Le PrĂ©sident rwandais Paul Kagame est dĂ©cidement la coqueluche des jeunes africains. AprĂšs Sankara le dĂ©funt prĂ©sident assassine du Faso, les jeunes africains ont encore leur idole. Qu’est-ce qui attire cette jeunesse en la personne de Paul Kagame ? Ce cote ascĂšte ? Cette façon de flairer le danger de s’enquiquiner avec l’Occident et de prendre des distances respectueuses en demandant a ce dernier d’etre respectueux de façon agissante envers l’Afrique ? Est-ce parce qu’il ose demander normalement qu’il s’établisse des rapports de commerce Ă©gal Nord-Sud et de faire en sorte que le Nord n’accuse son complexe de supĂ©rioritĂ© ? Ibrahima Kane de SĂ©nĂ© plus Ă©claire ci dessous.


Si le prĂ©sident rwandais a pu toucher les Ă©motions et gagner la sympathie de millions de jeunes Africains, c’est d’abord parce qu’il a su percer les imaginaires en utilisant la technique du storytelling

par Ibrahima Kane

Charismatique et autoritaire, le prĂ©sident de la RĂ©publique du Rwanda devient le nouveau maĂźtre du jeu. Il est aujourd’hui le chouchou de la jeunesse africaine, celui qui insuffle le plus de dynamisme et de rĂ©formes dans son pays, et dans les institutions panafricaines et rĂ©gionales.

Dans un continent en manque de repĂšres, Paul Kagame fait preuve d’ovni. L’Afrique n’avait pas connu un dirigeant aussi adulĂ©, mais parfois aussi dĂ©criĂ©. C’est que Kagame maĂźtrise la communication et le marketing politique. Il sĂ©duit, mĂȘme au-delĂ  des frontiĂšres et des populations africaines.

“J’ai Ă©tĂ© impressionnĂ© par Paul Kagame”, apprĂ©cie ainsi l’ancien prĂ©sident français, Nicolas Sarkozy. L’annĂ©e derniĂšre, il a Ă©tĂ© dĂ©signĂ© meilleur dirigeant africain par CNBC et par Forbes Africa. Mais qu’est ce qui fait le charme de cet homme mystĂ©rieux et discret ? Comment a-t-il gagnĂ© la bataille de l’opinion publique africaine et mondiale ? Que fait-il de plus ou de mieux que ses collĂšgues ?

La fabrication d’un storytelling

Ce n’est pas un secret. Les grands leaders savent utiliser l’art de construire des histoires. Ce sont, en gĂ©nĂ©ral de bons storytellers qui ont le don de jouer avec les affects et de capter l’attention. Si Paul Kagame a pu toucher les Ă©motions et gagner la sympathie de millions de jeunes Africains, qui ne jurent que par lui, c’est d’abord parce qu’il a su percer les imaginaires en utilisant la technique du storytelling. Au dĂ©part, c’est une histoire dramatique.

Un beau pays, le Rwanda, le pays des Mille Collines, qui se dĂ©chire dans un gĂ©nocide atroce de la minoritĂ© Tutsi par les Hutus. Le pays s’effondre complĂštement. Personne n’aurait pariĂ© que 20 ans aprĂšs, le Rwanda serait l’un des moteurs de l’innovation et de l’essor en Afrique. Le PIB du Rwanda est pourtant passĂ© de 1,989 milliard en 1998 Ă  9,509 milliards en 2018. L’espĂ©rance de vie a grimpĂ©, passant de 44 ans Ă  68 ans durant la mĂȘme pĂ©riode.

Narrer une autre destinée pour son pays

Le rĂŽle de Paul KagamĂ©, dans cette renaissance, est primordial. C’est lui qui, par son action radicale, a changĂ© son pays. Il a su souder et redonner espoir Ă  un peuple complĂštement anĂ©anti en mettant en oeuvre un discours qui a transcendĂ© les divisions. Paul KagamĂ© a pu narrer une autre destinĂ©e pour son pays. Dans le nouveau rĂ©cit qu’il s’est Ă©vertuĂ© Ă  diffuser, le Rwanda et ses habitants sont devenus des forces de progrĂšs.

C’est une communautĂ© qui participe Ă  sa propre guĂ©rison, avec des programmes de rĂ©conciliation comme le “Ndi Umunyarwanda” qui veut dire “Je suis Rwandais” et qui veut mettre en exergue “l’importance de sentir en soi “l’esprit Rwandais, les valeurs liĂ©es Ă  cet esprit et les interdits nĂ©cessaires pour le faire rĂ©gner” ; il y a aussi “l’Umuganda”, une sĂ©ance mensuelle de travaux communautaires obligatoires. Le gouvernement a aussi créé un fonds (le Farg), pour prendre en charge les orphelins du gĂ©nocide.

Il y a, dans ces deux exemples, l’idĂ©e de provoquer une volontĂ© commune et de faire naĂźtre des valeurs partagĂ©es. La promesse du message peut ĂȘtre dĂ©clinĂ©e ainsi : “Ensemble nous allons construire une nation tolĂ©rante et solidaire”. Paul KagamĂ© utilise cette arme redoutable du storytelling pour mener Ă  bon port son pays. Il a mis en branle une vĂ©ritable catharsis. Bien sĂ»r, les Rwandais jouent le jeu et confirment leur adhĂ©sion.

Les plus de 12 millions d’habitants du pays se sentent en paix et protĂ©gĂ©s. La nation a connu un essor phĂ©nomĂ©nal. Tout cela ne serait pas possible si Kagame n’avait pu faire concilier parole et action. Il y a chez lui, indiscutablement, une Ă©thique de la responsabilitĂ©. Il fait ce qu’il dit et dit ce qu’il fait. Des engagements difficiles Ă  tenir aujourd’hui en politique, Ă  cause du temps long que nĂ©cessite le changement, qui se heurte trĂšs souvent au temps court de l’élection. C’est que Kagame bĂ©nĂ©ficie aussi de sa longĂ©vitĂ© Ă  la tĂȘte du Rwanda qui lui permet de concrĂ©tiser sa politique et d’agir en profondeur sur les rĂ©alitĂ©s sociales et les complexitĂ©s inhĂ©rentes Ă  l’exercice du pouvoir. Kagame a eu Ă©normĂ©ment de temps et d’énergie pour faire du Rwanda un pays Ă  revenu intermĂ©diaire, Ă  l’horizon 2020, comme il le souhaite.

Ainsi, Paul Kagame a dĂ©clinĂ© un plan trĂšs dĂ©taillĂ©, appelĂ© Vision 2020. Dans l’incipit du document, le prĂ©sident du Rwanda est trĂšs clair. Il veut bĂątir un nouveau sens commun. “La Vision 2020 reflĂšte les aspirations et la dĂ©termination des Rwandais Ă  la construction d’une identitĂ© rwandaise d’unitĂ©, de dĂ©mocratie et d’inclusion, aprĂšs de longues annĂ©es marquĂ©es par des rĂ©gimes autoritaires et exclusivistes.” Les piliers de ce projet sont : la bonne gouvernance et un Etat capable ; le dĂ©veloppement des ressources humaines et une Ă©conomie basĂ©e sur le savoir, le dĂ©veloppement tirĂ© par le secteur privĂ© ; le dĂ©veloppement des infrastructures ; l’agriculture Ă  haute valeur ajoutĂ©e et orientĂ©e vers le marchĂ© ; l’intĂ©gration rĂ©gionale et internationale. Il y a une trajectoire bien dĂ©finie dont l’objectif est de transformer le pays et de le sortir “d’une situation sociale et Ă©conomique profondĂ©ment insatisfaisante”. Kagame a massivement renforcĂ© l’accĂšs Ă  la santĂ© et Ă  l’éducation. Il a mis des moyens importants dans des secteurs clĂ©s : l’agriculture les mines et l’industrie, qui concentrent 57 % des projets du pays.

Séduire hors des frontiÚres du Rwanda

Cette vision a Ă©tĂ© bien pensĂ©e et rĂ©pond aux aspirations des citoyens rwandais (les Ă©lecteurs), de la communautĂ© internationale qui voit en Kagame un interlocuteur fiable, et des bailleurs de fonds. Les investissements dans le pays ont atteint 2 milliards de dollars en 2018, dont 47 % issus de crĂ©diteurs Ă©trangers. Un record. Il s’est attachĂ© les services d’éminentes personnalitĂ©s comme Bill Clinton ou Tony Blair, qui lui ont assurĂ© un lobbying auprĂšs des investisseurs.

Vous souhaitez ĂȘtre perçu comme un dirigeant transparent ? Soyez transparent. La base de toute stratĂ©gie de branding, c’est la mise en oeuvre d’une relation de sincĂ©ritĂ©/vĂ©ritĂ©. Le branding n’est pas de la manipulation. Dans son pays et lors de son passage Ă  la prĂ©sidence de l’UA, Paul Kagame a toujours mis en avant son intĂ©gritĂ©. Le prĂ©sident de la RĂ©publique rwandaise s’est posĂ© en chantre du panafricanisme. Il est l’un des maĂźtres d’oeuvre de la Zlecaf. L’accord sur la Zone de libre Ă©change continentale africaine a Ă©tĂ© signĂ© par 54 pays sur les 55 que compte le continent. En outre, Paul Kagame milite activement pour l’intĂ©gration sous-rĂ©gionale. Il est actuellement le prĂ©sident de l’Eac (la CommunautĂ© d’Afrique de l’Est qui comprend le Burundi, la Tanzanie, le Sud Soudan, le Kenya, l’Ouganda et le Rwanda). Il a la la volontĂ© de dynamiser les Ă©changes et de permettre une libre circulation des personnes et des biens. Mais le pari n’est pas encore gagnĂ© tant les dissensions et les conflits sont permanents dans la zone, avec notamment le Burundi. Les problĂšmes avec le voisin congolais ne sont pas encore rĂ©glĂ©s mais il y a une dĂ©tente depuis l’élection de FĂ©lix Tshisekedi.

De l’idĂ©e Ă  l’action : La modernisation du message et des infrastructures

Kagame a aussi beaucoup investi dans les infrastructures pour appĂąter une clientĂšle internationale. Rwandair est devenu l’un des fleurons de l’aviation en Afrique. Le pays est rĂ©putĂ© pour sa sĂ©curitĂ©, pour la propretĂ© et l’assainissement public, ainsi que pour ses routes en trĂšs bon Ă©tat. Le Centre de conventions de Kigali a coĂ»tĂ© 300 millions de dollars.

Le Rwanda est devenu une place d’affaires rĂ©putĂ©e en Afrique, oĂč se multiplient les grandes confĂ©rences. Cette image de marque assure la croissance du secteur touristique. 438 millions de dollars ont atterri dans l’économie grĂące Ă  ce positionnement et la perception du pays des Mille Collines.

Le tourisme haut de gamme s’est beaucoup dĂ©veloppĂ©. Pour visiter le Parc national des Volcans et voir des gorilles, il faut dĂ©bourser pas moins de 1500 dollars ! Le site visitrwanda.com vend trĂšs bien la destination : “Reconnu comme le pays des mille collines, le paysage magnifique du Rwanda et son peuple chaleureux et amical offrent des expĂ©riences uniques dans l’un des pays les plus remarquables du monde. Il est dotĂ© d’une biodiversitĂ© extraordinaire, avec une faune incroyable vivant Ă  travers ses volcans, sa forĂȘt pluviale de montagne et ses vastes plaines.”

Les autoritĂ©s du pays ont mĂȘme signĂ© une convention avec le club de football anglais Arsenal, pour donner une visibilitĂ© mondiale au Rwanda et Ă  ses trĂ©sors. Pour donner plus d’éclat Ă  l’image du pays, le rĂ©gime de Kagame a passĂ© des contrats avec des groupes internationationaux, spĂ©cialisĂ©s en communication et en marketing, notamment Racepoint Global et Solimar.

Un leader en phase avec son époque

Concernant la communication digitale, Paul Kagame est prĂ©sent sur les rĂ©seaux sociaux. Il a 1,5 millions d’abonnĂ©s sur Twitter ; 349,000 abonnĂ©s sur Instagram ; 953,000 followers sur Facebook. Il fait partie des dirigeants africains les plus actifs sur ces plateformes. Pour se dĂ©faire de l’image austĂšre et un peu mystĂ©rieuse qui lui colle Ă  la peau, le prĂ©sident rwandais joue beaucoup la carte des selfies. Il se laisse prendre en photo en compagnie de jeunes admirateurs (trices) pour montrer qu’il est accessible, et un peu “M. tout le monde”. Il met en avant sa famille.

Paul Kagame joue beaucoup sur les valeurs d’égalitĂ© et de justice sociale. Il se montre trĂšs proche de la jeunesse rwandaise. Il a initiĂ© “MeetThePresident”, une confĂ©rence oĂč il se tient presque en gourou, devant 2000 personnes, encourageant les jeunes de son pays Ă  se lancer dans l’entreprenariat. Paul KagamĂ© entend faire de son pays une startup nation. Il a pour cela beaucoup investi dans les technologies. Le programme “One Laptop per Child”, initiĂ© en 2008 est un exemple de la volontĂ© du prĂ©sident rwandais de dĂ©velopper le potentiel numĂ©rique dans son pays. Autre mesure populaire et trĂšs apprĂ©ciĂ©e, l’égalitĂ© homme-femme. Un rĂšgle maintenant inscrite dans la constitution du Rwanda. Le Rwanda est d’ailleurs le seul pays oĂč les femmes sont majoritaires au Parlement. Elles ont 51 sur les 80 siĂšges que compte l’AssemblĂ©e.

On peut toujours dire que Kagame n’est pas un leader imbu de valeurs dĂ©mocratiques, qui respecte les libertĂ©s individuelles. Des opposants sont emprisonnĂ©s, les dissidents ont peur du rĂ©gime de Kigali. Une candidate Ă  l’élection prĂ©sidentielle de 2017, Diane Rwigara, a retrouvĂ© ses photos nues sur Internet, avant d’ĂȘtre emprisonnĂ©e. Elle affirme que ce serait l’oeuvre du parti au pouvoir. Elle a finalement Ă©tĂ© disqualifiĂ©e lors de l’élection prĂ©sidentielle oĂč Paul Kagame est arrivĂ© en tĂȘte avec un score soviĂ©tique
 Plus de 98 % des suffrages exprimĂ©s.

D’autres protesteront pour dire que l’essentiel est lĂ , Paul Kagame est un bon commandant qui mĂšne son pays vers la prospĂ©ritĂ©, aprĂšs avoir gagnĂ© la bataille de la stabilitĂ© sociale et du progrĂšs Ă©conomique. Quoi qu’il en soit, le prĂ©sident rwandais a pu construire une image forte et dĂ©velopper son capital sympathie. Pour lui d’abord, pour son pays ensuite.

Cette reprĂ©sentation positive n’est pas le fruit du hasard mais la rĂ©sultante d’une stratĂ©gie bien pensĂ©e, articulĂ©e autour d’une ligne directrice et appliquĂ©e dans des territoires bien ciblĂ©s. Ce qui manque a beaucoup de dirigeants africains, en fin compte, au contraire de Paul Kagame, c’est une structure communicationnelle cohĂ©rente, en adĂ©quation avec les valeurs de sa population.

*Ibrahima Kane est Cofondateur et responsable Solutions chez Groupe Gaynako