C’est en grande pompe que le Rwanda va célébrer l’investiture du président Kagame, élu pour un deuxième mandat avec 93% des voix une quinzaine de chefs d’Etat africains, le président de l’Union africaine Jean Ping, des représentants de la Banque mondiale et du monde des affaires. Cette solennité tend à consacrer les succès obtenus par le Rwanda dans différents domaines: l’accès à l’éducation primaire, les mutuelles de santé, la promotion des femmes, qui sont désormais majoritaires à l’Assemblée nationale, et, last but not least, les avancées dans la lutte contre la corruption, saluées par le dernier rapport de Transparency International. Ces réussites incontestables font du Rwanda la dernière «histoire à succès» du continent. Cependant, les chefs d’Etat africains présents à Kigali seront aussi appelés à manifester leur solidarité avec un régime qui se voit aujourd’hui confronté à l’une des pages les plus sombres de son histoire, relatée par le rapport de l’ONU sur les massacres commis au Congo entre 1993 et 2003.
Alors que l’ONU a annoncé que la version définitive du document serait publiée le 1er octobre, afin que les pays concernés puissent transmettre leurs observations, le Rwanda est engagé dans une véritable épreuve de force avec l’organisation internationale, menaçant de retirer ses troupes engagées au Darfour et au Soudan si le document était publié dans sa version initiale, déjà accessible sur Internet . Récusant violemment l’accusation selon laquelle ses troupes, engagées au Congo en 1997–98, auraient commis des «]actes de génocide» contre des civils hutus rwandais mais aussi congolais, Kigali essaie de mobiliser d’autres chefs d’Etat du continent et l’Union africaine elle-même afin de limiter les effets du rapport dévastateur. Ce dernier est une compilation de témoignages recueillis à l’époque par des ONG congolaises et internationales présentes dans l’Est du Congo et il pourrait servir de base à un éventuel tribunal international appelé à juger les crimes commis au Congo (et qui se poursuivent par le viol massif des femmes, sous le regard passif des Casques bleus…) La plupart des faits exposés sont incontestables: les réfugiés hutus qui n’avaient pas regagné le Rwanda ont été massacrés en grand nombre, des fosses communes en sont la preuve, dans les deux Kivu, en Province Orientale (Lubutu, Tingi Tingi…)et jusque Mbandaka dans l’Equateur. En outre, des citoyens congolais, soit parce qu’ils étaient Hutus, soit parce qu’ils avaient aidés les réfugiés, ont également été victimes de massacres commis de sang froid: l’enquête onusienne a été décidée après la découverte de charniers à Rutshuru en 2005, rendue possible parce que, le commandant militaire ayant changé, les proches des victimes ont enfin osé parler…L’implication de soldats rwandais dans cette traque est d’autant moins contestable que le président Kagame lui-même avait déclaré au ]Washington Post, que ses troupes avaient joué un rôle majeur dans la guerre qui mena au démantèlement des camps de réfugiés et au renversement de Mobutu! La colère de Kigali se nourrit moins des faits eux mêmes que des carences du rapport, qui n’évoque ni le contexte, ni les échecs de la communauté internationale et de l’ONU ou du Haut Commissariat aux réfugiés en particulier. Et surtout, alors que le régime de Kigali s’honore d’avoir mis fin au génocide des Tutsis, la seule mention d’«]actes de génocide» à l’encontre des Hutus sape cette légitimité et peut avoir un effet déstabilisateur. Kigali estime aussi que ce rapport peut nuire à la pacification de la région, et l’on relève qu’aussi bien à Kampala qu’à Kinshasa, les autorités ont réagi avec prudence. Par contre, 220 ONG congolaises confirment les informations publiées dans le document et, au delà de la raison d’Etat, estiment «< ]qu’il est important de donner justice aux nombreuses victimes enfouies dans les fosses communes.»
Peu soucieux de revenir sur ces faits, le régime rwandais en appelle donc à la solidarité africaine. Face à la justice internationale, celle ci ci se manifeste dans d’autres dossiers également: le Rwanda et l’Ouganda soutiennent l’Union africaine qui a pris la défense du Kenya lorsque ce dernier, en dépit du mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, a invité le président soudanais Béchir à assister à la promulgation de la nouvelle Constitution.
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Posté par rwandaises.com