En 1994, lorsque la Belgique a accueilli les victimes du génocide contre les Batutsi, elle a également permis l’entrée sur son territoire de génocidaires. Cette décision ne résultait pas d’une erreur d’appréciation, mais bien d’une complicité avec les partis chrétiens belges et les organisations non gouvernementales affiliées. Des documents révélés par Médor montrent qu’en 1997, le CVP, parti du Premier ministre Jean-Luc Dehaene à l’époque, a tenté de minimiser l’aide qu’il avait apportée au gouvernement responsable du génocide contre les Batutsi.

En 1994, une délégation incluant l’ex-ministre Rika De Backer et Alain De Brouwer, représentants de l’International Démocrate-Chrétien IDC et du PPE, s’était rendue à Bukavu pour rencontrer le gouvernement intérimaire rwandais en place pendant le génocide. Parmi les personnalités rencontrées figurait Jean Kambanda, qui sera condamné en 1998 à la réclusion à perpétuité par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour génocide. Cette rencontre controversée a été rendue possible grâce à l’organisation non gouvernementale catholique VZW ACT-ngo, fondée par Rika De Backer, ainsi que par Caritas.

Le trio André Louis, Alain De Brouwer et Rika de Backer a joué également un rôle instrumental dans la création du Rassemblement pour un retour des réfugiés (RDR) : ce mouvement né en exil réunissait les extrémistes de hutu power, les représentants du gouvernement génocidaire et ex-FAR. Les mêmes ont dépêché des avocats belges pour préparer les éléments de langage face à la justice internationale qui se profilait à l’horizon. Tout nier en bloc et incriminer plutôt le FPR.

Les camps des réfugiés auraient dû être installés à plus de cinquante kilomètres de la frontière, et on ne mélange jamais les civils avec les militaires qui doivent impérativement être désarmés. En 1994, par la force de ceux qui soutiennent encore les génocidaires et croient dur comme fer à la reprise du pouvoir au Rwanda, refusent qu’aucune de ces règles élémentaires du droit international humanitaire ne soit respectée. Il y a, en première ligne, la France suivie de la Belgique. Et on s’étonne que les conflits persistent à l’Est de la RDC.

La plupart des ONG et les agences des Nations unies n’ignorent pas que l’exode de ces réfugiés a été organisé par les responsables du régime Habyarimana, celui-là même qui a planifié et exécuté le génocide contre les Batutsi avait prévu l’exode de la population : la politique de la terre brûlée. Ces camps dits des réfugiés sont installés à la lisière des frontières rwandaises avec un objectif précis : réarmer les ex-FAR et Interahamwe qui doivent reprendre le pouvoir au Rwanda.

Très vite, les organisations humanitaires se trouvent confrontées à l’emprise brutale des leaders sur la population des camps, dont certains sont transformés en base arrière pour la reconquête du Rwanda à travers les détournements massifs de l’aide, la violence, les recrutements forcés, la propagande et les menaces contre les candidats au rapatriement. Les camps de réfugiés sont devenus un sanctuaire pour les ex-FAR et Interahamwe, qui utilisent la population comme un bouclier humain au vu et au su des agences onusiennes et des organisations non gouvernementales.

Les problèmes de sécurité s’aggravent dans les camps. On compte des assassinats, des lynchages et des personnes coupées en morceaux. Cette reconnaissance est officielle et documentée. Règlements de compte ? Pas du tout. Des mobiles politiques et idéologiques. À noter qu’une équipe de MSF Hollande a assisté à la mise en pièces de certaines victimes… Il devient urgent que les équipes respectent un peu mieux les consignes de sécurité et ne traînent pas le soir pour rentrer du camp.

En novembre 1994, un appel des ONG présentes dans les camps du Kivu est adressé au Conseil de sécurité, demandant l’envoi d’une force de police internationale pour séparer les réfugiés et les « cadres responsables » du génocide. L’appel reste sans suite. L’assertion selon laquelle on ne savait pas est mise à mal avec toute cette documentation.

Les pays occidentaux ont utilisé les ONG et les agences des Nations unies pour renforcer l’emprise d’un pouvoir génocidaire dans les camps avec un agenda politique qui persiste jusqu’à présent. Qu’on ne s’y trompe pas. Et Médecins Sans Frontières (MSF) avait posé la problématique de l’action humanitaire et même son éthique : une ONG humanitaire peut-elle accepter que ses secours soient détournés par des personnes qui utilisent la violence contre les réfugiés et revendiquent leur intention de reprendre la guerre pour finir le génocide ? « Finir le travail », revendiquaient-ils à haute voix.

La section française de Médecins Sans Frontières, considérant qu’une organisation humanitaire n’a pas d’autre mandat que celui qu’elle s’impose, refuse de contribuer à légitimer les auteurs du génocide contre les Tutsi et à renforcer leur pouvoir par son assistance dans les camps. La phase d’urgence médicale passée, contre l’avis et le soutien financier du gouvernement français, MSF France se retire donc des camps du Zaïre puis de Tanzanie en novembre et décembre 1994 et explique publiquement sa position. Là encore, on ne dira pas qu’on ne savait pas.

Les sections belge, espagnole et hollandaise choisissent de rester, considérant que les réfugiés ont encore besoin d’aide, et que tout n’a pas été fait pour mettre fin à l’emprise des auteurs du génocide. Tout n’a pas été fait : mais par qui ?

On le sait depuis cette époque, « Les autorités françaises avaient donné l’ordre de réarmer ceux qui ont commis le génocide contre les Tutsi au Rwanda. L’ordre était appuyé par l’ancien secrétaire général de l’Élysée, Hubert Védrine. L’affirmation est du journaliste Patrick de Saint-Exupéry, qui avait gagné le procès pour diffamation lui intenté par le même Hubert Védrine.

Pour la petite histoire, le journaliste Patrick de Saint-Exupéry a fait l’objet d’un acharnement judiciaire en France destiné à l’empêcher de continuer ses investigations sur les responsabilités dans le drame du Rwanda. Peine perdue, il a été coriace. L’ancien colonel français, membre de l’opération Turquoise, Guillaume Ancel, un ancien officier de l’armée de terre, confirme les faits. Sans détour, il affirme que ses supérieurs lui ont demandé de « livrer des armes aux génocidaires dans les camps de réfugiés ». Et l’aéroport de Goma accueillera des cargaisons d’armes livrées aux génocidaires.

Une commission d’historiens français, dirigée par le Pr Vincent Duclert, a remis, le 26 mars 2021, un rapport sur le rôle de la France dans le génocide contre les Tutsi au Rwanda en avril 1994. Ce rapport pointe des « responsabilités accablantes » pour la France. Le 27 mai 2021, le président de la République française Emmanuel Macron a visité le Mémorial du génocide de Gisozi à Kigali, au Rwanda. Il y a prononcé un discours dans lequel il reconnaît la responsabilité de la France dans le génocide perpétré contre les Tutsi en 1994.

En mars 1998, le président des États-Unis, Bill Clinton, était venu exprimer ses regrets à Kigali. Il aura fallu attendre avril 2000 pour que le Premier ministre belge, Guy Verhofstadt, qui avait dirigé en 1998 les travaux de la commission parlementaire consacrée au Rwanda, se rende à Kigali et prononce ces mots décisifs : « Au nom de mon pays, au nom de mon peuple, je vous demande pardon. »

Viendra aussi Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies, qui déclarera à Kigali : « Le génocide n’aurait jamais dû se produire. Mais il s’est produit. La communauté internationale a abandonné le Rwanda à son sort et cela nous laissera pour toujours les plus amers regrets et la plus profonde tristesse. »

Pourquoi Paris, Londres, Bruxelles, Washington et New York, bien informées de la préparation du génocide contre les Tutsi, n’ont-ils pas su l’empêcher ? Ici réside les responsabilités à la fois étatiques et collectives. « L’État français porte une lourde responsabilité pour avoir rendu possible un génocide prévisible », avait conclu pour sa part le rapport Muse. On peut dire qu’il en est de même pour la Belgique, qui, à la différence de la France, persiste à harceler le Rwanda post-génocide contre les Batutsi.

Dans son ouvrage « J’ai serré la main du diable », le Général canadien Roméo Dallaire pointe les défaillances et impuissances des Nations unies. Mais il hiérarchise les responsabilités, même si les responsabilités des Nations unies ne sont pas moins écrasantes. Car la commission sénatoriale belge a trouvé dans les archives à Bruxelles des dizaines de documents qui indiquaient la préparation des massacres à grande échelle par l’entourage de Habyarimana. Et le secrétariat général des Nations unies disposait de ces documents.

Pour mieux comprendre l’obsession des soutiens de Habyarimana, des génocidaires et des négationnistes à tenter par tous les moyens d’inverser les responsabilités, il faut lire la lettre de l’universitaire flamand Filip Reynjens à son cher Ngeze Hassan : « Anvers, le 9 mai 1997, Cher Monsieur Ngeze, Ce serait en effet crucial de pouvoir prouver l’implication du FPR dans l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana ». Tout est ici. L’obstination d’incriminer le FPR et son leader charismatique Paul Kagame, d’inverser les responsabilités, de falsifier l’histoire et se tirer à bon compte.

Le journal Libération, qui paraît en France à Paris, du 21 septembre 2021, indique ceci : « Après une première édition contestée, la deuxième édition du « Que sais-je ? » de Filip Reyntjens parue cet été continue de diffuser des thèses niant des éléments fondamentaux du dernier génocide du XXe siècle, alerte un collectif de 90 personnalités. Nous ne pouvons que nous étonner qu’un éditeur, visant à mettre le savoir à la portée de tous, ait pu ignorer les alertes d’historiens reconnus et participe à la diffusion, une deuxième fois, de thèses niant des éléments fondamentaux du génocide des Tutsis. Ce faisant, le groupe d’édition Humensis (propriétaire des PUF) a non seulement contribué à la vulgarisation de thèses historiquement obsolètes, mais apporte également du crédit à un auteur défendant des thèses révisionnistes sur le dernier génocide du XXe siècle. Cette négation de la planification du génocide, étayée de manière douteuse par des sources limitées et sélectives, est d’autant plus étonnante que ce même Filip Reyntjens déclarait en 1995 sous serment devant la justice belge : « Cependant, je sais d’après de nombreux témoignages fiables qu’un projet génocidaire et de massacres politiques existait depuis longtemps et dont on voit les premiers signes déjà à la fin de l’année 1991. »

Engagé dans une guerre médiatique contre le Front Patriotique Rwandais (FPR) depuis 1990 au détriment de l’objectivité de ses travaux, Filip Reyntjens reprend les thèses nauséabondes attribuant la responsabilité du génocide des Tutsis au FPR qui, dès octobre 1990, « ne pouvait ignorer […] que l’attaque mettrait en péril de façon aiguë les Batutsis de l’intérieur », accablant les victimes du génocide d’une partie de la responsabilité de leurs bourreaux.

Paul Kagame et le FPR ont constamment été la cible de vives polémiques et de campagnes médiatiques intenses, d’abord en sa qualité de commandant de l’armée du Front Patriotique Rwandais dès octobre 1990, ensuite comme vice-président de la République et ministre de la Défense de transition post-génocide contre les Tutsi en 1994, et enfin en tant que président de la République. Il est manifeste que Paul Kagame a provoqué le ressentiment en Occident, en particulier les critiques acerbes depuis la Flandre en Belgique.

C’est en Belgique qu’on retrouve les sièges de Rusesabagina, le tristement célèbre terroriste, Jambo asbl, le soutien avéré des FDLR et la propagation de son idéologie à l’international. Le très controversé Forbidden Stories a pris naissance en Belgique avec des personnalités compromises dans la falsification des faits historiques et connues pour leur acharnement contre le Rwanda post-génocide contre les Batutsi.

Le Pr français Duclert, historien, s’est exclamé dans le journal Le Point en ces termes : « Aussi l’annonce des « Forbidden Stories » a-t-elle suscité une grande attente pour l’accès à des faits solides et authentifiés, une occasion enfin d’échapper à ces procès de propagande. Las, « Rwanda Classified » a répété les travers des précédents dossiers d’accusation au point que l’on peut s’interroger sur un accident, voire une faillite journalistique. »

Une faillite journalistique ? D’autres ont évoqué une cabale contre le Rwanda et son leader charismatique Kagame. On n’a pas oublié le procès des deux religieuses de Sovu, sur le banc des accusés pour génocide contre les Tutsi, Consolata Mukangango dite Sœur Gertrude et Julienne Mukabutera dite Sœur Kizito, qui avaient toute la hiérarchie catholique et une bonne partie de la classe politique et des ONG proches des milieux catholiques en Belgique et au-delà pour clamer leur innocence et les mettre hors de cause. Peine perdue, elles ont été reconnues coupables.

Depuis juillet 1994, on assiste à une tentative d’inversion des responsabilités au discours convenu, policé et préétabli – en Belgique et en France plus particulièrement. Les orateurs, universitaires, journalistes, auteurs de pamphlets se servent des tribunes pour asséner leurs certitudes et exposer leurs thèses, généralement sans avoir à apporter de preuves tangibles.

Il est alors compréhensible de la part du Rwanda de répondre à des insinuations et à des supputations jugées infamantes : que de temps et d’énergie perdus. La diplomatie belge n’a toujours pas fait une analyse suffisante des arguments, des méthodes et de l’idéologie de ceux qui accusent faussement le FPR et le Rwanda post-génocide. Il paraît que cela sert un autre agenda politique et appelle notre vigilance de tous les instants. Dire que le ministère belge des affaires étrangères se fasse dicter l’agrément de l’ambassadeur du Rwanda en Belgique par Kinshasa, que l’envoyé spécial de l’Union européenne pour la région des Grands Lacs, le diplomate belge, soit recalé et que le Rwanda applique la réciprocité pour que l’ambassadeur belge à Kigali ne soit pas remplacé est un symbole très fort. Il faut lire les signes du temps.

La langue de bois des commentaires officiels et le silence qui domine dans les médias sur ces responsabilités ne reposent pas sur l’ignorance, mais sur la mauvaise foi. Ainsi va ce monde dans lequel les droits de l’homme ne sont qu’un paravent des intérêts et de jeu de puissance. À nous de comprendre et de préserver les nôtres.

Le professeur Filip REYNTJENS se caractérise, depuis la défaite du régime génocidaire en juillet 1994, par une attitude négationniste qu’il cache derrière la stature de chercheur d’université.

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