait débattre sur une loi interdisant la cocaïne.
Les seuls rescapés de génocide des tutsis que vous acceptez de citer, ce sont ceux qui sont en prison au Rwanda et qui se sont opposés ouvertement le FPR. Comme vous avez par exemple cité Deo Mushayidi. Un peu comme s’ils s’étaient rachetés face à vous en s’opposant au FPR. Mais les autres existent aussi vous savez. Peu importe leurs opinions politiques d’aujourd’hui ou pas, elles existent. Et ils ont subi un génocide.
Spécifiquement sur la loi sur la négation du génocide perpetré contre les tutsis, ma franche indignation se porte sur l’annexe 2 que j’ai largement exposé dans la vidéo et sur les deux questions auxquelles Jambo News a répondu par la négative : la loi n’est ni opportune dans son proncipe ni dans son contenu. C’est lamentable.
L’annexe 2, je l’avais dénoncé dès le lendemain de sa publication sur le site de Jambo news, il y a quelques mois. Je vous avais mis en garde sur ce texte oh combien outrageant mais…vous n’avez pas écouté. Vous avez daigné le débattre au Parlement. C’est votre décision.
16/02/2018 19:00:05: ROSE HABY: Je précise également que votre opposition au FPR est un droit que je ne vous conteste pas. J’irais même loin, je dirais que c’est un devoir car à tout pouvoir il faut un contre-pouvoir. Mais ma foi, j’en connais de grands opposants qui ne sont pas négationnistes pour autant qui ne révisent pas l’histoire du Rwanda au profit des génocidaires comme vous le faites.
Pour pousser les réflections et créer un monde meilleur, les gens utilisent beaucoup de moyens. Des débats, des silences, des boycott.
Je pense qu’il faut boycotter votre débat parce que, même si vous en avez le droit, vous êtes assez mal placés pour le conduire d’une manière qui puisse rendre justice aux rescapés. Pour ma part, je soutiens ce boycott, et vous ne verrez absolument pas ma petite bouille.
J’espère que vous vous rendez compte que vous êtes dans un grand tournant de l’histoire de votre association. Il y aura la période d’avant et celle d’après. J’attends celle d’après avec impatience, parce que vous avez des choses à réparer. Comme vous le dites si bien soyez maîtres de votre propre destin, liberez vous de l’endoctrinement de la vielle génération qui vous fait tant de torts. »
http://www.france-rwanda.info/2018/02/rwanda-a-t-on-le-droit-de-d-organiser-un-debat-sur-le-negationnisme-du-genocide-des-tutsi.html
Posté le 22/02/2018 par rwandaises.com