Lorsque le président Macron a lancé l’idée d’une restitution des biens culturels africains dans un délai de cinq ans, le musée du Quai Branly n’a pas été le seul à frémir. A Tervuren aussi, à la veille de la réouverture du Musée de l’Afrique, un souffle d’effroi est passé. Car, avec ses 180.000 pièces d’origine africaine, venues essentiellement du Congo, le musée créé par Léopold II est l’un des plus riches du monde et c’est toute la culture du bassin du Congo qui se trouve exposée dans les armoires de bois tropical ou dans des caves immenses où des chefs d’œuvre soigneusement rangés et répertoriés dorment dans les tiroirs…Au Congo aussi, les demandes de restitution sont anciennes : en 1955 déjà, lorsque les premiers visiteurs venus de la colonie arrivèrent à Bruxelles, ils dénoncèrent, en termes prudents, l’ « expatriation » de leur patrimoine. En avril 1960, à la veille de l’indépendance, la restitution du œuvres saisies par les administrateurs coloniaux, les militaires ou les missionnaires faisait partie des revendications congolaises

tandis que les Belges assuraient que les Congolais étaient « immatures », incapables d’accueillir dans de bonnes conditions des pièces dont Tervuren aurait été le « refuge ».
Au cours des années 70 cependant, le président Mobutu fut entendu et 1042 pièces quittèrent Tervuren pour l’Institut des musées nationaux du Zaïre et en particulier le musée installé dans le domaine de la N’Sele à Kinshasa, sur lequel veillent des statues de Léopold II et de Stanley, grandeur nature. Evitant le terme « restitution » on parla alors de « cadeau », au titre des bonnes relations avec le Maréchal et certains spécialistes avancèrent que les œuvres cédées n’auraient pas été de premier plan…Au moment de la chute du régime Mobutu en 1997, alors que les troupes de l’AFDL conduites par Laurent Désiré Kabila envahissaient la ville, plusieurs dizaines de pièces disparurent et les plus belles furent emportée manu militari, malgré les efforts du personnel de la N’Sele qui prit des risques pour les protéger face à des hommes qui semblaient en service commandé…Par la suite certaines pièces furent identifiées à Bruxelles, mises en vente au Sablon…
De 1970 à 1975, sous l’ impulsion du président Mobutu et de son conseiller belge le major Powis, les autorités de Kinshasa organisèrent une grande « collecte » à travers tout le pays afin de rassembler des pièces significatives du patrimoine culturel et de faire en sorte que chaque province soit représentée dans le futur grand musée national. Mais jusqu’aujourd’hui, sur les 500 tribus que compte la RDC, une centaine seulement, les plus grandes sont représentées par leurs créations artistiques. C’est durant les années 70 aussi que le musicologue belge Benoît Quersin récolta à travers le pays une impressionnante collection d’instruments de musique.
Jusqu’aujourd’hui, les demandes de restitution, émanant essentiellement de la diaspora congolaise, se heurtent à de sérieuses objections : il est fait état des vols qui ont fait disparaître des objets restitués en 1970, du mauvais état du musée de la N’Sele, de la relative indifférence du public congolais lui-même, de l’absence, à Kinshasa, d’un musée digne de ce nom. Qu’en est il exactement ?
D’ici juin 2019, la dernière objection sera caduque : au cœur de Kinshasa, sur le « Boulevard Triomphal » qui longe l’Assemblée nationale, l’agence de coopération de la Corée du Sud, achève la construction d’un vaste musée qui devrait accueillir les œuvres actuellement logées à la N’Sele ainsi que des productions contemporaines. Pour l’instant, les bâtiments en train de s’ériger sont jalousement protégés, aucune visite n’est autorisée et les informations disponibles sont rares. Selon certaines sources, la Corée du Sud se serait surtout chargée du « gros œuvre » et elle remettra à la RDC un bâtiment « clé sur porte » qu’il s’agira ensuite d’aménager afin que les œuvres soient mises en valeur et conservées dans de bonnes conditions. Guido Grysseels, le directeur du Musée de Tervuren, s’attend déjà à des demandes congolaises en ce sens et se montre disposé à les examiner favorablement : « il est évident que nous proposerons notre expertise en matière de conservation, d’hygrométrie, de présentation… »Grysseels, en prévision des probables demandes de restitution, se dit également disposé à imaginer des formules d’expositions temporaires, des prêts ou des rapatriement de pièces que Tervuren posséderait en plusieurs exemplaires.
Quant au musée de la N’Sele, tel qu’il existe aujourd’hui, son état confirme les objections de ceux qui s’opposent aux restitutions. Les deux salles ouvertes au public sont relativement bien entretenues et elles sont surtout ouvertes à un public scolaire, qui découvre les présentations assez didactiques des œuvres représentant les diverses tribus du pays. Malgré la bonne volonté du personnel, en poste depuis les années 70 et qui se plaint d’être sous payé, le musée de la N’Sele a les dimensions d’une institution de province, bien en deçà de la formidable production culturelle qui caractérise le Congo et aucune place n’est réservée aux artistes contemporains, qui sont d’ailleurs totalement ignorés par les plus hautes autorités du pays, le mécénat étant toujours inconnu en RDC….
A côté des salles d’exposition, d’autres bâtiments couverts de tôle ondulée abritent des œuvres venues de l’intérieur du pays, masques, instruments de musique, grandes statues et autres artefacts. Leur état est lamentable : lorsqu’il pleut, de larges flaques d’eau s’élargissent entre les étagères et les pièces sont mouillées, lorsque la journée est ensoleillée, on voit la poussière danser sur les rayonnages, qui sont parfois protégées par des pièces de tissu ou de mousseline épinglées sur les montants de bois. Le personnel, navré, montre les ravages des termites qui rongent les statues, les plaies laissées par l’humidité et souligne que, dans l’atelier de réparation, tout manque, la colle, les spatules, les produits insecticides tandis que des interventions intempestives, à l’aide de white spirit par exemple, ont définitivement abîmé certaines pièces…
L’impression d’abandon, de dénuement que dégagent les lieux confirme la réflexion de certains membres du personnel : intellectuellement séduits par l’idée d’un retour des œuvres, ils estiment que, pour le moment en tous cas, la sécurité de ces dernières est mieux garantie à Tervuren et que les Sud Coréens doivent encore faire leurs preuves.

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Posté le 27/11/2018 par rwandaises.com