Hana al-Khamri – Comme les autres années, les séries télévisées lors du Ramadan de cette année ont exposé des scènes d’un racisme grossier à l’encontre des Afro/Arabes noirs.
Pendant le mois sacré du Ramadan, les musulmans sont censés s’abstenir de nourriture, de boissons, de tabac, d’activité sexuelle et de langage vulgaire. Naturellement, au cours de ce mois, les diffuseurs de télévision dans le monde arabe ont tendance à changer leur programmation et à promouvoir un contenu ciblant le public familial.
Pourtant, année après année, la moquerie raciste et le vocabulaire injurieux à l’égard des Afro-Arabes noirs et des migrants noirs africains, s’invitent sur les écrans de télévision de millions de familles arabes rassemblées pour jouir des séries télévisées produites spécialement pour le Ramadan.
Le contenu des télévisions du Ramadan de cette année n’a pas « déçu » à cet égard.
La série comique égyptienne « Azmi wa Ashgan » (Azmi et Ashgan), créée par le producteur égyptien à scandale Ahmed el-Sobki, a présenté ses principaux acteurs grimés en noir à plusieurs reprises tout au long de la série, utilisant un langage raciste à l’égard des Noirs et les représentant comme des serviteurs qui parlent un arabe hésitant et pratiquent la sorcellerie.
La série de comédie koweïtienne « Block Ghashmara » (Le bloc de blagues), de son côté, a consacré tout un épisode à des acteurs grimés en noir dépeignant les Soudanais comme des paresseux et des cyniques.
Malgré l’indignation sur les médias sociaux, les équipes de tournage à l’origine de ces séries TV se sont défendues.
Ahmed Mohy, le scénariste de « Azmi we Ashgan », a minimisé les insultes racistes dans son émission, disant sur Twitter que « [l’équipe] ne vise pas à insulter une partie du peuple égyptien, parce que nous sommes un seul peuple ».
Sur Instagram, l’acteur koweïtien Hassan al-Ballam, vedette de l’épisode controversé du Block Ghashmara, s’est excusé, mais a déclaré que les critiques contre lui étaient exagérées et qu’il avait été « mal compris ».
Cependant, ces échanges et ces critiques se sont limités aux médias sociaux et comme par le passé, n’ont pas permis de mener une discussion plus large à l’échelle de la société. Cela n’est guère surprenant étant donné que le racisme dans la culture populaire arabe et dans le cinéma arabe, en particulier est omniprésent, et il semble y avoir peu d’intérêt pour la société arabe à vouloir changer cela.
Les troupes racistes du cinéma arabe
« Pourquoi éteignez-vous la lumière? Vous êtes déjà sombres par nature », dit le personnage principal à une prostituée noire dans le film égyptien de 1998, Sa’eedi fil gamaa el amrekeia (Un Égyptien supérieur à l’Université américaine).
« Y a-t-il une coupure de courant ou quoi? » – dit un personnage principal lorsqu’il voit un groupe de Noirs sortir d’une boîte de nuit dans le film égyptien de 2001, Africano.
« Est-ce que quelqu’un a brûlé cet appartement avant ou quoi? » – disent en riant trois des personnages du film égyptien 2005, Eyal Habiba (les enfants de Habiba), alors qu’ils regardent un mur de photos de famille dans l’appartement d’un Soudanais (joué par un Arabe grimé en noir).
Ce ne sont là que quelques exemples du langage raciste anti-noir qui domine le cinéma arabe depuis des décennies. L’industrie continue d’injecter ses séries dramatiques, ses films et ses talk-shows populaires avec une racisme ignoble pour imposer des images indignes d’Afro/Arabes noirs et de migrants noirs africains.
La représentation des Noirs dans le cinéma arabe reflète les sentiments anti-noirs répandus et le racisme qui existe dans les pays arabophones.
A l’écran, les Noirs sont confinés dans des rôles subalternes, réduits à des rôles de domestiques, de prostituées, de pitres, de portiers travaillant pour des familles riches.
Les hommes et les femmes noirs sont constamment décrits comme sales et paresseux et leur couleur de peau est sujette à la moquerie raciste et associée à la malchance.
Quand le personnage principal, Khalaf (Mohamed Henedy), dans Sa’eedi fil gamaa el amrekeia entend la nouvelle de la mort de quelqu’un, il tourne son regard vers une prostituée jouée par une femme noire, et déclare: « La dame est morte à cause de ton visage noir ». Le même film contient de nombreux commentaires racistes sur la prostituée noire illustrant combien les femmes afro/noires sont perçues comme laides et peu féminines.
Même les enfants noirs sont les victimes de cette moquerie raciste. Dans la comédie égyptienne de 2003, Elly Baly Balak (Mes pensées sont vos pensées), le protagoniste s’adresse à sa femme après avoir confondu l’enfant d’une servante noire avec le sien, en disant « Vous êtes blanche et je suis blanc, comment pourrions-nous avoir cette ‘barre de dates’ comme enfant ? »
Il est évident que l’industrie cinématographique arabe n’a aucun scrupule à pratiquer le « Arab-washing », suivant les traces d’Hollywood et son penchant pour les histoires et les personnages exclusivement blancs.
Aux États-Unis, l’utilisation du grimage en noir a été en grande partie abandonnée, mais dans le cinéma arabe, il est constamment utilisé pour que des Arabes non-noirs jouent des rôles de Noirs. Ils sont grimés, enfilent des fausses fesses exagérées, d’épais cheveux bouclés de style afro et du rouge à lèvres rouge vif.
Il est également révélateur que durant des décennies, le premier et seul acteur à peau sombre qui ait joué des rôles de premier plan dans le cinéma égyptien était Ahmed Zaki (1949-2005). Mais même lui n’a pas échappé aux qualificatifs racistes : il a été surnommé « l’étoile de bronze » et le « tigre noir ».
Le tabou de l’esclavage
Bien que cette représentation négative des Noirs persiste et que les stéréotypes raciaux à leur encontre se perpétuent, il n’y a pratiquement pas de débat public sur le sujet au sein de la société arabe. Au contraire, il y a un déni catégorique de l’existence d’attitudes racistes à l’égard des Noirs.
Tous ceux qui ont la peau plus foncée au Moyen-Orient ont eu à subir toutes sortes de qualificatifs racistes et de surnoms méprisants. L’insulte raciale la plus courante est « abd », qui signifie « esclave » ou « serviteur ». Ce langage raciste est un héritage de l’histoire de l’esclavage dans la région.
Cet héritage, cependant, est toujours considéré comme un sujet tabou et lorsqu’il est évoqué, les Arabes essaient souvent de contourner le problème en parlant de Bilal Ibn Rabah, un esclave noir que le prophète Mohammed a libéré et qui est devenu le premier muezzin (la personne qui appelle à la prière). Cet épisode de l’histoire islamique est présenté comme la preuve de l’existence d’une société islamique égalitaire et inclusive dans laquelle il n’y avait pas et il n’y a pas de discrimination fondée sur la race.
Cependant, l’émancipation de Bilal n’a pas vraiment mis fin à l’esclavage dans la région. Au contraire, pendant des siècles, diverses interprétations de l’Islam ont été utilisées pour justifier une traite négrière florissante et la culture des concubines au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
L’esclavage a été complètement aboli dans les pays arabes en 1970 (à l’exception de la Mauritanie, qui l’a fait en 1981). Bien que toutes les personnes à la peau foncée de la région ne soient pas des descendants d’esclaves et que tous les esclaves n’aient pas été noirs, les personnes à la peau foncée sont stigmatisées et considérées, à priori, comme ayant de tels antécédents, même si elles en revendiquent d’autres.
Ceci, à son tour, a un impact sur les relations sociales, les perceptions et les positions sociales et politiques. En 2008, par exemple, lorsque Adel Al-Kalbani, un imam saoudien noir, a été nommé pour diriger la prière à la Grande Mosquée de la Mecque, il a dû faire face à un déluge d’insultes racistes, certains musulmans protestant ouvertement contre sa nomination.
Une identité arabe qui exclut et discrimine
En dehors de l’esclavage, le colonialisme occidental a certainement contribué au racisme présent dans la société arabe en attribuant la beauté à la blancheur et la laideur à la noirceur et en favorisant certains groupes ethniques par rapport à d’autres. Pourtant, ce n’est pas le principal facteur qui a façonné l’identité et la perception raciales dans la région.
C’est l’idéologie panarabe coercitive qui a établi l’hégémonie d’une identité arabe spécifique et racialisée sur toutes les autres. Elle a contribué à la discrimination socio-économique systémique et a créé des hiérarchies raciales strictes qui relèguent les Noirs dans une position subordonnée au sein de la société arabe.
Les pays arabes les plus peuplés se trouvent sur le continent africain et les Arabes noirs font partie de la société arabe blanche depuis la conquête musulmane de la région. Mais il y a un mépris stupéfiant pour tout ce qui est africain ou noir.
On n’est donc pas surpris que les industries dominées par des Arabes blancs comme celle du cinéma reflètent ce sentiment et n’embrassent pas la diversité raciale du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.
Ce racisme ambiant a des répercussions négatives sur de nombreux jeunes Noirs qui ont du mal à trouver des modèles positifs, car ils restent largement non représentés dans les médias grand public. La stigmatisation sociale a poussé certains d’entre eux à se dissocier de leur identité noire. Certains nient leur héritage africain, participent au racisme intra-racial, tentent de s’assimiler et même de changer la couleur de leur peau par le blanchiment de la peau.
Cette situation est également source des graves préjudices dont souffrent les migrants et les travailleurs migrants. Les histoires pénibles d’abus de femmes éthiopiennes au Liban et les pratiques choquantes de torture et d’esclavage des migrants africains en Libye ne sont que deux exemples du danger que peut représenter ce courant sous-jacent séculaire de racisme enraciné dans les pays arabes.
Les préjugés raciaux dans le cinéma et la société arabes persistent parce que nous n’avons pas réussi à promouvoir un débat ouvert et des mesures efficaces contre le racisme. Il ne faut ni tolérer ni normaliser la représentation dégradante d’enfants et d’adultes afro-noirs, ni encourager l’industrie cinématographique arabe à multiplier moqueries et comportements violents dans les films.
Pour surmonter la stigmatisation des Noirs, nous devons nous débarrasser de l’héritage de notre regrettable passé et mettre fin à la « culture du silence ». C’est ce « refus d’engager des discussions sur l’esclavage et les attitudes racistes » qui, au nom de « l’hégémonie arabo-islamique », a permis de mettre cette question sous le tapis – comme l’a noté l’historien marocain Chouki El Hamel.
Nous, les Arabes afro-noirs, devons accepter notre propre identité, décoloniser notre propre perception de nous-mêmes, réclamer et embrasser notre noirceur et militer contre les préjugés raciaux et les images et traitements dégradants auxquels nous sommes exposés sur les écrans et dans la vie quotidienne.
Nous devons nous faire entendre à tous les niveaux de la société arabe, et l’industrie cinématographique arabe devrait être à la tête de cette révolution sociale. Nous devons rentrer en nous-mêmes et prendre conscience de nos attitudes racistes pour mettre fin au racisme culturel et aller de l’avant.
* Hana Al-Khamri est écrivaine et analyste basée en Suède. Elle a travaillé comme journaliste en Arabie Saoudite. Elle est également l’auteur du prochain livre Female Journalists in Gender-Apartheid in Saoudi Arabia. Elle peut être jointe à @hanaalkhamri
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Posté le 10/06/2019 par rwandaises.com