« Depuis ma naissance, je ne vis que les humiliations, la négation…jusqu’à être appelés des cafards. »
L’écrivaine Scholastique Mukasonga est une Tutsi, née en 1956 au Rwanda. En 1973, les élèves tutsis sont chassés des écoles, elle part alors en exil au Burundi pour échapper à la mort. Elle arrive en France en 1992. En 1994, 37 membres de sa famille sont assassinés durant le génocide contre les Batutsi. En 2004, elle retourne pour la première fois dans son pays. C’est à la suite de ce séjour qu’elle se sent la force d’écrire son premier livre, une autobiographie, Inyenzi ou les Cafards. Sa traduction américaine, Cockroaches, est nominée pour le Los Angeles Times Book Prize de 2016 dans la catégorie des autobiographies. Son roman, Notre-Dame du Nil, obtient le prix Ahmadou-Kourouma à Genève, le prix Océans France Ô, et le prix Renaudot 2012. Ledit roman est porté à l’écran grâce à une adaptation cinématographique du réalisateur Atiq Rahimi. Un mois après la projection du film au cinéma, Scholastique MUKASONGA annonce sur son compte tweeter la sortie de son nouveau roman KIBOGO EST MONTE AU CIEL. D’ailleurs, elle « attend vos retours de lectures ».
Scholastique Mukasonga explore dans ses romans les sociétés rwandaise et burundaise. Elle met l’accent sur l’histoire douloureuse et tragique de son pays, l’éducation tant traditionnelle que moderne. Elle prend fait et cause pour la culture du Rwanda qui a été travestie par les occidentaux. Dès lors, elle pointe un doigt accusateur vers le christianisme, qu’elle soupçonne de génocide culturel « Je suis dans la mémoire du génocide de notre culture… quand la colonisation et le christianisme arrivent tout cela a été éradiqué ». Scholastique Mukasonga est dès sa petite enfance exposée aux violences ethniques qui régissent alors le Rwanda « Depuis ma naissance, je ne vis que les humiliations, la négation de notre statut d’être humain jusqu’à être appelés des cafards ». A cela s’ajoute entre autres, un quota qui n’admettait que 10% de Tutsi dans les établissements secondaires, pire en 1973, les élèves tutsis sont chassés des écoles et les fonctionnaires de leurs postes. Auteure à succès, elle est par ses livres, à l’avant-garde du combat contre l’oubli des victimes parce que « si on veut reconstruire le Rwanda, il faut partir de l’histoire quelle que soit cette histoire, pour ne pas tomber dans les mêmes erreurs ». Pour la franco-rwandaise, honorer la mémoire de son père qui avait trouvé en son instruction, un moyen pour la sauver de la mort et par ce billet, sauver de l’oubli ceux qui allaient tomber sous la machette et dans les fosses communes, est un sacerdoce. En apprenant à lire et à écrire, et à bien écrire pour devenir aujourd’hui écrivaine, Scholastique Mukasonga devenait absolument « la gardienne de la mémoire de ceux qui ne sont plus. Et, je construisais une sépulture qu’ils n’ont pas eue ». Dans un génocide, poursuit-elle, « on a des morts sans corps par conséquent sans sépulture, donc il fallait que je trouve un moyen de donner une sépulture pour pourvoir moi aussi me recueillir quelque part et donc je me recueille dans mes livres ». L’assistante sociale et mandataire judiciaire, survivante et « pas rescapée » du génocide rwandais, convainc que c’est la volonté de ses parents qu’elle soit « leur mémoire quand ça arrivera ». Enfin Scholastique Mukasonga de conclure « pour ne pas rester prisonnier de son histoire, il faut écrire. C’est la meilleure thérapie ! »
La vengeance, ça vous ronge
Le génocide contre les Bautsi au Rwanda s’est déroulé du 7 avril1994 jusqu’au 17 juillet1994. L’ONU estime qu’environ 800 000 Rwandais, en majorité tutsi, ont perdu la vie durant ces trois mois au nombre desquels 37 membres de sa famille. Malgré la souffrance et la douleur qui mortifie son âme et sa chair, Scholastique Mukasonga, a le cœur au pardon « La vengeance ça ne m’a jamais effleuré, jamais parce que la vengeance, c’est comme être victime. Ce sont des choses qui vous ramènent vers le bas. Ça ne vous donne pas la force, ça vous ronge ». Prenant de la hauteur et en femme de caractère, elle ajoute que la mort des proches et parents, bien au contraire, a nourri les Batutsi, « non pas de rancœur, non pas de haine mais d’une énergie que rien ne pourra briser ». Dans ce drame au Rwanda, souligne-t-elle, tout le monde a été victime, les bourreaux comme les victimes. Prêchant le vivre-ensemble et le pardon mutuel, malgré la commotion et l’horreur qu’a traversés le Rwanda, l’écrivaine, tente de revitaliser le cordon ombilical qui jadis unissait les deux peuples « Les Bahutu et les Batutsi ont toujours été des composantes indissociables de la société rwandaise. Tout le monde avait besoin de l’autre. Le Muhutu avait besoin du Mututsi pour la bouse de vache pour fumer son champ parce qu’on n’avait pas d’engrais chimique et le Mututsi avait besoin de la patate douce du Muhutu. Donc, nous étions complémentaires et solidaires ».
La femme rwandaise
Presqu’à chaque interview, Scholastique Mukasonga se prononce sur l’évolution du statut de la femme au Rwanda. Chassée de son pays en 1973. Elle trouve refuge au Burundi où elle découvre que la femme est assignée plus dans un rôle de fécondité et de recherche du bien-être de l’homme. Quelques années plus tard, notamment en 2004, il se passe « quelque chose d’extraordinaire », la femme rwandaise d’après le génocide, n’est plus dans ce cadre-là, elle qui, a été en souffrance lors de cette triste histoire « Les femmes étaient une arme de génocide, de viol », s’est-elle attristée. Et pourtant, raconte-t-elle, au lieu de penser vengeance, au lieu de s’effondrer, elles ont été absolument debout. Puis d’ajouter, la femme au Rwanda aujourd’hui, « ce sont elles qui choisissent leurs maris ». La rwandaise, n’est pas la femme dans l’ombre des choses vécues par le passé durant le génocide, bien au contraire, ça lui a fait retrouver un statut autre, celui d’égal à égal avec l’homme. « Une petite fille rêveuse ça n’existe pas ». Recadrant les choses, Scholastique Mukasonga, rappelle que la femme a traditionnellement eu sa place au Rwanda. C’était la maitresse de maison, elle était respectée en tant que tel, elle avait la responsabilité de la survie de la famille. Aujourd’hui après le génocide, les femmes ne sont pas effondrées mieux elles assument des tâches qui étaient autrefois réservées aux hommes. La femme n’est plus la machine à fabriquer les enfants, elles sont représentées à 61% au parlement rwandais, plaçant du coup le pays en tête du classement mondial.
Kibogo est monté au ciel
Bernard Pivot, de l’Académie Goncourt, aborde le livre KIBOGO EST MONTE AU CIEL, de Scholastique Mukasonga, publié le 12 mars 2020 en ces termes, « Dans le Rwanda colonisé et évangélisé par les Belges, il y avait d’extraordinaires personnages dont Scholastique Mukasonga (Prix Renaudot 2012 pour NOTRE-DAME DU NIL) qui restitue avec truculence, tendresse et mordant les incroyables aventures ».Le roman raconte que la colonisation et l’évangélisation avaient partie liée au Rwanda. En 1931, la destitution du roi Musinga qui refusait le baptême entraîna la conversion massive de la population. Souvent, ces baptêmes à la chaîne, pour beaucoup opportunistes, aboutirent à un syncrétisme qui constituait une forme de résistance. Est-ce qu’il fallait croire aux contes que prêchent les pères blancs à longue barbe ou à ceux que raconte votre mère, chaque soir, à la veillée, jusqu’à ce que le foyer ne soit plus que braises rougeoyantes ? Dans ces histoires miraculeuses, la satire se mêle d’humour et de merveilleux : « un immense plaisir de lecture », invite Gallimard, l’éditeur.
Les œuvres de scholastique Mukasonga
Son premier livre, paru en 2006, INYENZI OU LES CAFARDS, est autobiographique. C’est le portrait de sa mère et le récit de son enfance, dans le village de regroupement de Nyamata où sa famille a été déplacée en 1960. Il évoque les persécutions mais aussi les jours malgré tout heureux de cette période. Le second livre, LA FEMME AUX PIEDS NUS (2008, prix Seligmann 2008 « contre le racisme, l’injustice et l’intolérance »), est un hommage à sa mère et au courage de toutes les femmes de Nyamata qui s’ingéniaient à survivre et à sauver leurs enfants d’une mort promise. Il offre aussi un tableau de la tradition et de la vie quotidienne au Rwanda. L’IGUIFOU, NOUVELLES RWANDAISES (2010, prix Renaissance de la nouvelle 2011 et le Prix de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer). Dans le roman NOTRE-DAME DU NIL (2012, prix Ahmadou Kourouma 2012 et prix Renaudot 2012), elle imagine un lycée perché dans la montagne à 2 500 m d’altitude non loin d’une présumée source du Nil où sont réunies les filles de hauts dignitaires. Un quota limite le nombre des élèves tutsi à 10%. Dans cet huis-clos, s’exaspèrent les rivalités soi-disant ethniques. La fiction se fonde évidemment sur des éléments autobiographiques, quand en 1973, l’épuration des élèves tutsis l’a contrainte à l’exil au Burundi. Le roman CE QUE MURMURENT LES COLLINES (2014, Grand Prix SGDL de la Nouvelle 2015), est un recueil de nouvelles, les unes ayant comme assise l’histoire du Rwanda et les traditions orales. C’est son premier ouvrage qui n’est pas centré sur le génocide. Suivra en 2016, son roman Cœur Tambour, Scholastique Mukasonga élargit son horizon du Rwanda aux Antilles, aux États-Unis et au Brésil. Le livre retrace l’initiation de la jeune rwandaise Prisca aux transes de l’esprit et d’un tambour sacré sous lequel meurt mystérieusement écrasée celle qui est devenue la célèbre chanteuse Kitami. Revenant à l’autobiographie, l’auteur raconte dans son avant dernier roman, comment pour la sauver d’une mort annoncée, son père la pousse à obtenir UN SI BEAU DIPLOME ! Publié en 2018. Dans l’exil, du Burundi, à Djibouti puis en France, souligne l’écrivaine, «le beau diplôme» sera ce «talisman» d’énergie pour surmonter l’exclusion et la désespérance. En enfin son huitième livre KIBOGO EST MONTE AU CIEL a été publié l’année dernière.
Ange DE VILLIER, correspondant à Paris
Par bamada.net 12/01/2021