La disparition de celui qui régentait le Burundi depuis quinze ans ne devrait donc pas laisser de vide institutionnel, mais plusieurs interrogations demeurent. Par RFI






Le chef de l’État burundais est décédé, lundi 8 juin, à l’hôpital du Cinquantenaire de Karusi, officiellement d’un arrêt cardiaque. Il sort de la scène avant d’avoir remis, en bonne et due forme, le pouvoir à son successeur, le général Évariste Ndayishimiye, élu le 24 mai dernier. La disparition de celui qui régentait le Burundi depuis quinze ans ne devrait donc pas laisser de vide institutionnel, mais plusieurs interrogations demeurent.

Officiellement, Pierre Nkurunziza devait remettre le fauteuil présidentiel à son successeur lors d’une grande cérémonie populaire le 20 août prochain, à la fin de son troisième mandat. Le président Nkurunziza devait devenir le « guide suprême du patriotisme ». Sa disparition soudaine bouscule cette donne. Et génère de nombreuses questions, à commencer par celle que tout le monde se pose : quelle est la cause de son décès ?

Le Covid a-t-il fauché Nkurunziza?

Selon le communiqué du gouvernement, Pierre Nkurunziza était en mesure de parler dimanche avec ceux qui l’entouraient. D’où la « grande surprise » de voir son état de santé de détériorer brutalement le lundi matin.

Il faut dire que Pierre Nkurunziza avait assuré lors d’un des derniers meetings de campagne que c’était Dieu lui-même qui avait purifié l’air du Burundi, le protégeant de la pandémie. Depuis des semaines, le pays est suspecté de cacher l’ampleur de l’épidémie et accusé de ne pas prendre les mesures qui s’imposent pour réduire la contamination. Conséquence, chaque jour, de véritables marées humaines ont participé pendant trois semaines à la campagne électorale et l’équipe de riposte de l’OMS, accusée d’« ingérence », a carrément été expulsée du pays.

Pierre Nkurunziza est officiellement mort d’un arrêt cardiaque, sans plus de précision. Mais dans le pays, cette version peine à convaincre. D’abord parce que des médecins ont évoqué le Covid-19 dès le lendemain de son hospitalisation. Autre élément en faveur de cette thèse : l’un des rares respirateurs de Bujumbura a été acheminé par hélicoptère lundi à Karusi, mais c’était trop tard.

Enfin, de nombreux Burundais n’ont pas oublié qu’il y a quelques jours, son épouse avait été évacuée vers le Kenya pour une suspicion du coronavirus. Elle était « en voie de guérison et est revenue précipitamment au Burundi dès hier », selon une source administrative.

Pacifique Nininahazwe, le président du Forum pour la conscience et le développement (Focode), est l’un des nombreux leaders de la société civile à avoir été contraint à l’exil pour s’être opposé en 2015 au troisième mandat de Pierre Nkurunziza. Il doute de la version officielle sur les circonstances de la mort du chef de l’État et appelle à la fin du « déni » sur la pandémie de Covid-19.

Aujourd’hui, le gouvernement admet l’existence de 83 cas testés positifs au coronavirus dont un décès, alors que des médecins dénoncent l’existence de centaines de « cas cachés » dont plusieurs dizaines de décès. « Nous espérons que cette fois-ci le gouvernement a compris que la situation est explosive, qu’elle doit sortir du déni et combattre de front cette pandémie », expliquent ces médecins.

Les autorités peu bavardes

La deuxième interrogation est tout aussi prégnante : la disparition physique de l’ancien président ne devrait pas être sans effet sur le plan institutionnel. Même non réélu, il était supposé conserver un rôle majeur dans les affaires de l’État.

Mais il y a d’abord « un choc » à encaisser, estime l’opposant Pierre Buyoya ex-président du Burundi. Il adresse ses condoléances à la famille du défunt, dont il rappelle qu’il fut fut temps « le symbole d’un Burundi » réconcilié au sortir de la guerre civile, avant le tournant de 2015.

Pour lui, cette disparition inopinée intervient à l’aube d’une transition importante pour le Burundi. Il ne dissimule pas ses espoirs.

« Je formule le voeu que cette transition puisse se passer dans l’ordre et dans le calme, que le président élu puisse tirer les leçons du passé et gouverner pour tous les Burundais, ceux qui l’ont élu et ceux qui ne l’ont pas élu […] À un moment donné, le nouveau président devra prendre ses marques à lui, c’est ce que je souhaite. Je pense qu’il y a matière à faire des progrès sur le chemin de la réconciliation. » Pierre Buyoya

Pour l’instant, le pouvoir burundais se contente de passer en boucle un communiqué du porte-parole du gouvernement qui annonce le décès « inopiné » du président sortant, sans un mot de plus sur la suite du programme.

Des réunions se sont succédées en ce début de semaine, notamment au Palais présidentiel Ntare Rushatsi de Bujumbura. Leur objectif : préparer les obsèques du président Nkurunziza mais aussi sa succession, selon un cadre du parti au pouvoir.

Selon la nouvelle Constitution de 2018, c’est le président de l’Assemblée nationale Pascal Nyabenda qui doit assurer l’intérim du président en cas de vacance de poste définitive. « Mais les circonstances sont exceptionnelles », explique ce cadre en rappelant que Pierre Nkurunziza était à moins de trois mois de la fin de son mandat et que la victoire de son successeur à la présidentielle du 20 mai venait d’être validée définitivement par la Cour constitutionnelle.

Une émancipation plus rapide que prévue pour le nouveau dirigeant

« On envisage d’accélérer la prestation de serment du général Évariste Ndayishimiye », ajoute la même source, histoire d’éviter « une trop longue période d’incertitude ».

Un spécialiste rappelle que le président élu allait être pris en étau entre un président sortant qui devait rester très influent, et une « junte » constituée de généraux issus de l’ex-rébellion du CNDD-FDD considérés comme des radicaux.

Pierre Nkurunziza allait devenir guide suprême du patriotisme, et ce titre ne s’annonçait pas seulement honorifique. Au sein de son parti comme des milieux diplomatiques, on pensait que son successeur, le général Évariste Ndayishimiye, peinerait pendant de longs mois encore à imposer une nouvelle ligne à son parti, comme au pays.« Le brusque décès de Pierre Nkurunziza va lui donner une plus grande marge de manoeuvre », assure notre source.

L’amertume pour les victimes de la répression

Car on ne comble pas d’un revers de main l’absence d’un personnage qui a tenu, de plus en plus férocement, les rênes du régime pendant quinze ans.

Pierre Nkurunziza est pourtant parti de loin, simple professeur d’éducation physique. Quand il prend la tête d’un CNDD-FDD déjà en crise en 2001, il est considéré comme le plus petit dénominateur commun entre des généraux beaucoup plus puissants que lui et qui forment une junte, aujourd’hui encore. Élu président de la République en 2005, Pierre Nkurunziza va peu à peu s’imposer. Il dit volontiers avoir été choisi par Dieu pour gouverner le Burundi et entrainera tous les responsables des institutions et parties dans d’interminables grandes messes religieuses, appelées « croisades ».

Le Burundi, sorti de la guerre civile, connaît quelques progrès sur le plan politique et économique sous son premier mandat. Mais dès 2010, la répression s’intensifie avec le retour du rival de toujours Agathon Rwasa, chef de l’autre rébellion hutue. Cette répression atteint son paroxysme en 2015 alors que Pierre Nkurunziza s’impose une fois de plus à la présidence.

Adressant ses pensées aux proches de Pierre Nkurunziza – « on ne devrait pas souhaiter la mort, même à son pire ennemi », dit-il – Pacifique Nininahazwe dresse un bilan très critique de ses quinzen anées à la tête du pays. Il regrette que Pierre Nkurunziza n’ait pas vécu assez longtemps pour être entendu par la justice, dans le cadre des enquêtes menées actuellement par la CPI. Ce sera une autre, et pas la moindre, conséquence de la mort prématurée de l’ancien homme fort de Bujumbura.

« Au début de son régime, en 2005, il incarnait l’espoir […] Il parlait de démocratie, de lutte contre la corruption. Mais on a rapidement déchanté. Son régime a été marqué par des violations graves des droits humains, de crimes extrêmement graves. Il part alors que son régime est sous enquête de la CPI. C’est dommage qu’il parte sans être jugé, j’aurais voulu qu’un jour il se présente devant un juge. Nous garderons l’image d’un président qui a fait reculer le Burundi sur tous les plans, que ce soit sur le plan des droits humains d’abord, ensuite sur les questions de réconciliations. Il part alors que plusieurs centaines de milliers de Burundais son exil. C’est un président qui a détruit l’économie du Burundi, qui a cassé les espoirs des Burundais. » Pacifique Ninahazwe

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