Saisis du dossier de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, les juges Herbaux et Poux, qui ont pris la relève du juge Trevidic, doivent clôturer cette semaine les trois mois d’instruction supplémentaire qui leur avaient été donnés. Rappelons que, selon les conclusions initiales du juge Trevidic, l’avion Falcon du président Habyarimana avait été abattu le 6 avril 1994 par le tir de deux missiles portables de type SAM 16 tirés de la zone du camp militaire Kanombe, proche de l’aéroport de Kigali, un lieu totalement contrôlé par la garde présidentielle rwandaise.
Le capitaine Guillaume Ancel, qui vient de témoigner à propos des ambiguïtés de l’Opération Turquoise, (1) auprès de laquelle il avait été détaché au titre de spécialiste du guidage aérien, avait commencé sa carrière militaire par l’expérimentation des missiles portables Mistral.
Portant un regard professionnel sur le dossier judiciaire, il nous a communiqué quelques unes de ses observations opérationnelles. Rappelant que le tir a eu lieu de nuit, dans des conditions difficiles, il estime que « l’origine des tirs dans un camp militaire rwandais, où stationnait le bataillon para commando, laisse peu de doute sur le « camp des tireurs ». Du reste, les flammes de départ des missiles, très visibles de nuit, sur plus de 100 mètres, auraient laissé peu de chances de s’échapper à des tireurs isolés qui se seraient introduits dans le camp. »
Pour Ancel « il s’agissait d’une opération sophistiquée, complexe à réaliser et nécessitant un entraînement poussé. Les missiles doivent être parfaitement entretenus, le système de guidage infrarouge nécessite un balayage régulier à l’argon ou l’azote, ce qui n’est pas à la portée de miliciens désorganisés. L’opération n’a pu être réalisée que par un commando d’au moins cinq hommes, parfaitement entraînés, ayant eu l’occasion de vérifier sur place le créneau de tir, la visibilité réelle, les obstacles éventuels sur la trajectoire. Autrement dit, l’équipe de tir devait être assurée de complicités fortes avec les autorités militaires, qui mirent aussi en place un dispositif de protection et un éclairage minimum, de même qu’elles assurèrent l’exfiltration des tireurs. »
Le capitaine Ancel se gausse de la « trouvaille » de deux tubes de lance missiles, une découverte propagée par la suite par la DRM (direction générale du renseignement militaire) et abondamment reprise par des auteurs français et belges « les tireurs auraient tout aussi bien laisser la facture et une carte de visite….Puisqu’abandonner sur place les tubes vides cela signifie vouloir marquer son tir, les équipes entraînées rapportent systématiquement ces pièces là… »
Qui pourraient bien être les tireurs d’élite ? « Je ne crois pas qu’une telle action aurait pu être réalisée par des militaires français du DAMI (Département des actions militaires à l’étranger) car la crainte aurait été trop forte de les voir parler, tôt ou tard. Je pense plutôt à une équipe originaire d’Europe de l’Est (Bulgares, Tchèques ou Allemands). Après la fin de la guerre froide, des militaires de ces pays, très au fait du maniement des missiles SAM, étaient nombreux à proposer leurs services. (ndlr. en 1997 les Français recrutèrent d’ailleurs des combattants serbes pour aller se battre à Kisangani) Si l’opération a été réalisée par une équipe de spécialistes étrangers, des mercenaires, ces derniers ont probablement été liquidés à la fin de leur contrat, afin d’éviter toute fuite. »
Pourquoi des Français auraient ils souhaité la disparition de leur allié, le président Habyarimana ? Pour le capitaine Ancel, « il ne s’agissait pas de déclencher un génocide (même si les risques étaient connus) mais de se débarrasser d’un président qui échappait à leur contrôle (à Arusha en Tanzanie, le président venait de céder aux pressions) et de reprendre la maîtrise de la situation via les extrémistes hutus et leur chef le colonel Bagosora. » Rappelons qu’à l’époque le général Dallaire, qui commandait la force onusienne eut lui aussi l’impression d’assister à un coup d’Etat mené par la faction hutue extrémiste.
L’ancien officier rappelle cependant qu’ à Paris, la suite de l’opération fut alors bloquée par le gouvernement de cohabitation (le Premier Ministre Balladur s’opposait à la cellule africaine de l’Elysée). Le général Tauzin, qui commandait à l’époque le premier régiment parachutiste d’infanterie de marine, l’une des principales unités d’intervention des forces spéciales, raconta dans ses mémoires qu’aussitôt après l’assassinat du président Habyarimana, c’est en vain qu’il attendit longuement l’ordre de décollage alors qu’il était prêt à s’envoler pour Kigali.
Guillaume Ancel en conclut : «l’étincelle avait été jetée, l’incendie avait éclaté et se propageait, mais nous étions incapables de l’éteindre… » Pour lui, la mort soudaine de François de Grossouvre, proche conseiller du président Mitterrand, le surlendemain de l’attentat, est liée à ce dernier.
Près d’un art de siècle après les faits, Ancel considère que ce « mensonge d’Etat » représente toujours une sorte de « Tchernobyl de nos relations avec l’Afrique » et que seule l’ouverture totale de toutes les archives pourrait enfin permettre l‘établissement de la vérité. « A propos de Turquoise, le secret « militaire » est toujours évoqué, une aberration, puisque, en principe, il s’agissait d’une opération « humanitaire… ».
A chaque demande, Mme Bertinotti, mandataire exclusive du Fonds Mitterrand, répond, par écrit, que ces archives sont « ouvertes, mais non consultables ».
ttentat
(1)Guillaume Ancel, Rwanda, la fin du silence, témoignage d’un officier français, édition Les belles Lettres
http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/
Posté le 20/03/2018 par rwandaises.com