La France a annoncé le 20 mai, avoir finalisé le projet de loi de ratification de l’accord signé le 21 décembre 2019 entre la France et les pays de l’UEMOA, relativement à la réforme de la coopération monétaire qui les lie. Source Agenceecofin







Cette annonce faite par Sibeth Ndiaye, la porte-parole du gouvernement, a été présentée par la presse française comme l’acte de décès du Franc CFA. Une manière de voir largement reprise par des médias africains.

Le problème, c’est que toute l’information sur ce sujet se base seulement sur une déclaration politique. Très peu de détails ont été apportés sur le contenu de ce projet de loi de ratification, pas plus que sur le contenu de l’accord au cœur de cette activité institutionnelle.

Face à ce vide d’information, leurs opinions publiques, africaines surtout, interprètent cette évolution avec les éléments en leurs possession, ou du moins ce qu’elles pensent en savoir. Il semble important de revenir sur quelques éléments de cette information et sur les enjeux.

Que s’est-il passé ?

Le ministère français des affaires étrangères, de la coopération et des affaires européennes, ainsi que le ministère en charge de l’économie et des finances, ont déposé un projet de loi de ratification. Ce n’est en rien exceptionnel, c’était un document attendu des parties impliquées, à savoir la France et les pays membres de l’UEMOA. Sur le plan international, lorsqu’un accord est signé, il doit faire l’objet d’une validation par les parlements des pays concernés, c’est ce qu’on appelle la ratification.

Le processus normal de ratification débute par des audiences dans les chambres spécialisées des parlements (Sénat ou Assemblée nationale, ou les deux). Par la suite le gouvernement prépare un projet de loi de ratification, ce qui explique la présence du ministère des affaires étrangères à côté de celui des finances, car il s’agit de la coopération sur une question financière. De ce fait, le projet de loi de ratification peut apporter des précisions et des compléments, mais ne peut aller au-delà de l’objet de la ratification, qu’est l’accord du 23 décembre.

Bruno Le Maire : « Chacun connaît les liens historiques qui nous attachent au continent africain »

Or en décembre 2019, la France et ses partenaires ouest-africains n’ont pas acté la fin du FCFA, mais la réforme de certains de ses aspects. « Chacun connaît les liens historiques qui nous attachent au continent africain et la volonté du Président de la République de sortir de la logique de la Françafrique. Celle-ci nous a amenés à prendre une décision historique, le 21 décembre dernier, en engageant la réforme du franc CFA avec les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) », a déclaré Bruno Le Maire, le ministre français de l’économie et des finances, lors de son audition devant la commission des affaires étrangères du parlement français, le 28 janvier dernier. Comme le dit le responsable français, il ne s’agit pas de la fin d’une monnaie, mais de la réforme du FCFA. Car en effet, le FCFA n’est pas juste une monnaie comme instrument d’échange et de réserves de valeurs.

C’est un système de coopération monétaire et commerciale qui implique la centralisation des réserves de change dans le trésor public français, la présence de représentants français dans les instances monétaires des pays partenaires, une monnaie au cœur du système, la parité fixe de cette monnaie, la garantie de convertibilité apportée par la France sur le plan international, et sur le plan commercial, la gestion des comptes titres, des dépôts de réserves d’or et surtout la fabrication et garantie des billets et pièces de banques.

Ce qui va changer

Aussi bien les responsables français qu’africains ont choisi de communiquer sur les changements apportés à ce qu’ils appellent les « irritants politiques ». En effet, le gros des critiques des opinions publiques africaines a souvent porté sur le nom historique de la monnaie, CFA, qui renvoie à l’appellation originale Francs des Colonies Françaises d’Afrique. Mais il y a aussi toute les critiques sur le compte des opérations au trésor de France, qui a alimenté toutes les spéculations. Quant à la présence française dans les instances de décisions monétaire, elle est souvent vécue comme une ingérence permanente. L’accord du 21 décembre est donc venu supprimer ces éléments de contestations.

« À travers ce changement du nom de la monnaie, l’UEMOA a bien la volonté de sortir des irritants politiques : le nom, la question de la présence de la France dans les instances et la centralisation de 50 % des réserves de change. Ces éléments ne sont pas nécessaires pour assurer la parité fixe et la garantie de la France » a fait savoir Guillaume Chabert, le chef du service des de la direction générale du Trésor français en charge de la question du CFA, lors d’une audition le 12 février 2020 dernier, devant la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, de l’Assemblée Nationale Française.

Désormais, les réserves de change seront placées par la BCEAO, là où elle le souhaitera. Dans l’imaginaire de beaucoup d’Africains, cet argent qui ne sera plus localisé dans les comptes du trésor français, servira à financer le développement des pays membres. Sur le plan technique, il n’en est rien. Chaque réserve de change a déjà une contrepartie qui a été créé localement, et les devises servent à soutenir les importations très élevées des pays africains qui produisent peu.

12 février 2020 : audition par les députés, des représentants du Trésor français et de la Banque de France

Pour la France, il n’a pas été douloureux de renoncer à la centralisation des réserves de change. Ce compte qu’elle est tenue de rémunérer chaque fin d’année au taux minimum de 0,75%, constituait plutôt une charge financière. La France peut parfaitement, grâce à la Banque Centrale Européenne, emprunter à des taux beaucoup plus faibles, voire négatifs. L’obligation de payer des intérêts supérieurs à ceux du marché européen ne plaisait d’ailleurs pas à tout le monde au parlement français.

Mais surtout, Emmanuel Macron semblait fatigué des attaques politiques, notamment en provenance de certains leaders d’opinion en Allemagne et en Italie, qui accusaient son pays d’escroquer l’Afrique, et donc de favoriser l’immigration. Quant au président ivoirien Alassane Ouattara, ses détracteurs l’ont surnommé le sous-préfet de la France et du système de Bretton Woods, en référence à son passage au FMI et à ses solides amitiés françaises. Il était devenu un chiffon rouge pour les mouvements anti-CFA.

Ce qui ne changera pas

Trois choses essentielles ne changent pas et elles constituent les piliers fondamentaux du CFA. La première est la parité fixe qui sera maintenue entre la nouvelle monnaie et la monnaie européenne. Au-delà de la centralisation des réserves de change et des autres « irritants » politiques, c’est le cœur même du système CFA. Côté français, on indique que cette parité a été voulue par les pays africains. Mais les critiques rappellent que la parité a été fortement « recommandée » à des dirigeants qui n’avaient aucune expérience et qui, face à de gigantesques défis, étaient en situation de faiblesse. Il est vrai que cette parité a permis de préserver une réelle stabilité et des niveaux de croissance relativement élevés (Sénégal, Côte d’Ivoire, Togo et même Benin). Mais elle a aussi limité les capacités de financement du développement en raison du besoin de stabiliser la monnaie.

La seconde chose qui ne change pas, c’est la garantie de la France. Des analystes divers et autres agences de notation font savoir que cette garantie de la France est nécessaire, voire indispensable, car, sans elle, la faible compétitivité des économies de la zone Franc aurait pu précipiter les pays membres dans un chaos macroéconomique. Toutefois, à ce jour, les modalités de cette garantie ne sont pas précisées. On sait seulement que la France exige pour cela un accès privilégié aux informations macroéconomiques de l’UEMOA pour maintenir sa garantie.

« La direction générale du Trésor continuera à dialoguer avec les pays concernés et à suivre de très près ces économies. Nous ne sommes plus dans la gouvernance, mais il existe des mécanismes de déclaration afin de regarder au plus près l’évolution des comptes courants et des réserves de ces pays et de mesurer ainsi les risques d’appel de la garantie », a fait savoir la directrice générale du trésor français, lors de son audition le 19 février 2020, par la commission des finances du Sénat français.

« La place de la France se transforme donc pour devenir celle d’un simple garant financier. Dans cette optique, de nouveaux mécanismes sont prévus pour lui permettre de disposer de l’information nécessaire pour suivre et maîtriser le risque financier qu’elle continuera de prendre. Il s’agit notamment d’informations régulièrement transmises par la BCEAO ou de rencontres informelles avec les différentes autorités et institutions de l’Union. En cas de crise ou d’activation de la garantie, les liens se renforceraient pour permettre des échanges approfondis entre l’UMOA et le Garant, en particulier au sein du Comité de politique monétaire de la BCEAO. Avec cet accord, la coopération entre la France et l’UMOA se poursuit sur de nouvelles bases, tout en garantissant à la France une maîtrise de son exposition », précise également le compte rendu du Conseil des Ministres de la France, du 20 mai 2020.

BCEAO et BEAC sont des clients majeurs pour la Banque de France : « Ils sont donc choyés commercialement afin de les garder », a expliqué M. Cabrillac

La troisième chose que cet accord ne remet pas en cause, c’est le rôle commercial de la Banque de France dans le système CFA. « La Banque de France a des relations commerciales avec la BCEAO, parce qu’elle lui fournit les billets. C’est un client important, le deuxième après la zone euro pour l’impression des billets. La Banque de France a évidemment aussi des relations bancaires avec la BCEAO, parce que nous lui fournissons des services bancaires. Celle-ci a un compte à la Banque de France, comme beaucoup d’autres banques centrales. Elle a aussi un compte-titres », a expliqué Bruno Cabrillac, directeur général adjoint de la Banque de France, lors de l’audience du 12 février 2020 au parlement.

Cette simple phrase recouvre un business important. La BCEAO et la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) sont des clients stratégiques pour la Banque de France. Ils représentent plus de 40 %, voire même presque la moitié, de son plan de charge pour l’avenir. Ce sont donc des clients majeurs pour le futur de cette activité en France. « Ils sont donc choyés commercialement afin de les garder », a expliqué M. Cabrillac.

Les inconnues de la réforme et de ses conséquences

Plusieurs éléments de cette réforme demeurent inconnus :

Le bilan du compte des opérations : « Le sujet du coût de ces opérations et de sa reconstitution historique est extrêmement compliqué. Une partie purement monétaire peut être calculée, mais selon une méthodologie complexe. Les bénéfices récupérés par la France, ou les pays concernés, en termes de dynamisme et de retombées économiques ainsi que de croissance, sont également complexes à calculer », a fait savoir M. Chabert aux parlementaires. Les pays de l’UEMOA semblent accepter le rapatriement des réserves, sans que le bilan de leur dépôt en France soit effectué.

L’adoption du nom ECO : l’annonce de la Côte d’Ivoire avait été diversement appréciée par les responsables du Nigéria, du Ghana ou encore de la Guinée Conakry, membres de la CEDEAO. Il est reproché à l’UEMOA d’avancer seule dans un projet commun. Il faut dire que, du fait de leurs indisciplines budgétaires, ces pays ont clairement indiqué qu’ils ne seraient pas prêts pour le lancement de l’ECO en 2020, comme ils s’y étaient engagés. Par ailleurs, il est peu probable que des ECO soient prochainement en circulation dans l’UEMOA, aucune commande n’ayant été, à ce jour, passée à la France pour la production des pièces et billets, apprend-on.

Le contrôle des changes : il s’applique en cas de sortie d’argent de l’UEMOA. Normalement, la garantie française élimine le risque de transferts et non le risque de change. Autrement dit, lorsqu’on fait une opération autorisée par le contrôle des changes, cela donne le droit de changer des CFA contre une monnaie étrangère. Avec les réserves de change dans le compte des opérations du trésor public français, la France avait, de fait, un regard sur les mouvements de change. Maintenant qu’elle ne centralisera plus ces ressources, elle voudra néanmoins continuer d’en être informée, afin de mesurer sur quoi portera sa garantie. Ce mécanisme d’information n’est pas clairement expliqué. Selon les responsables de la Banque de France, il sera important que le contrôle de change se poursuive, car il est difficile, dans la même politique monétaire, d’avoir une parité fixe et une liberté des changes. De même l’option d’un panier de devises sur laquelle pourrait reposer la nouvelle monnaie de l’UEMOA, et qui est souvent revendiquée par certains économistes, ne semble pas à l’ordre du jour. Tout dépendra donc de l’endroit où seront logés les réserves de change qui seront recouvrées par la BCEAO.

Le texte d’application du nouvel accord de garantie : côté français, on semble indiquer ouvertement qu’il y a une prise de risque. C’est ce point précis qui fait dire que le CFA n’est pas mort et enterré, car tout le système de contrôle se justifie par cette garantie. Un député, lors de l’audition, a supposé que le service sera gratuit, on ignore en réalité si la France va facturer, ou conditionner à un accord commercial, cet engagement.

Selon M. Chabert, les réserves de l’UEMOA « n’étaient pas bloquées au Trésor français. Il ne s’agissait pas d’un compte séquestre servant de collatéral pour la garantie »

Les pays de l’UEMOA n’ont pas commenté ce point précis, même si, en France, on reconnait que le risque lié à cette garantie est « quasi-nul ». Elle n’a d’ailleurs plus été activée depuis 1994.

La dernière inconnue enfin, c’est la position actuelle des gouvernements de l’UEMOA : tous les défis posés plus hauts demandent une implication politique au niveau des parlements et de la société civile des pays membres. Or, rendu à moins d’un mois de l’entrée en vigueur de l’accord, on n’a pas l’impression que le processus de ratification soit très avancé dans la sous-région. A moins que le projet de ratification français soit celui qui sera présenté pour validation aux parlements des pays de l’UEMOA, ce qui serait fortement critiqué par leurs opinions publiques. Le processus peut aussi être repoussé à plus tard en raison de la Covid-19 qui s’impose en maître des horloges.

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