A la veille de son retour à Kinshasa où il est attendu le 22 novembre, jour de l’ouverture de la campagne électorale, c’est un Martin Fayulu plein d’allant qui nous a reçu à Bruxelles, avant d’enchaîner les rendez vous avec des représentants de l’Union européenne. Visiblement l’homme n’a pas été échaudé par la défection, dans les heures ayant suivi leur signature, de deux « poids lourds » de l‘opposition, Vital Kamerhe, président de l’UNC (Union démocratique pour le Congo) et Felix Tshisekedi qui était le candidat désigné par l’UDPS, (Union pour la démocratie et le progrès social). Même s’il ne sera plus le « candidat unique » de l’opposition, Martin Fayulu croit en ses chances de battre dans les urnes Emmanuel Shadary Ramazani, le « dauphin » présenté par le président Joseph Kabila.
Mais avant tout, le président du parti Ecide a tenu à revenir, en termes mesurés, sur le processus de vote par lequel, à Genève, il a été élu comme le candidat représentant l’opposition.
« Alors que nous nous étions mis d’accord pour choisir un candidat commun, une ONG sud africaine, ITI (International Transformation Initiative) est venue à Kinshasa, a contacté les quatre candidats qui étaient en lice, afin de nous rassembler. A chacun la même question a été posée : êtes vous candidat, et si un autre que vous est choisi comme candidat commun êtres vous d’accord pour le soutenir ? Chacun d’entre nous a répondu positivement. Nous sommes ensuite allés à Pretoria puis à Genève. Il y avait avec nous une équipe d’experts chargés de peaufiner l’accord déjà intervenu à Pretoria, des modérateurs dont Alan Doss, ancien représentant de la MONUC à Kinshasa qui a organisé une rencontre en tête à tête avec chacun d’entre nous, posant à chacun la même question. Une session a alors été organisée, réunissant les experts, la modération, les trois candidats exclus arbitrairement (Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba, Adolphe Muzito) ainsi que les candidats acceptés. A chacun il a été demandé d’exposer son programme et ses projets et nous avons discuté jusqu’ une heure du matin…
Pourquoi, in fine, alors que le vote était intervenu, vous désignant comme candidat unique, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe se sont ils rétractés ?
Voilà la question.. Je ne peux pas y répondre et c’est pour cela que je leur ai adressé un tweet leur demandant de respecter leur engagement. Le dimanche, la réunion s’était très bien passée et nous avons-nous même proposé que chacun d’entre nous signe un acte d’engagement. Mais ensuite, lorsque le modérateur a proposé la procédure à suivre j’avoue que j’ai été étonné : moi, j’étais parti avec l’idée de trouver un consensus… Mais j’ai compris par la suite que la majorité des candidats préférait le vote et c’est finalement ce qui a été décidé. J’ai cependant averti mes camarades que cette procédure là pouvait nous amener dans la discorde…Pour le vote, les trois candidats invalidés ont du quitter la pièce et nous quatre, qui étions restés dans la salle, avons fait des propositions. Chacun d’entre nous avait deux votes, son premier choix, la présidence évidemment, mais aussi sa deuxième préférence, qui était, pour Freddy Matungulu la Banque centrale, pour Félix Tshisekedi et pour moi le poste de Premier Ministre, pour Vital Kamerhe la présidence de l’Assemblée nationale. C’était en quelque sorte un accord de gouvernement, par lequel on se répartissait les postes suivant les différents cas de figure.…
Cela ne nous ligotait pas car nous avions déjà un programme commun et nous étions unis par le combat mené ensemble contre Kabila. Chacun de nous, individuellement, avait perdu ce combat pour l’alternance et c’est pour cela que nous avions choisi de nous mettre ensemble et de demander à des modérateurs, des ONG extérieures, de nous aider…Après Genval nous avons eu trois ou même quatre réunions à Bruxelles et c’est en dernière minute que la Fondation Kofi Annan est intervenue. Dans un premier temps nous avions choisi de nous réunir en Guinée Conakry, mais finalement l’ONG ITI n’étant plus libre, nous avons opté pour la Suisse, pour des raisons pratiques et parce que la Suisse est considérée comme un pays neutre et la Fondation Kofi Annan qui a pris le relais. Alan Doss s’est révélé un vrai facilitateur, très sérieux, avec tout le flegme britannique nécessaire…Je vous rappelle qu’il y avait un accord entre nous et qu’aucune personnalité extérieure n’a orienté le débat. Nous n’avons été ni brusqués ni maltraités, rassurez vous…
Revenons aux questions de fond. Vous avez toujours maintenu votre opposition à la machine à voter ?
Absolument : je suis la personne qui a le plus étudié le fichier électoral, qui, dans le cadre de concertation avec la CENI (Commission électorale indépendante) a brandi le texte de la loi électorale et fait valoir le fait que le recours au vote électronique n’était pas prévu par le document. Dans le calendrier électoral, le recours à la machine à voter n’existe pas.
Contrairement à ce que l’on a pu croire, je répète que nous voulons aller aux élections, nous y sommes prêts. Mais nous voulons des élections crédibles, transparentes, apaisées, sans machine à voter, sans fichier électoral corrompu…Nous voulons aussi des témoins, des observateurs internationaux.
Sur ces points, vous êtes le plus dur, le plus radical…
Les gens m’ont collé cette étiquette, mais la réalité, c’est que je crois à la loi. Mon projet, c’est que le Congo soit un Etat de droit qui respecte les règles qu’il s’est données. J’ai toujours été cohérent : puisque j’estimais, comme les autres participants au « conclave » que le 31 décembre 2017 les institutions à mandat électif ne seraient plus légitimes, le 1er janvier 2018, logique avec moi-même, je suis sorti de l’Assemblée mais j’ai été le seul à le faire. Cette décision me privait de ressources importantes car les parlementaires congolais sont parmi les mieux payés du monde, à raison de 6000 dollars d’indemnités par mois, plus les participations à des travaux de commission, à des sessions budgétaires etc… En tout, j’ai fait le sacrifice de plus de 100.000 dollars ! Mais je ne regarde pas l’argent, je regarde les valeurs que je défends, le travail, la justice, la solidarité, la liberté, l’intégrité !
Si vous récusez la machine à voter, cela signifie-t-il, presque automatiquement, que vous acceptez un report des élections puisque sans l’imprimante électronique, les délais prévus ne pourront plus être respectés ?
Comprenez moi bien : je veux les élections le 23 décembre prochain, mais avec des bulletins papier. Pour l’élection présidentielle une seule feuille de papier pourrait suffire et d’ici l’échéance il serait possible de l’imprimer. En 2011 aussi les bulletins sont arrivés en dernière minute… Si on met ensemble la logistique de la Monusco, l’aide de pays amis, il y aurait moyen d’y arriver. Mais les autorités refusent l’aide étrangère, comme s’ils cachaient quelque chose…
A la limite on pourrait tenir l’élection présidentielle le 23 décembre et les autres (législative, provinciale) un peu plus tard…Toutes les élections doivent se faire avec des bulletins papier, parce que c’est la loi. Point final. Autre objection c’est que les vieux, les gens du village ne peuvent utiliser ce type de machine sans se faire aider. Donc le vote n’est plus secret.
Il faut aussi savoir que l’imprimante est thermique et qu’au bout de quelques jours, sinon de quelques heures, tout ce qui se trouvera sur le papier sera effacé, ce qui empêchera d‘éventuels recomptages… Les bulletins seront comme un papier fax qui resterait au soleil…
L’acharnement du pouvoir à garder la machine révèle une intention de tricher. A cela s’ajoute les dix millions d’électeurs enregistrés sans empreintes biométriques, qui représentent une marge de manœuvre pour le pouvoir.
La défection de MM. Tshisekedi et Kamerhe pourrait-elle hypothéquer votre victoire ?
Pas du tout. Je suis originaire du Bandundu mais je vis à Kinshasa et avec les gens du Congo central, nous formons le même peuple, soit plus de dix millions 700.000 électeurs. Dans l’Equateur Jean- Pierre Bemba me soutient donc tout l’Ouest m’est gagné et à Kinshasa c’est Eve Bazaiba du MLC qui va faire campagne pour m’accueillir tandis que Moïse Katumbi mobilise le Katanga en ma faveur. Quant au Kivu, Vital Kamerhe est, certes, populaire à Bukavu, chez les Bashi, mais dans le Nord du Kivu, le patron c’est Mbusa Nyamwisi et il me soutient. Quand au Kasaï, il est divisé…Les gens ne sont pas idiots : ils savent que le changement, c’est Fayulu…
En reniant leur signature, MM. Kamerhe et Tshisekedi auraient-il conclu un accord, secret ou non, avec le pouvoir actuel ?
Je ne peux pas m’avancer sur ce point, je m ’interdis même d’y penser. Tout ce que je souhaite c’est qu’ils se ravisent et qu’ils reviennent. Lors d’une réunion avec Félix Tshisekedi, nous avions même été jusqu’à imaginer la possibilité d’un tirage au sort…
Ce n’est pas moi qui me suis donné le nom de « gardien du temple », « soldat du peuple »… Les gens savent que je suis constant et c’est la population qui m’avait donné ces surnoms…
Je parle le lingala, le kikongo, je peux m’exprimer en tshiluba, je comprends un peu le swahili. Mais il faut dépasser ces différences : je suis présenté comme une alternative au pouvoir actuel et c’est cela qui compte…C’est pour cela que je suis populaire. Les gens savent aussi que je suis le député qui, au Kivu, a mis à nu la duplicité du M23 ce mouvement qui était soutenu par le Rwanda…
En janvier 2015, c’est moi qui ait mis les gens dans la rue pour protester contre la prolongation du mandat de Kabila. Je n’ai pas peur de prendre des risques car je suis un croyant…
Quel est le maître mot de votre programme, de votre campagne ?
Ce que je vais dire, c’est que vingt ans du système Kabila, cela suffit. Le Congo, avec sa misère terrible, sa paupérisation, est devenu la risée du monde… Tel est le bilan du kabilisme, assorti des l’enrichissement terrible, en milliard de dollars, d’un petit groupe au pouvoir. Arrivés pauvres, Kabila et les siens sont devenus parmi les plus riches du monde. Cela doit finir..Aux Congolais je dirai que je veux apporter un Etat de droit, la paix et la sécurité, que je veux ramener le sourire, dans un Congo libre et prospère…Je dirai aussi « tolérance zéro » pour la corruption…Tout magistrat qui sera pris en flagrant délit de corruption sera radié sur le champ, tout agent de l’Etat sera écarté…Je suis pour un changement radical…

Si le 23 décembre il n’y a pas d’élections, que se passera-t-il ?
Je dis non. S’il n’y a pas d’élection, la CENI sera fautive et devra se dédire, démissionner, et il y aura alors une transition sans Kabila. Il n’y aura pas 36 solutions : le président de la CENI, que je soupçonne de préparer un “chaos électoral”, portera toute la responsabilité de ce qui pourrait survenir

http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/

Posté le 25/11/2018 par rwandaises.com