Interview de Sœur Solange Sahon Sia : « l’on ne peut pas nier l’existence d’abus sexuels dans l’Église africaine ». Recueilli par Lucie Sarr




Sœur Solange Sahon Sia est religieuse de la Congrégation NotreDame du Calvaire. Théologienne et directrice du Centre de protection des mineurs et personnes vulnérables ouvert, en mars, à l’Institut catholique missionnaire d’Abidjan (Icma), elle revient dans cet entretien avec La Croix Africa, sur la question des abus dans l’Église catholique et dans la société.

La Croix Africa: A quoi répond l’ouverture d’un Centre de protection des mineurs et personnes vulnérables à l’Institut catholique missionnaire d’Abidjan (Icma)?

Sœur Solange Sahon Sia: C’est une manière de donner une réponse à une problématique assez absente dans la mission de l’Église.

C’est-à-dire penser une nouvelle forme d’évangélisation que l’on pourra appeler évangélisation des consciences.

Sœur Solange Sahon Sia: C’est une manière de donner une réponse à une problématique assez absente dans la mission de l’Église. C’est-à-dire penser une nouvelle forme d’évangélisation que l’on pourra appeler évangélisation des consciences. Le centre essaie, à travers la formation, sensibilisation, l’écoute et l’accompagnement, d’aider l’Église locale dans sa mission de protection des mineurs et personnes vulnérables. La création de ce centre s’inscrit également dans la continuité de la sensibilisation, l’écoute et l’accompagnement, d’aider l’Église locale dans sa mission de protection des mineurs et personnes vulnérables.

La création de ce centre s’inscrit également dans la continuité de la démarche entreprise, depuis trois ans, d’inviter le père Stéphane Joulain, [un Père Blanc qui a beaucoup étudié la question des abus, NDLR] pour dispenser une formation aux séminaristes. On peut citer aussi comme déclencheur de cette idée, l’appel lancé par le pape François pour la protection des mineurs et personnes vulnérables dans l’Église.

Quels sont les facteurs qui favorisent les abus dans l’Église?

Sœur Solange Sahon Sia: J’aime souvent répondre que l’expérience montre que les abus sexuels existent partout. Il est bien de le souligner pour que le combat contre les abus soit une problématique plus holistique et qu’on puisse le mener partout dans la société: dans les familles, à l’école.

Au niveau de l’Église, il y a des abus qui pourraient avoir comme facteur l’inuence sociale. L’Église ne vit pas en autarcie, ce qui se vit dans la société va forcément se répercuter dans l’Église. Un trait de caractère que l’on trouve chez ceux qui abusent dans l’Église est un manque d’intégration de la sexualité. De plus, certaines conditions de vulnérabilité comme la pauvreté peuvent avoir une inuence et favoriser les abus.

L’Église étant souvent considérée comme garante de la moralité dans la société voire donneuse de leçon, cela exige d’elle de grandes valeurs morales et spirituelles.

Il est souvent reproché aux Églises d’Afrique une omerta sur les abus qui seraient commis en son sein, qu’en pensez-vous?

Sœur Solange Sahon Sia: La loi du silence sur la question des abus n’est pas propre à l’Afrique. Cela a également pris du temps à l’Occident de dénoncer ses abus. Beaucoup d’abus dont on parle aujourd’hui ont eu lieu, il y a 20, 30, 40, 50 ans. Cela veut dire que la question sexuelle est souvent de l’ordre du tabou. Les victimes ont souvent honte de parler de ce qu’elles ont vécu.

Mais il est clair que l’on ne peut pas nier l’existence d’abus sexuels dans l’Église africaine. Ce serait un déni de la réalité ecclésiale africaine. Car déjà, les abus ne sont pas un phénomène né avec ou dans l’Église, ce sont des dérives comportementales, des déviances que l’on retrouve dans toutes les sociétés, y compris africaine.

Le pape François désigne le cléricalisme comme un terrain favorable aux abus. L’Église africaine est souvent jugée cléricale. Est-elle, de ce fait, plus exposée aux abus?

Sœur Solange Sahon Sia: Si l’on reste dans cette logique que le cléricalisme est un terreau favorable un abus et que nous admettons que l’Église d’Afrique est cléricale, il est effectivement possible de faire cette déduction. Néanmoins, il faudrait prendre en compte les aspects culturels. L’un des enjeux de notre centre, c’est aussi de comprendre ce qui peut pousser aux abus dans nos cultures et ce qui peut empêcher d’en parler, indépendamment de l’Église.

 L’on parle de plus en plus d’abus sexuels sur des religieuses. Qu’est-ce qui, selon vous, favorise de tels abus?

Sœur Solange Sahon Sia: Je réagis en même temps comme religieuse et comme formatrice. C’est une question qui, souvent, me révolte. Car la vie religieuse peut être le lieu même où on expérimente l’abus, surtout de pouvoir et de conscience. Quand on apprend qu’une jeune religieuse en formation a été renvoyée pour des raisons fallacieuses, c’est de l’abus de pouvoir.

 Sur la question des abus sexuels, un des facteurs est institutionnel. Une grande part de responsabilité incombe aux instituts. Comment peut-on coner à un institut la vie de jeunes personnes et que cet institut ne leur assure pas une formation intégralede leur identité religieuse? C’est comme si on favorisait une certaine naïveté à la fois spirituelle, intellectuelle, théologique. Après, l’on s’attend à quoi? On fait des proies faciles, que ce soit pour des évêques, des prêtres, ou des laïcs. Que les congrégations religieuses prennent leur responsabilité vis-à-vis des jeunes femmes qui leur sont conées dans leur désir de suivre le Christ à travers la consécration.

 Il y a, par ailleurs, le facteur économique. Est-ce que les instituts fournissent aux religieuses le minimum pour vivre décemment? Il peut arriver aussi que certaines religieuses se fabriquent des envies qui sortent du cadre des exigences de l’engagement religieux. La vie religieuse est quand même un choix que nous faisons et qui inclut un vœu de pauvreté.

Mais le problème économique peut se poser d’une autre façon. La religieuse peut-elle vivre tranquille logée, blanchie, nourrie quand sa famille n’a rien à manger? Ce sont des questions qu’il faut creuser si l’on veut mener une vie religieuse authentique en tenant compte des réalités africaines. Il y a souvent une sorte de tension.

On peut avoir des bienfaiteurs totalement désintéressés qui croient en notre consécration et qui veulent nous aider à travailler pour l’Église mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas.

Que pensez-vous des décisions prises par le Vatican pour lutter contre les abus?

Sœur Solange Sahon Sia: Comme cela a été le cas lors du Concile Vatican II, c’est l’œuvre de l’Esprit. Le motu proprio du pape est un grand texte qui a été publié après un long temps de maturation. Il découle de concertations entre le pape, les évêques et les supérieurs des congrégations religieuses. Ce sont des décisions salutaires. Il est vrai que le texte est parfois un peu dur mais l’Église fait désormais face à une réalité. Elle essaie d’affronter une chose douloureuse en son sein et en dehors. Un prêtre me faisait remarquer qu’avec ce texte, l’on constate une certaine vulnérabilité du prêtre. Ce sera aussi un lieu de vérité. Puisque avec la mise en place de structures de signalement des abus imposées par le texte papal, les responsabilités seront facilement situées

Sœur Solange Sahon Sia: Comme cela a été le cas lors du Concile Vatican II, c’est l’œuvre de l’Esprit. Le motu proprio du pape est un grand texte qui a été publié après un long temps de maturation. Il découle de concertations entre le pape, les évêques et les supérieurs des congrégations religieuses. Ce sont des décisions salutaires. Il est vrai que le texte est parfois un peu dur mais l’Église fait désormais face à une réalité. Elle essaie d’affronter une chose douloureuse en son sein et en dehors. Un prêtre me faisait remarquer qu’avec ce texte, l’on constate une certaine vulnérabilité du prêtre. Ce sera aussi un lieu de vérité. Puisque avec la mise en place de structures de signalement des abus imposées par le texte papal, les responsabilités seront facilement situées. 

Posté le 26/06/2019 par rwandaises.com