Analyse : Les migrations sont la conséquence de conflits, du changement climatique et de problèmes économiques, mais pas seulement. Explications. Par Papa Demba Thiam*

Papa Demba Thiam © Leo Paul RIDET

En Europe, classes politiques et gouvernements se sont récemment divisés sur l’accueil de 630 migrants africains sauvés de noyade en mer. Trois semaines après la formation d’un gouvernement antisystème en Italie ! En même temps, 2 000 enfants étaient séparés de leurs parents immigrés clandestins, à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Le résultat, 2 630 fois répété, d’un certain mode d’administration de la globalisation de l’économie mondiale, généralement décrié. Il s’agit là de deux manifestations du désarroi de dirigeants, face à la déferlante migratoire.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, de plus en plus de dirigeants, en Europe et ailleurs, font tout pour protéger leur pouvoir, cédant petit à petit aux thèses de mouvements populistes d’autant plus forts que la pauvreté se développe aussi dans leurs pays. De fait, les pauvres de pays dits en développement, sans espoir de s’en sortir par des alternances politiques démocratiques, émigrent au péril de leurs vies. Leur présence en pays riches crée des tensions budgétaires, alimente des problèmes sociaux et politiques. De quoi précipiter nombre de pays occidentaux dans des alternances en faveur de formations populistes et xénophobes à plus d’un égard.
Pourtant, je ne connais pas un seul pays africain dont les populations sont pauvres au point de le fuir qui ne soient fondamentalement riche en potentiels de croissance inclusive pouvant générer le plein-emploi et même importer de la main-d’œuvre pour satisfaire les besoins des circuits économiques productifs. Donnez-moi le nom de n’importe quel pays africain et je vous dirai sur quoi bâtir sa croissance inclusive, par quelle stratégie transformer ses contraintes en opportunités économiques ainsi que l’identification et la gestion des risques (y compris les risques politiques) en instruments de promotion des investissements au travers de partenariats stratégiques sur les chaînes de valeurs.

Le sous-développement n’est pas prédestiné

Parce que le sous-développement n’a jamais été et ne sera jamais une affaire de pays riche ou de pays pauvre. Cette prédestination n’est inscrite dans l’ADN d’aucun pays et, certainement pas du fait de sa dotation naturelle ou de sa pauvreté en facteurs de production. Des populations sont devenues globalement riches sans richesses enfouies dans leurs sous-sols, étalées sur leurs sols ou charriées par leurs mers et océans. D’autres populations se sont globalement et massivement appauvries et pourraient continuer de s’appauvrir tout en étant assises sur des tas de richesses potentielles improprement et/ou pas exploitées pour le bien de tous.

Haro sur la bureaucratie

Cependant, de mauvaises politiques économiques et une culture installée de prédation ainsi que la prégnance des structures qui en découle finissent par fabriquer de la pauvreté pour tous, ce qui alimente migrations et populismes, au travers de l’administration des programmes de développement par des bureaucraties institutionnelles dévoyées. C’est comme si ces institutions bureaucratiques fabriquaient des problèmes pour ensuite s’arroger l’autorité exclusive de les résoudre y compris par la transhumance institutionnelle, facteur d’harmonisation et de reproduction de pratiques contraires à la mission de ces institutions, qui sont financées par les sacrifices du contribuable international.

Tout le monde est perdant

Comment peut-on attendre des résultats différents d’approches opérées par les mêmes personnes, systèmes et structures ? Il est temps que politiciens et gouvernements de pays donateurs se réveillent, parce que tout le monde est perdant de confier le destin économique et social de ce monde globalisé et solidaire à des fonctionnaires d’institutions qui ne rendent pas de compte de leurs actions. C’est aussi en cela, que cette pratique du « Multi-Bi », laquelle fait que les fonctionnaires de structures de coopération bilatérale s’en remettent aux institutions bureaucratiques de développement, pose un très sérieux problème de reddition des comptes aux généreuses populations des pays donateurs.
Il importe de retenir qu’un pays devient riche ou pauvre en fonction de l’évolution de ses structures économiques et sociales comme le corps humain peut être disposé à développer où à résister à une maladie, en fonction d’un certain nombre de facteurs acquis et en dynamique interactive avec d’autres facteurs et paramètres dans son environnement. Or, force est de constater que les structures économiques et sociales sont le fait de l’action humaine, en dernière instance.

Quel rôle pour les populations ?

Une question fondamentale est alors celle de savoir dans quelles directions les structures socio-économiques générées par des politiques économiques et sociales, amènent les populations de nos pays. Ces populations vont-elles avec le vent avec des destins de feuilles mortes ? Ou sont-elles actrices et bénéficiaires de politiques de développement économique et social qu’elles se sont appropriées ? La paix et/ou les tensions sociales sont solidaires des réponses à ses questions, d’où l’analogie de la marmite sociale qui bout et a fini par exploser depuis longtemps dans beaucoup de pays pauvres. Actuellement, elle est en train de bouillir dans plusieurs pays riches entraînant une faible longévité des gouvernements et une densification des revendications sociales et catégorielles qui ne peuvent pas manquer d’impacter les appareils productifs.

La délégation aux bureaucrates d’organiser la mise en oeuvre de décisions très importantes conduit à dépouiller les élus et à biaiser la démocratie. Ici, un Kenyan dans le bidonville de Kibera, à Nairobi.
© Tony Karumba / Afp

Distribuer de la pauvreté

Ceci est une question d’équilibre dynamique. Ainsi, l’important est de savoir si à un moment donné de l’histoire d’un pays, la masse des facteurs qui déterminent la marche de la majorité de ses populations vers la pauvreté (structures de sous-développement) est supérieure ou inférieure à celle vers la richesse partagée (structures de développement). Car distribuer de la croissance pas assez et/ou n’est pas inclusive conduit à distribuer de la pauvreté. C’est ce qui se passe aujourd’hui dans beaucoup de pays que l’on continue de dire riches, dans les rapports sur le développement de toutes sortes. Cela amène à se demander, pour certains de ces pays, sur quoi baser l’espoir de création de richesses pour financer les déficits publics et rembourser la dette publique, quand la politique dominante reste celle de déshabiller Paul pour habiller Jean, en même temps que l’on vend les bijoux de famille pour faire fonctionner l’État et financer les politiques sociales. C’est ce que savent faire le mieux, certaines institutions bureaucratiques et les gouvernements qu’elles inspirent.

Faire des choses simples

Le travail des institutions financières multilatérales est en grande partie, basé sur le principe de faire, avec un langage simple, des choses simples avec lesquelles n’importe que fonctionnaire serait à l’aise. L’essence même de la bureaucratie inspirée des modèles de division du travail automatisée par la production de masse, avec la révolution industrielle du 18e siècle ! C’est ce qui est derrière la notion de fongibilité qui fait qu’une recrue d’une institution est acceptée ou rejetée par le système. Pourtant, s’il fallait trouver des solutions simples aux problèmes de développement qui sont complexes par nature, les institutions multilatérales auraient fini leur mission depuis longtemps. Au contraire, ces problèmes s’aggravent.

Une réalité, des mots…

Après les indépendances africaines, la mission des institutions multilatérales était l’aide au développement. Dix ans plus tard, on est passé à l’assistance technique. Une décennie après, est venue l’aide humanitaire. Après venait l’éradication de la pauvreté . Puis cette ambition a dégénéré en réduction de la pauvreté. Aujourd’hui, l’ambition des institutions financières multilatérales est l’élimination de l’extrême pauvreté. Que de progrès accomplis dans la création de problèmes à résoudre alors que l’action ou l’inaction ne laissent pas les structures socio-économiques invariantes dans un monde interdépendant.
En fait, l’un des gros problèmes du multilatéralisme actuel (personne ne remet en cause la nécessité de la multilatéralisation en soi), c’est qu’on y a institutionnalisé, centralisé et bureaucratisé leurs modes opératoires, tout autant que des politiques improprement dites de développement, ce qui est une perversion même de la notion de politique de développement.
Parce qu’une politique développement se fonde, par définition, sur la résolution permanente des contraintes, ce que les bureaucrates détestent, étant par définition, des fonctionnaires qui veillent à administrer des procédures. On ne peut pas leur en vouloir de faire leur travail. Parce qu’une institution est faite pour résister au changement, comme son nom l’indique. Alors que nous avons besoin d’entrepreneurs en développement pour changer le destin de nos populations.

Les bureaucrates règnent sur le destin du monde

Ces entrepreneurs en développement sont des leaders dans leurs secteurs d’expertise. D’ailleurs, certains d’entre eux essaient de changer de l’intérieur, le mode opératoire des institutions multilatérales, en participant à la conception et à l’exécution de projets innovants, pertinents et en phase avec la mission déclarée de ces institutions.

Mais, dans une institution normale, cette situation crée forcément une cohabitation presque impossible, entre gardiens du temple (bureaucrates) et agents de changement (leaders). Les bureaucrates s’assurent que les choses sont faites en fonction de procédures établies et inamovibles, tandis que les leaders veulent que ce soient les bonnes choses qui soient faites, quitte à se libérer du carcan de procédures inappropriées. Cette confrontation tourne presque toujours à l’avantage des bureaucrates. C’est pourquoi une institution n’est pas structurellement formée pour s’occuper de politiques de développement. Ce sont pourtant ces bureaucraties institutionnelles qui règnent sur le destin du monde. Les politiciens élus par leurs peuples ne gouvernent presque plus, d’où les sentiments de trahison et les frustrations populaires qui installent les populistes au pouvoir.
Quand on observe de près la chaîne de maîtrise des opérations et des décisions dans une institution bureaucratique-type, on constate qu’en réalité, les électeurs sont gouvernés par des fonctionnaires, souvent inconnus du grand public. Les élus cèdent ainsi leurs prérogatives supposées aux institutions qui, à leur tour, les délèguent à des administrateurs. Ces administrateurs les confient à des fonctionnaires et, en fin de compte, ce sont ces derniers qui préparent les décisions qu’on fait graduellement remonter jusqu’aux décideurs finaux qui les ratifient.
C’est l’essence même d’une institution bureaucratique où on peut porter des titres d’expertise comme on porte un grade, ce qui fait qu’un ingénieur peut y devenir un économiste-pays sans être économiste de formation. Mais il prend des décisions dans ce domaine d’expertise qui n’est pas le sien, parce qu’il en a l’autorité institutionnelle. Ce faisant, les vrais experts sont écartés, parce qu’ils représentent une menace pour leurs dirigeants-gardiens du temple.

Une adaptation de l’environnement aux capacités des bureaucrates

Quand une situation apparaît complexe aux bureaucrates chargés de résoudre des problèmes complexes comme ceux de développement économique et social, ils simplifient la perception de cette situation pour l’adapter au simplisme de leurs moyens conceptuels d’intervention. En occupant le terrain du développement par la centralisation et la monopolisation des moyens financiers et « intellectuels », les fonctionnaires des institutions bureaucratiques peuvent dicter leur conduite aux gouvernements qui sont financièrement assujettis par l’endettement public.
C’est ainsi que dans le cadre des Programmes d’ajustement structurel (PAS) et pour seulement résoudre des problèmes budgétaires, des institutions bureaucratiques ont même poussé des gouvernements à démanteler et/ou à ne pas entretenir des structures de développement, ce qui a contribué à détruire le tissu économique de ces pays et fabriqué pauvreté, migrations et populismes.

*Papa Demba Thiam en quelques mots
À la fois professeur, chercheur et investisseur, entrepreneur privé pour le développement des chaines de valeurs, avant de travailler comme consultant international au service des gouvernements suisse et allemand, le Dr. Papa Demba Thiam a été coordonnateur puis directeur de projets pour le developpement du secteur privé et du commerce dans les pays ACP (Afrique Caraïbes Pacifique) en liaison avec l’Union Européenne, consultant international auprès de l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI) et auprès de la Commission Européenne, fonctionnaire à l’Organisation de Coopération et Développement Économique (OCDE) et économiste principal au Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest. De Mai 2003 à Octobre 2016, le Dr. Thiam a été fonctionnaire à la Banque Mondiale avant de quitter cette dernière institution en retraite anticipée. Il développe actuellement des services de conseils en partenariats stratégiques Public-Privé sur les chaînes de valeurs en développement industriel fondés sur la transformation des ressources locales y compris par le développement d’agglomerations industrielles urbaines liées aux économies nationales, les parcs industriels multifonctions et les parcs agro-industriels.

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Posté le 04/07/2018 par rwandaises.com