Après la suspension par la Fédération de Russie de sa participation dans le traité sur la réduction des armements stratégiques offensifs Start-II/SNV-III, le 23 février 2023, qui n’a été qu’une suite logique et parfaitement prévisible en vue du nouveau caractère des relations russo-occidentales instaurées depuis le début de l’année 2022 : face à la menace déclarée et partiellement mise en œuvre par l’Occident collectif américano-centrique vis-à-vis de la Russie, cette dernière a procédé à la suppression légale des restrictions au développement de son armement stratégique – aujourd’hui, c’est un nouveau pas significatif qui a été entrepris par Moscou dans le cadre du renforcement de sa sécurité nationale.
À la suite du vote à la majorité absolue de la Douma d\\\’État (chambre basse de l’Assemblée fédérale/parlement de la Fédération de Russie) en faveur de la révocation de la ratification russe du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), le 18 octobre dernier, et à la suite du vote à l’unanimité par le Conseil de la Fédération (chambre haute) dans le même sens, le 25 octobre, – nul doute dans la signature de la loi par le président Vladimir Poutine qui suivra et fera entrer en vigueur ladite révocation de la ratification.
Précédemment, le président de la Douma Viatcheslav Volodine a déclaré que le projet de loi avait été signé par 438 sur les 450 députés, en soulignant que la consolidation d\\\’une telle ampleur est assez rare et n’est qu’une réponse à l’attitude grossière des États-Unis à l\\\’égard de leurs responsabilités dans le maintien de la sécurité mondiale.
De son côté, le premier vice-président du Comité du Conseil de la Fédération pour les affaires internationales Sergey Kislyak a déclaré : « L’article sur la ratification du traité d’interdiction complète des essais nucléaires de la loi fédérale de l’an 2000 a été abrogé. Les autres dispositions de la loi qui concernent la mise en œuvre du traité d’interdiction complète des essais nucléaires et la participation de la Fédération de Russie à celui-ci, restent inchangées ». Le sénateur a souligné que le TICE est un instrument important dans le domaine du contrôle des armements et de la non-prolifération des armes nucléaires. « C’est ainsi que notre pays a considéré ce traité pendant toutes ces années, en demandant l’adhésion de tous les États à ce dernier. La révocation de la ratification n’empêche pas la poursuite d’une approche constructive. La Russie reste un État signataire avec tous les droits et responsabilités que cela implique ».
La Fédération de Russie, de même que les Etats-Unis d’Amérique, a signé le Traité, le 24 septembre 1996, en comptant, comme le reste de l’humanité, que le TICE deviendrait un instrument juridique international majeur interdisant tout type d’essais nucléaires et mettrait fin, à tout jamais, au danger de l’apocalypse nucléaire qui a plané sur le monde durant la guerre froide.
Toutefois, un accord étatique international n’est considéré comme valide et entre en vigueur qu’à la ratification par les pays-signataires, sans quoi il n’a pas plus de valeur juridique qu’une simple « lettre d’intentions » qui n’en a aucune. Moscou ratifie son engagement, le 30 juin 2000 ; Washington ne l’a jamais fait. Ainsi, la politique classique des doubles standards des États-Unis et l’irresponsabilité chronique face aux questions de la sécurité internationale a détruit le sens même de l’existence du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Vingt-sept ans passés, il n’est toujours pas entré en vigueur et avec les représailles en forme du retrait actuel de la ratification par la Russie, première puissance nucléaire – le Traité peut être considéré comme mort et enterré.
Une telle attitude arrogante de l’Etat américain est fondée, avant tout, sur la croyance d’être une nation supérieure élue par Dieu pour gouverner le monde à tout jamais – les lois sont écrites pour les nations inférieures. Croyance, qui est aussi profonde que l’ignorance non seulement de l’histoire peu enviable de tous les empires du passé, mais également de sa propre histoire. L’ignorance qui lui fait oublier l’humilité pouvant rappeler la réalité historique : les seules capacités et aptitudes possédées par les Etats-Unis d’Amérique ont été, cela fait seulement 200 ans, de faire pousser le coton par des esclaves et de perpétrer les massacres à grande échelle des populations indigènes du continent, afin de voler leurs terres et ressources.
Malgré la propagande menée par le pouvoir « atlantiste » via les médias mainstream occidentaux accusant la Russie de casser l’architecture de la sécurité nucléaire mondiale, la réalité est bien différente de leur narratif : l’initiative russe n’est qu’une réponse mesurée et logique à la stratégie belliqueuse américaine de longue date concernant les armements nucléaires.
La non-ratification du TICE par les Etats-Unis, signée en 1996, n’est nullement la seule initiative américaine, afin de maintenir le monde dans la tension du danger permanent d’une guerre nucléaire. Washington est déjà l’auteur du retrait, en juin 2002, du traité ABM sur la limitation des systèmes de défense contre les missiles balistiques ; du retrait, en mai 2018, de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien ; du retrait, en août 2019, du traité INF sur les missiles nucléaires à portée intermédiaire, ainsi que du retrait, en mai 2020, du traité « Ciel ouvert » sur la vérification des mouvements militaires et de la limitation des armements.
Ce n’est pas depuis le début de la guerre en Ukraine, mais depuis plus de 20 ans que les Etats-Unis d’Amérique mènent une politique du désengagement vis-à-vis des obligations internationales prises auparavant : le retrait unilatéral de l’intégralité des accords internationaux clés sur le contrôle des armements nucléaires, hormis celui sur la non-prolifération des armes nucléaires, signé en 1968, et celui de Start-II.
En constatant cela, la Fédération de Russie est en train de prendre des mesures vis-à-vis de sa force de dissuasion nucléaire qui est considérée, à juste titre, comme un élément suffisant pour assurer la mission qui est la sienne : dissuader les adversaires d’engager leurs forces armées dans une confrontation directe avec la Russie, ce qui, selon la doctrine militaire russe en vigueur, mènerait directement à des frappes nucléaires de représailles des cibles stratégiques ennemies.
Parmi les pays disposant d’armes nucléaires, les Etats-Unis d’Amérique sont en tête de ceux qui n’ont jamais ratifié leur engagement auprès du TICE. Plusieurs autres pays disposant de l’arme nucléaire n’ont pas ratifié le Traité, voir ne l’ont jamais signé : l’Israël, la Corée du Nord, la Chine, le Pakistan et l’Inde. Mais c’est bien aux Etats-Unis que s’adresse le message de la nouvelle disposition de la Russie vis-à-vis des essais nucléaires. Les Etats-Unis, de plus en plus agressifs sur la scène internationale en vue de l’effondrement imminant de leur domination politico-militaire mondiale qui est dû à l’anéantissement progressif inéluctable engagé de la domination monétaire américaine et du système des pétrodollars instauré en 1979.
Dans le cadre de la lutte des Etats-Unis pour sa survie en tant que puissance dominatrice, l’intensification de leurs hostilités vis-à-vis du reste du monde et la création de nouveaux foyers de conflits armés ne vont que s’intensifier au degré proportionnel de la diminution de leur suprématie.
Ainsi, les déclarations de Moscou stipulant que les nouveaux essais d’armes nucléaires n’auront lieu du côté russe qu’à l’accroissement des hostilités occidentales envers la Russie, dont les éventuels essais nucléaires par les Américains, ne peuvent être considérées autrement que par la mise en demeure avant le début des essais des nouvelles armes nucléaires révolutionnaires en possession des forces armées de la Fédération de Russie.
Un nouvel équilibre géostratégique, dorénavant inévitable, est en train d’être instauré. L’équilibre qui ne sera plus basé sur les accords, les traités et les partenariats entre la Russie et l’Occident collectif, mais sur la parité militaire rajustée en flux tendu entre les parties.
Nom Oleg Nesterenko
Président du CCIE (www.c-cie.eu)
(Spécialiste de la Russie, CEI et de l’Afrique subsaharienne ; ancien directeur de l’MBA, ancien professeur auprès des masters des Grandes Ecoles de Commerce de Paris)