27 ans après le génocide contre les Batutsi, la justice française tarde à éclairer les nombreuses zones d’ombre concernant le rôle des mercenaires français

L’association Survie*, partie civile dans le cadre d’une procédure instruite au Tribunal judiciaire de Paris suite à une plainte déposée contre Paul Barril pour son rôle au Rwanda en 1994, a fait appel d’une ordonnance rendue par la juge d’instruction (Ariane Amson) qui rejette sa demande d’actes. L’association Survie avait demandé l’audition de Jean-Bernard Curial, pour sa connaissance des réseaux Pasqua à l’époque des faits, et l’audition de Stephen Smith pour connaître l’identité des organisateurs d’un envoi de mercenaires, dit de « Matonge » en juin 1994 au Rwanda.

Dans une ordonnance de rejet partiel du 18 mars 2021, la juge d’instruction a refusé l’audition de Jean-Bernard Curial, et si elle a accepté celle de Stephen Smith, c’est uniquement pour l’interroger sur Paul Barril mais pas sur l’identité des personnes qui ont envoyé les mercenaires de «Matonge». Ainsi, en estimant que « la présente information judiciaire porte sur l’implication de Paul Barril et d’éventuels co-auteurs ou complices […] et non sur l’implication d’autres équipes de mercenaires », comme si ces derniers ne pouvaient pas être également complices, la juge d’instruction semble exclure d’emblée de s’intéresser au rôle des réseaux Pasqua.

Survie conteste non seulement cette décision mais aussi l’appréciation qu’ont les juges d’instruction de ce dossier. Ces derniers semblent en effet présupposer, avant toute investigation et en contradiction avec certains éléments du dossier, que Paul Barril aurait été un «électron libre» et qu’il aurait agi de sa propre initiative.

Pour François Crétollier, porte-parole de Survie : «de nombreux indices nous font penser que Paul Barril faisait partie d’un réseau structuré à partir de l’Élysée dans le cadre d’une stratégie indirecte de soutien au Gouvernement intérimaire rwandais (GIR) qui a orchestré le génocide ». Ce soutien s’est notamment traduit par la signature d’un contrat le 28 mai 1994 entre Paul Barril et le premier ministre du gouvernement génocidaire. La première partie de ce contrat a été réalisée : une équipe de la société SECRETS de Paul Barril a été envoyée en mai 1994 au Rwanda.

La seconde partie du contrat (envoi d’une vingtaine de mercenaires, d’armes et munitions) n’a pas été réalisée par Paul Barril lui-même, cependant des mercenaires et des armes ont bien été envoyés au Rwanda. Des éléments du dossier suggèrent – et donc exigent – de s’interroger sur une sous-traitance de ce contrat par d’autres mercenaires ou sur une répartition des tâches en bonne entente au sein de ce réseau.

C’est bien l’ensemble des individus qui constituent cette organisation qui sont les complices de Paul Barril, alors que les juges d’instruction ne s’intéressent qu’aux simples exécutants, et s’abstiennent d’enquêter sur «les têtes pensantes». Survie avait déjà demandé aux différents juges d’instruction qui se sont succédé de s’intéresser aux décideurs français, ainsi qu’au réseau Denard. Survie pense également que la justice française pourrait s’intéresser au marchand d’armes belge Jacques Monsieur et à Jean-François Etienne des Rosaies, membre des réseaux Pasqua.

Vingt-sept ans après les faits, il est temps que la justice lève le voile sur une des plus graves compromissions de la Vème République, et que les changements institutionnels soient entrepris pour instaurer un contrôle démocratique de l’action de l’Élysée au même titre que de l’action du gouvernement. (Fin).

* Survie est une association qui dénonce toutes les formes d’intervention néocoloniale française en Afrique et milite pour une refonte réelle de la politique étrangère de la France en Afrique.

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