Aux lecteurs de Rwandaises.com,
Je n’avais pas l’intention de polémiquer sur votre site avec Monsieur Chris HARAHAGAZWE.
Je me dois toutefois de rectifier une chose: qu’il ne me fasse pas dire que le Burundi et le Rwanda seraient des «voisins froids à la limite antagonistes». A chacun, surtout burundais, qui aurait compris ainsi mes propos, je présente mes plus sincères excuses.
Voici le passage incriminé: «Et une petite rectification pour terminer : non, Monsieur Chris Harahagazwe, le Rwanda n’est pas le « frère jumeau » _ ou, comme d’aucuns disent, le »miroir » _ du Rwanda. Et il ne l’a jamais été. Sauf aux yeux des Harroy et autres faiseurs des « révolutions assistées », qui sont à la source de tous nos maux. Et si c’est un jumeau, c’est un faux jumeau. Le Burundi n’est qu’un pays voisin avec lequel nous devons coopérer. Au même titre que les autres pays voisins .Mais nos choix, passés ou actuels, ne sont pas les mêmes et ils ne sauraient l’être.»
C’est justement parce que je connais et que je respecte le Burundi que je ne peux ni ne veux le réduire à ce statut de frère jumeau qui aurait démérité face à son alter ego, le Rwanda présenté comme LE modèle par Chris Harahagazwe. Nos deux pays ont chacun sa propre Histoire et sa propre dynamique, ses atouts et ses failles etc… Des spécialistes étrangers ou burundais parlent de «faux jumeaux». Et sur ce point, ils ont raison: «l’interdépendance des problèmes et de leurs solutions ne doivent pas faire oublier qu’il s’agit de « faux jumeaux », ayant chacun une histoire ancienne et contemporaine propre» Et la linguistique comparée met en évidence de nombreux faux jumeaux. Ainsi si le mot gusinda existe dans les deux langues, il ne signifie pas (tout à fait) la même chose. Et n’évoquons pas un certain nombre de termes grivois que d’aucuns d’entre nous connaissons si bien.
Gare donc aux méprises et au gommage simplificateur des différences. Les deux pays ne sont pas des «voisins froids» et surtout pas «antagonistes». Ils sont différents. Et c’est tant mieux. L’autre ne doit pas être notre «miroir» mais doit nous enrichir par ses différences. Comme au sein d’un bon couple.
Vive donc la différence! Mais que soit bannie _ et loin de moi _ toute idée d’hiérarchisation! La hiérarchisation des groupes, des nations est l’élément fondamental de toutes les idéologies racistes et elle est toujours source de divisions et d’antagonismes. Je n’ai donc pas dit et ne disons jamais: »Nous sommes les meilleurs!Ou meilleurs que tel autre pays, nation. » mais plutôt: « Nous sommes meilleurs, bien meilleurs qu’il y a 16 ans! Et soyons encore meilleurs, beaucoup meilleurs en 2020!». Et ce n’est pas moi qui ai écrit que «le Rwanda peut exceller seul comme une île dans un océan de misère et de désordre au Burundi et au Congo». C’est Chris Harahagazwe, qui regrette que le Burundi ne fasse pas autant que le Rwanda alors qu’il dispose de beaucoup d’atouts.
Pour moi, point de »mission civilisatrice »pour le Rwanda. Ni pour le Burundi ni pour aucun pays du Nord ou du Sud.
«La mission civilisatrice du Rwanda»! Le titre est emprunté _ il envoie en tous cas _ aux discours impérialistes sur les fondements de la politique coloniale de la fin du 19ème siècle européen. Les grandes puissances coloniales européennes comme la France , l’Angleterre, la Belgique , l’Espagne, le Portugal considéraient qu’il était de leur devoir, en tant que pays civilisés de race blanche, d’aller « apporter la civilisation à des races inférieures ».
L’on peut citer à ce propos Jules FERRY, fondateur en France de «l’école obligatoire, laïque et gratuite» mais aussi chantre éminent de l’impérialisme français de la fin du 19ème siècle. Extrait des débats du 28 et du 30 juillet 1885 à la Chambre des députés:
«Messieurs, il y a un second point, un second ordre d’idées que je dois également aborder (…): c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question. (…) Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. (…) Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. (…)
On peut rappeler aussi l’écrivain britannique Rudyard Kipling, l’auteur du Livre de la jungle prix Nobel de littérature 1907 mais aussi grand chantre de l’impérialisme britannique., notamment dans son poème Le Fardeau de l’homme blanc (The White Man’s Burden)(1899) Extrait:
«Take up the White Man’s burden
«The savage wars of peace
«Fill full the mouth of Famine,
«And bid the sickness cease; (en anglais)
«Assumez le fardeau de l’homme blanc
«Les sauvages guerres de la paix
«Nourrissez la bouche de la famine
«Et faites que cesse la misère ;» (traduction française)
Et ce discours, qui était bien dans l’esprit des années 1880 _ à l’époque du partage du «gâteau africain» à la Conférence de Berlin(1884-1885) _ pourrait parfaitement être repris par les militants tiers-mondistes d’aujourd’hui, les organisations non-gouvernementales, les droits-de-l’hommistes occidentaux de tout poil, au nom du sacro-saint universalisme européen: il n’y aurait besoin que de changer le mot «blanc» par «riche» ou «développé», qui lui sont, en ce début du XXIe siècle, plus ou moins équivalents.
Et c’est ce discours, clairement hiérarchisant, qui sous-tend le papier, bien travaillé, de Chris Harahagazwe: le devoir de civilisation serait dévolu au Rwanda. Mais uniquement sur le plan technologique et économique.
En effet, sur le plan politique, c’est «un système barbare, indigne d’un Etat moderne»: arrestations de dissidents demandeurs d’asile (comme Musayidi, je suppose), des compagnons de la libération repoussés dans l’exil et surtout refus de se réconcilier avec les génocidaires (comme Ingabire et ses acolytes, je présume). Non, ce n’est pas RSF ou HRW ou Erlinder qui tiennent ces propos accusateurs. C’est Chris Harahagazwe lui-même. Il précise qu’il ne fait qu’exprimer «avec ses tripes» son opinion. Dont acte. Qu’il me permette d’exprimer de nouveau ma conviction profonde, qui est frappée au coin du bon sens parce qu’elle renoue avec le génie du peuple rwandais et plonge profondément ses racines dans son Histoire, dans une unité nationale multiséculaire. Encore une fois, la voie politique empruntée par le Rwanda est pour moi la seule capable de nous (nous, le peuple rwandais et non un autre peuple) sortir durablement de l’impasse dans laquelle 30 ans de colonialisme et 30 ans de régime raciste nous avaient enfermés. Que Chris Harahagazwe accepte que «nous n’avons pas les mêmes valeurs» sans qu’il m’accuse de nier l’existence des nécessaires bonnes relations entre le Burundi et le Rwanda. Qu’il me fasse pas passer pour une sorte de thuriféraire «ivre du succès du Rwanda» et ayant «perdu le bon sens et la sagesse». Qu’il s’abstienne de juger un pays qu’il est loin de bien connaître. Ou, s’il le fait, qu’il le fasse avec modestie et modération.
TWAHIRWA André.
PS : Une dernière précision, toute personnelle. Je ne suis pas un «éminent Professeur». Je suis un simple Professeur (de lettres). Et mon seul titre de gloire reste celui d’avoir, dans trois pays différents, modestement contribué à la formation et à l’éducation de nombreux jeunes. Et je continue à le faire avec la même passion qu’à mes débuts.
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