La responsabilité de la France dans les guerres au Congo ex-Zaïre
L’une des origines des guerres qui ensanglantent le Congo ex-Zaïre depuis 1996 – peut-être sa
principale cause – est la non arrestation par les militaires français des auteurs du génocide des
Tutsi au Rwanda en 1994, lors de l’opération Turquoise et le soutien que la France n’a cessé
d’accorder à ces criminels. À cette occasion elle a rétabli le dictateur zaïrois Mobutu, qui,
totalement discrédité par ses crimes, n’osait plus apparaître à Kinshasa et avait été mis au ban de
la communauté internationale. La France a défendu le criminel Mobutu jusqu’au bout.
Faisant silence sur ces compromissions d’un membre permanent du Conseil de sécurité, un
rapport du Haut commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies1 accuse les forces de
l’AFDL/APR,2 et en particulier l’armée rwandaise, d’avoir procédé au « massacre systématique
des Hutus qui restaient au Zaïre » à partir de 1996, donc d’avoir commis un génocide.3
Une accusation qui accrédite la thèse du double génocide
Il est indiscutable que l’AFDL soutenue par des éléments de l’armée rwandaise (APR) a lancé en 1996 une offensive
militaire qui a vidé les camps de réfugiés rwandais en novembre 1996, puis est allée jusqu’à Kinshasa et a renversé le
régime du dictateur Mobutu le 28 mai 1997.
L’armée rwandaise a pu commettre des crimes de guerre au Congo ex-Zaïre. Il faudrait le prouver par une enquête
impartiale. Mais elle ne peut être accusée de génocide contre des Hutu. En effet, c’est son offensive militaire qui a permis
de rapatrier la majorité des Rwandais hutu retenus en otage par les forces génocidaires qui contrôlaient ces camps, sous le
patronage du Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR). Le rapport Mapping estime que ce fait ne permet pas
« en soi d’écarter totalement l’intention de certaines personnes de détruire en partie un groupe ethnique comme tel ».4
Les précédents génocides ont nécessité d’être planifiés par un État. Ils n’ont pas été pensés seulement par quelques
individus. Aucune preuve en ce sens n’est apportée par le rapport Mapping. Si l’État rwandais avait eu, en 1996 et après,
l’intention d’exterminer le groupe ethnique hutu, il n’avait pas besoin d’aller chercher des Hutu au Congo puisqu’ils étaient
sur place au Rwanda. La vérité est que des éléments de l’armée rwandaise, dans une opération combinée avec des rebelles
congolais, ont poursuivi non pas des Hutu mais les auteurs du génocide des Tutsi. Ils étaient en droit de le faire puisque
l’ONU s’y est refusée pendant 3 ans, consacrant au contraire l’essentiel de ses efforts à entretenir ces criminels dans des
camps. Que dans cette opération de destruction de l’appareil des ex-FAR5 et Interahamwe, des militaires rwandais aient
commis des actes répréhensibles est possible. Mais il faut tenir compte de la tactique des boucliers humains dont les
génocidaires ont usé et abusé. Il faut se souvenir qu’en 1994 au Rwanda, même des femmes et des enfants dépouillaient les
La responsabilité de la France dans les guerres au Congo ex-Zaïre
France Rwanda Génocide – Enquêtes, Justice et Réparations 1
1 Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993
et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo, publié le 1er octobre 2010. http://www.ohchr.org/EN/Countries/AfricaRegion/
2 AFDL : Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo dirigée par Laurent-Désiré Kabila. APR : Armée patriotique rwandaise,
commandée par Paul Kagame. L’APR est le bras armé du Front patriotique rwandais (FPR).
4 Rapport Mapping Section 518 page 287.
5 FAR : Forces armées rwandaises, l’ancienne armée rwandaise qui a participé au génocide.
cadavres des Tutsi, et que des jeunes n’ayant pas participé au génocide ont été emmenés en otage au Zaïre et y ont reçu une
formation militaire donnée par les ex-FAR. Le fait que des Rwandais revenus du Zaïre ont été jugés, et pour beaucoup
libérés (la peine de mort n’a été appliquée au Rwanda qu’à 22 génocidaires, le 24 avril 1998, et elle est abolie depuis 2007)
démontre l’inanité de l’accusation de génocide des Hutu. Il y a même actuellement dans l’armée rwandaise des ex-FAR qui
ont combattu contre le Rwanda au Congo, comme le général Paul Rwarakabije.
Ce rapport tend à assimiler ce qui s’est passé au Rwanda en 1994 avec des crimes commis au Zaïre, dont la nature et
l’ampleur restent largement à caractériser et dont l’état actuel des connaissances ne permet en rien d’affirmer qu’ils relèvent
d’un plan similaire à celui qui a conduit à l’extermination d’un million de Tutsi. Alors que ce rapport Mapping mette ces
faits, fût-ce de manière implicite, sur le même plan que le génocide des Tutsi, qui, lui, procède d’un véritable plan
d’extermination dans lequel a trempé la France, est d’autant plus abject qu’il ne cite le génocide des Tutsi que de manière
anecdotique.
Condamner sur des bases aussi fragiles et partiales les responsables de l’armée rwandaise qui a mis fin au génocide des
Tutsi tandis que la plus totale impunité reste de mise pour les dirigeants français qui, eux, ont soutenu, armé et encouragé
les auteurs de ce génocide avant de se refuser à les arrêter quand ils en avaient l’occasion et le devoir, montre à quel point la
machine onusienne est corrompue par les privilèges des membres permanents du Conseil de sécurité.
Cette accusation contre le Rwanda semble montée dans le but politique d’accréditer la thèse du double génocide, selon
laquelle au Rwanda, les Hutu auraient tué les Tutsi et les Tutsi, les Hutu. Elle vise à justifier les mensonges des auteurs de
ce génocide des Tutsi du Rwanda qui faisaient croire par leur propagande que ces derniers voulaient perpétrer le génocide
des Hutu, c’est pourquoi il fallait « tuer pour ne pas être tué. » Elle vise à justifier ceux qui ont toujours soutenu les auteurs
du génocide des Tutsi, comme la France et des organisations catholiques.6
Ce rapport Mapping se livre à un escamotage délibéré des événements de 1994 au Rwanda, à l’origine des guerres et
massacres qui ont ensanglanté le Zaïre devenu République démocratique du Congo (RDC) :
L’Organisation des Nations Unies (ONU) qui disposait d’une mission de Casques bleus au Rwanda, la MINUAR,7
était informée de la préparation du génocide des Tutsi du Rwanda8 et l’a laissé faire. Elle a admis que le gouvernement qui
organisait ce génocide siège sans discontinuer au Conseil de sécurité.
Seule l’APR s’est opposée aux assassins et a mis un terme au génocide en les mettant en déroute. Le Front patriotique
rwandais est la seule organisation à avoir respecté la Convention de l’ONU contre le génocide, celui-ci étant apparu
évident dès le 8 avril 1994.9
La France a réduit la Convention contre le génocide à un chiffon de papier
Le génocide des Tutsi a été reconnu officiellement le 28 juin 1994 par le rapporteur spécial de la Commission des
Droits de l’homme de l’ONU, M. René Degni-Ségui.10
À ce moment-là, la France, signataire de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et
disposant de troupes sur place au Rwanda avec un mandat des Nations Unies, sous chapitre VII de la Charte, se devait
d’arrêter les présumés coupables. Elle les connaissait. Elle n’en a rien fait.11
Dans un télégramme diplomatique daté du 15 juillet 1994, l’ambassadeur Yannick Gérard, représentant de la France
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France Rwanda Génocide – Enquêtes, Justice et Réparations 2
6 Des publications récentes le confirment : Linda Melvern, Complicités de génocide. Comment le monde a trahi le Rwanda, Karthala, 2010 ;
Association Survie, La complicité de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda, L’Harmattan, 2010 ; Jacques Morel, La France au coeur du
génocide des Tutsi, L’Esprit frappeur, 2010 ; Jean-François Dupaquier, L’agenda du génocide. Le témoignage de Richard Mugenzi, ex-espion
rwandais, Karthala, 2010.
7 MINUAR : Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda, créée le 5 octobre 1993 par la résolution 872 du Conseil de sécurité.
8 Le général Dallaire, commandant des Casques bleus de la MINUAR, informe le 11 janvier 1994, qu’il a mis à jour une organisation de 1 700
hommes répartis en 40 groupes sur Kigali capables de tuer 1 000 Tutsi en 20 minutes. Ses supérieurs lui interdisent de la démanteler. http://
www.gwu.edu/~nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB53/rw011194.pdf.
9 Dans l’ordre d’opération Amaryllis, rédigé le 8 avril, l’état-major de l’armée française, en évoquant « l’élimination des Tutsi », reconnaît
implicitement que le génocide des Tutsi est en cours : « Les membres de la garde présidentielle ont mené dès le 07 matin des actions de
représailles dans la ville de Kigali : – attaque du bataillon FPR, – arrestation et élimination des opposants et des Tutsi » Ċf Ordre d’opération
Amaryllis, 8 avril 1994, déclassifié, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [4, Tome II, Annexes, p. 344]. http://
www.francerwandagenocide.org/documents/OrdreOpAmaryllis.pdf
10 René Degni-Ségui, 1er rapport du 28 juin 1994, ONU A/49/508, S/1994/1157, Commission des Droits de l’homme de l’ONU, E/CN.
4/1995/7. Rendu public le 28 juin 1994, ce rapport n’est transmis pas le secrétaire général des Nations Unies que le 13 octobre. http://
www.francerwandagenocide.org/documents/94s1157.pdf .
11 D’ailleurs, informée du début du génocide dès le 8 avril 1994, la France aurait dû dès cette date se conformer à la Convention, avertir l’ONU et
donner pour mission à ses soldats débarqués le 9 avril de faire cesser les massacres en coopération avec la MINUAR et les forces belges. Elle n’en a
rien fait.
auprès du Gouvernement intérimaire rwandais, estimait que : « dans la mesure où nous savons que les autorités [de ce
gouvernement intérimaire] portent une lourde responsabilité dans le génocide, nous n’avons pas d’autre choix, quelles que soient
les difficultés, que de les arrêter ou de les mettre immédiatement en résidence surveillée en attendant que les instances judiciaires
internationales compétentes se prononcent sur leur cas. »12
Ce point de vue paraît officiel, car l’agence Reuters annonce, dans une dépêche du même jour, que, selon une « source
autorisée à Paris », « les membres du Gouvernement intérimaire rwandais […] seront mis aux arrêts s’ils tombent aux mains des
soldats français dans la zone humanitaire protégée par l’Opération Turquoise ». La même source ajoute : « S’ils viennent à nous
et que nous en sommes informés, nous les internerons ».
Mais une copie de cette dépêche retrouvée dans les archives de l’Institut François Mitterrand porte cette note
manuscrite d’Hubert Védrine, alors secrétaire général de l’Élysée : « Lecture du Président [François Mitterrand] Ce n’est pas
ce qui a été dit chez le Premier Ministre [Edouard Balladur] ».13 Une réunion a donc bien eu lieu au sommet de l’État pour
décider de l’attitude à adopter. Et ses effets ont pu être constatés sur le terrain: les responsables du génocide qui arrivent à
Cyangugu dans la zone Turquoise ne sont pas arrêtés par les légionnaires français qui les aident au contraire à passer au
Zaïre le 17 juillet 1994. Le mensuel de la Légion, Képi blanc, précise : « L’état-major tactique (EMT) provoque et organise
l’évacuation du gouvernement rwandais vers le Zaïre. Le 17 juillet, le gouvernement rwandais passe au Zaïre. »14
Le 21 août 1994, un Point de vue d’Alison Des Forges, militante humanitaire étatsunienne, spécialiste du Rwanda, « La
France se doit d’arrêter les responsables du génocide » est publié dans le journal Le Monde, juste avant le terme de l’opération
Turquoise. Elle rappelle qu’en juillet la France a permis à « M. Jean Kambanda, premier ministre et à d’autres ministres du
gouvernement responsable du génocide, de passer plusieurs jours dans la zone humanitaire sûre », que les militaires de l’armée
rwandaise repliés au Zaïre bénéficiaient de l’aide française, que des autorités rwandaises « sur lesquelles pèsent des
présomptions graves » sont restées en place dans la zone Turquoise. Elle rappelle que « la France, un des Etats qui ont rédigé,
signé et ratifié la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, s’est engagée moralement et juridiquement à
punir les auteurs de tout génocide, une obligation reconnue récemment par le nouveau code pénal entré en vigueur en mars 1994 ».
Elle demande que les « nombreuses personnes ayant exercé l’autorité au nom d’un gouvernement coupable », soient arrêtées par
les soldats français qui les côtoient tous les jours. Elle conclut: « La Convention pour la prévention et la répression du génocide
restera lettre morte si la violation de cette Convention n’est pas sanctionnée. Le génocide rwandais est à ce point flagrant que le refus
de la France d’arrêter les auteurs présumés signifierait une négation pure et simple de sa ratification. Par contre, si la France arrête
les autorités responsables elle aura affirmé son soutien à la Convention et servira de modèle aux autres États qui pourraient trouver
des personnes soupçonnées sur leur territoire. »15
Quand ils ont eu besoin d’intervenir militairement au Rwanda pour secourir leurs amis en difficulté sous couvert d’un
mandat de l’ONU, les dirigeants français ont parlé du devoir d’arrêter les responsables de « ces génocides ».16 Une fois ce
mandat obtenu, il n’en a plus été question.17 Après la publication du rapport de René Degni-Ségui, plusieurs membres du
Conseil de sécurité, dont la France et l’Espagne, réussirent le 1er juillet à différer la reconnaissance du génocide en
demandant au Secrétaire général de l’ONU, M. Boutros Boutros-Ghali, de nommer « d’urgence » une commission
d’experts.18 Ce dernier ne les nomma que le 1er août. Ils rendirent des conclusions le 4 octobre 1994, qui ne faisaient que
confirmer ce qu’avait déjà écrit Degni-Ségui trois mois auparavant. Mais à cette date, le génocide était consommé, faisant
environ un million de morts. Les assassins étaient à l’abri au Zaïre et les troupes françaises reparties.
Il est donc manifeste que la reconnaissance du génocide des Tutsi par le Conseil de sécurité a été volontairement
retardée par l’action de la diplomatie française et la complaisance du secrétaire général, Boutros Boutros-Ghali, qui devait
son élection à la France et à ses pions africains.19
Le texte de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ne précise pas qu’une instance
internationale doit se prononcer sur la question de savoir s’il y a génocide. Il laisse aux signataires la responsabilité d’en
juger. Il apparaît ici que la qualification de génocide des Tutsi faite le 28 juin par M. René Degni-Ségui, rapporteur spécial
La responsabilité de la France dans les guerres au Congo ex-Zaïre
France Rwanda Génocide – Enquêtes, Justice et Réparations 3
12 TD Kigali, 15 juillet 1994, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [4, Tome II, Annexes, p. 419]. http://
www.francerwandagenocide.org/documents/Gerard15juillet1994.pdf
13 Dépêche Reuters du 15 juillet 1994. http://www.francerwandagenocide.org/documents/Reuter15juillet1994.pdf
14 Képi blanc, 549, octobre 1994, page 6 du cahier spécial « Ruanda» de 8 pages. http://www.francerwandagenocide.org/documents/KepiBlanc549.pdf
15 Alison Des Forges, La France se doit d’arrêter les responsables du génocide, Le Monde, 21 août 1994, p. 4.
16 Ainsi Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères déclarait-il: « La France, seul pays occidental représenté au niveau ministériel à la session
extraordinaire de la Commission des Droits de l’homme à Genève, exige que les responsables de ces génocides soient jugés. » On notera l’usage du pluriel pour
génocide. Cf. Alain Juppé, « Point de vue », Intervenir au Rwanda, Libération, 16 juin 1994.
17 Il s’agit de la résolution 929 du Conseil de sécurité autorisant la France à intervenir au Rwanda sous chapitre VII.
18 Résolution 935 du Conseil de sécurité, 1er juillet 1994. http://www.francerwandagenocide.org/documents/94s935-fr.pdf
19 Les États-Unis ont également tout fait pour retarder la reconnaissance du génocide.
de la Commission des Droits de l’homme de l’ONU, avait toute sa valeur, le rapport de la commission d’experts du 4
octobre 1994 n’a d’ailleurs fait que le confirmer. Les signataires de la Convention devaient donc s’y conformer à partir du
28 juin, s’ils ne l’avaient pas fait avant.
N’arrêtant pas les présumés coupables de génocide comme l’y oblige l’article VI de la Convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide, la France a établi une jurisprudence qui vide totalement de sa substance le texte de
cette Convention. C’est en abusant de l’autorité que lui donne le statut de membre permanent du Conseil de sécurité que
la France s’est crue autorisée à réduire à un chiffon de papier un des textes fondateurs de l’Organisation des Nations Unies.
En soutenant les génocidaires rwandais au Zaïre, la France y a exporté la guerre
Les forces françaises qui contrôlaient les points de passage au Zaïre à Goma et à Cyangugu ont laissé passer l’armée
rwandaise, impliquée dans le génocide, avec toutes ses armes lourdes. « Ces éléments des ex-FAR ont été détectés franchissant
la frontière entre le Rwanda et le Zaïre, en ayant conservé une partie de leurs matériels, comme leurs canons montés sur des
véhicules à roues, des automitrailleuses légères Panhard et jusqu’à quelques hélicoptères du temps où la France livrait des armes à
Kigali en vertu des accords d’assistance militaire. Là où ils stationnent, ces éléments n’ont pas été désarmés par les Zaïrois. »20
L’ancienne armée rwandaise (ex-FAR) va pouvoir se réorganiser, se rééquiper et s’approvisionner en armes grâce à
l’aide française comme l’établissent deux rapports.21
L’ancienne administration rwandaise responsable du génocide prend le contrôle de ces camps organisés par le HCR et
ravitaillés par le Programme alimentaire mondial (PAM). Les tueurs y font régner la terreur pour empêcher ceux qui
voulaient rentrer au Rwanda de le faire.
Au mois de novembre 1994, l’organisation humanitaire Médecins sans frontières cesse toutes ses opérations dans les
camps de réfugiés rwandais de Bukavu, dans l’est du Zaïre, afin de « protester » contre les conditions déplorables de
sécurité. « La situation s’est détériorée d’une manière telle qu’il est devenu impossible éthiquement de continuer à aider les auteurs
du génocide et à être indirectement leur complice », a affirmé MSF.22
Jamais le Conseil de sécurité ne prit la décision de former une force de police internationale pour neutraliser
l’administration rwandaise, les ex-FAR, les milices responsables du génocide dans les camps du HCR.
Les camps du Zaïre servent à attaquer le Rwanda
Les ex-FAR et Interahamwe ont attaqué le Rwanda à partir de ces camps établis près de la frontière. À plusieurs reprises
le gouvernement rwandais a demandé que l’ONU intervienne pour faire cesser l’impunité dont jouissait ces criminels dans
les camps.23
En août 1995, le secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali, signale les attaques dirigées contre le Rwanda
depuis les camps du Zaïre : « Les informations signalant des actes d’infiltration et de sabotage par des éléments armés ainsi que
les allégations selon lesquelles des membres des anciennes forces gouvernementales et milices dispensent un entraînement militaire et
reçoivent des livraisons d’armements ont fortement exacerbé les tensions dans les zones frontalières. »24
De 1995 à 1998, les attaques d’ex-FAR infiltrés au Rwanda n’ont pas cessé à partir des camps en particulier Mugunga
près de Gisenyi et Kamanyola près de Bukavu. Elles visent des survivants tutsi au voisinage du lac Kivu, de Cyangugu à
Gisenyi, ou au bord de la rivière Rusizi en 1995. En 1997-1998, des attaques massives contre des camps de réfugiés tutsi
congolais, contre des bus, des écoles, font des centaines de morts dans le nord-ouest du Rwanda et visent à déstabiliser le
La responsabilité de la France dans les guerres au Congo ex-Zaïre
France Rwanda Génocide – Enquêtes, Justice et Réparations 4
20 Jacques Isnard, Les ex-Forces armées se prépareraient à reprendre le combat au Rwanda, Le Monde, 25 juillet 1994, pp. 1, 4.
21 Human Rights Watch, Rwanda/Zaire, Rearming with Impunity – International Support for the Perpetrators of the Rwandan Genocide, Vol 7, 4, May
1995. http://www.hrw.org/reports/1995/Rwanda1.htm. Rapport final de commission internationale d’enquête chargée de recueillir des
renseignements et d’enquêter sur les informations faisant état de la vente ou de la fourniture d’armes et de matériel connexe aux anciennes forces
gouvernementales rwandaises dans la région des Grands Lacs, en violation des résolutions 918 (1994), 997 (1995) et 1011 (1995) du Conseil de
sécurité, 18 novembre 1998. ONU, S/1998/1096. http://www.francerwandagenocide.org/documents/98s1096.pdf Le gouvernement
français n’a pas répondu aux questions de la commission relatives à l’implication d’organismes français dans la fourniture d’armes aux ex-FAR.
22 Alain Frilet, Les ONG demandent la protection de l’ONU, Libération, 16 novembre 1994.
23 Le 27 février 1995, le représentant du Rwanda au Conseil de sécurité, M. Bakuramutsa, déclare que « si les auteurs de ces crimes [de génocide au
Rwanda] ne sont pas arrêtés, leurs actions risquent d’embraser la sous-région. » Il rappelle que « ces criminels rwandais et autres sont en train de s’entraîner
dans les pays de la sous-région, avec l’aide et l’appui de pays amis, pour attaquer le Rwanda.» Cf. ONU, S/PV.3504, 27 février 1995, page 4. http://
www.francerwandagenocide.org/documents/spv3504-1995.pdf
24 Rapport intérimaire du secrétaire général sur la MINUAR. S/1995/678, 8 août 1995, section 14. http://www.francerwandagenocide.org/
documents/sg-1995-678.pdf
pays.25 La population eut à souffrir des combats entre l’APR et les ex-FAR infiltrés.26
Particulièrement symbolique est l’attaque de l’école secondaire de Nyange (Kivumu, préfecture de Kibuye). C’était à
Nyange que le curé Seromba avait fait détruire son église au bulldozer pour écraser ses paroissiens tutsi sous les
décombres, le 15 avril 1994. Le 18 mars 1997, alors qu’il fait nuit, l’école est attaquée par une vingtaine d’hommes armés
venus du Zaïre. Ils ordonnent aux élèves de se répartir en Hutu d’un côté, Tutsi de l’autre. Ceux-ci refusent en disant,
« nous sommes Rwandais ». Les assaillants tuèrent alors 6 élèves et un gardien et en blessèrent une vingtaine d’autres.
Amnesty international prétendit dans le rapport Ending the silence que les attaquants étaient des soldats de l’APR. African
Rights vérifia auprès des survivants que ces assertions étaient totalement fausses et provenaient des “Forces de résistance
pour la démocratie”, le parti d’opposition basé à Bruxelles de l’ancien Premier ministre Faustin Twagiramungu.27
Des tueurs serbes pour sauver Mobutu
Si l’APR entre au Zaïre en septembre-octobre 1996, après s’être allié à des opposants à Mobutu groupés dans l’AFDL,
c’est d’abord pour mettre fin aux attaques terroristes des ex-FAR et miliciens Interahamwe contre le Rwanda depuis le
territoire zaïrois.
Le soutien français aux ex-FAR et à Mobutu ne s’est pas démenti lors de l’offensive de l’AFDL/APR. Charles Pasqua,
Jacques Foccart et son collaborateur Fernand Wibaux vont chercher des mercenaires bosno-serbes, qui se sont illustrés
notamment dans le massacre de Srebrenica, pour les envoyer au Zaïre avec des Mig 21 et des hélicoptères russes au secours
du maréchal Mobutu.28 Ils seront engagés dans la défense de Kisangani avec au moins 6 000 ex-Far et Interahamwe.29 La
pratique des boucliers humains sera constamment utilisée par les génocidaires rwandais dans leur repli.
« Le camp de Tingi-Tingi avec ses 150 000 occupants est aujourd’hui l’objet d’une gigantesque prise d’otages. […] [Les]
vestiges des Forces armées rwandaises (FAR) et des milices hutues interahamwes refusent non seulement leur désarmement, mais
aussi la dispersion de la masse des réfugiés dont la cohésion reste leur seule garantie de survie politique et militaire. […] Lors d’une
distribution de nourriture à Amisi [un camp voisin], les enfants non accompagnés (abandonnés ou orphelins) avaient été écartés
par les dirigeants du camp au profit des combattants des FAR. »30
16 ans après le génocide, des ex-FAR et Interahamwe, groupés dans les Forces démocratiques pour la libération du
Rwanda (FDLR), sèment toujours la terreur au Nord et au Sud-Kivu.31 Les autres étant emprisonnés en Allemagne, leur
chef est Callixte Mbarushimana,32 il vivait à Paris sans être inquiété par les autorités françaises, alors que la résolution
1804, adoptée par le Conseil de sécurité le 13 mars 2008,33 demandait de faire cesser le soutien à l’action des FDLR au
Congo-RDC, jusqu’à ce que la Cour pénale internationale (CPI) le fasse arrêter ce 11 octobre 2010.34
C’est la France qui a remis en selle Mobutu
La France a soutenu le Maréchal Mobutu malgré les massacres qu’il a suscités dans les années 1990 pour se maintenir
au pouvoir, en pratiquant la stratégie du chaos. Alors qu’il est persona non grata pour les Belges, les Britanniques et les
Étatsuniens, Mobutu est invité au 5e sommet de la francophonie à l’île Maurice en octobre 1993. Pendant le génocide de
1994, il soutient le Gouvernement intérimaire rwandais en lui fournissant des armes, et en offrant son territoire comme
base pour les troupes françaises. Jacques Foccart, Michel Aurillac et Robert Bourgi vont à Gbadolite le 24 avril 1994
La responsabilité de la France dans les guerres au Congo ex-Zaïre
France Rwanda Génocide – Enquêtes, Justice et Réparations 5
25 Le retour des réfugiés du Zaïre et la destruction des bases militaires des ex-FAR provoque paradoxalement une recrudescence des attaques à
l’intérieur du Rwanda.
26 Peu connue, sauf quand des Européens en étaient victimes, cette guerre cachée menée contre le Rwanda est documentée par African Rights. Cf.
African Rights, Rwanda. La preuve assassinée. Meurtres, attaques, arrestations et intimidation de survivants et témoins, (1996) ; John Yusufu Munyakazi – Un
génocidaire devenu réfugié, (1997) ; Rwanda : The Insurgency in the Northwest, (1998).
27 African Rights [1, pp. 369–379].
28 F.-X. Verschave [5, pp. 253–282].
29 Peu de temps après, en juin 1997 à Brazzaville, la France permet au putschiste Sassou Ngesso de prendre le pouvoir par la force en lui procurant
discrètement l’aide d’une centaine d’Européens recrutés par la société Géolink, de soldats de la DSP de Mobutu, de miliciens Interahamwe
rwandais et de légionnaires français venus pour évacuer les ressortissants français. Cf. Le Canard Enchaîné (11/6/1997) ; Yitzhack Koula, Pétrole et
violence au Congo-Brazzaville : les suites de l’affaire Elf, L’Harmattan, 2006.
30 Thomas Sotinel, Entre milices hutues et forces rebelles, 150 000 réfugiés sont pris en otage à Tingi-Tingi, Le Monde, 19 janvier 1997.
31 Le 30 juillet et début août 2010 au Sud Kivu, près de la ville minière de Walikale, plus de 200 femmes et enfants ont été victimes de viols par des
combattants hutu rwandais. Cette stratégie de la terreur leur permet de s’assurer le contrôle des zones minières.
32 Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo , ONU, S/2009/603, 23 novembre 2009, pp. 26, 28.
33 ONU S/RES/1804 (2008) http://www.francerwandagenocide.org/documents/08s1804.pdf .
34 http://www.icc-cpi.int/menus/icc/press and media/press releases/news and highlights/pr581?lan=fr-FR
discuter des modalités de ces petits services.35 Foccart y retourne le 8 août.36
Bruno Delaye, conseiller de François Mitterrand pour les affaires africaines, estime le 29 avril qu’ « il faudrait traiter le
Zaïre de façon différente. Je vais horrifier par mes propos, mais on a besoin de Mobutu: il faut le sortir de son relatif isolement. »37
Mobutu joue ainsi un rôle important dans la négociation d’un cessez-le-feu au sommet de l’OUA à Tunis, le 14 juin. Le
8 novembre, il est invité au sommet franco-africain de Biarritz. Il est totalement réhabilité par la France pour son aide aux
génocidaires.
Conclusion
Le rapport Mapping du Haut Commissariat aux Droits de l’homme des Nations Unies est partial et occulte le
fait majeur et fondamental de l’histoire de l’Afrique des Grands Lacs de ces 20 dernières années : le génocide des
Tutsi.
L’armée rwandaise ne peut être accusée de génocide contre des Hutu au Congo ex-Zaïre.
Cette accusation vise surtout à accréditer la thèse du double génocide, c’est-à-dire à absoudre les auteurs du
génocide des Tutsi du Rwanda et ceux qui les soutiennent.
Elle a pu commettre des crimes, mais il serait scandaleux qu’un tribunal de l’ONU instruise son procès alors
que la France, membre permanent du Conseil de sécurité, est responsable en grande partie des atrocités survenues
dans cette région.
La France s’est en effet refusée à arrêter les coupables présumés du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994,
alors que ce génocide était reconnu. Elle a protégé leur fuite au Zaïre, les a réarmés, a entravé toute action
coercitive de l’ONU contre ces criminels et a rétabli dans ce pays l’autorité du maréchal Mobutu, un dictateur qui a
dévalisé son pays de ses richesses et l’a mis à feu et à sang.
Références
[1] African Rights : Rwanda : The Insurgency in the Northwest. African Rights, P.O. Box 18368, London EC4A 4JE, 1998.
[2] Monique Mas : Paris-Kigali 1990-1994 ; Lunettes coloniales, politique du sabre et onction humanitaire pour un génocide en
Afrique. L’Harmattan, 1999.
[3] Gérard Prunier : Rwanda : le génocide. Dagorno, 1997. Traduction de The Rwandan Crisis, History of a Genocide, Hurst
and Co, Londres, 1995.
[4] Paul Quilès : Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994. Assemblée nationale, rapport 1271, http://www.assembleenationale.
fr/dossiers/rwanda/, 15 décembre 1998. Mission d’information de la commission de la Défense nationale et des
Forces armées et de la commission des Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et
l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994.
[5] François-Xavier Verschave : La Françafrique, Le plus long scandale de la République. Stock, 1998.
La responsabilité de la France dans les guerres au Congo ex-Zaïre
France Rwanda Génocide – Enquêtes, Justice et Réparations 6
35 M. Mas [2, p. 385] citant la Lettre du Continent ; Gérard Prunier [3, p. 377] ; Alain Frilet, La France prise au piège de ses accords, Libération, 18
mai 1994, p. 1.
36 Gérard Prunier [3, p. 378].
37 Bruno Delaye, Christian Quesnot, Situation au Rwanda, Entretien avec Françoise Carle, 29 avril 1994.
France Rwanda Génocide – Enquêtes, Justice et Réparations
Nos objectifs:
• Etudier et mettre en oeuvre tous les moyens de poursuivre devant les justices françaises, étrangères ou
internationales, les personnes non rwandaises et principalement françaises, présumées impliquées dans l’exécution du
génocide des Tutsi du Rwanda en 1994.
• Obtenir des réparations pour les victimes de ce génocide ou leurs ayants droits en particulier de la part de l’État
français.
• Dénoncer les organisations, les idéologies, les méthodes de manipulation et d’action psychologique ayant permis ce
crime de génocide, sans exclusion de période historique ou de localisation géographique.
• Faire connaître par tous les moyens et actions connus et inconnus à ce jour (édition, web, vidéo, audio, théâtre etc.)
l’action et les buts de l’association et l’ensemble des éléments concernant le génocide des Tutsi de 1994 au Rwanda.
www.francerwandagenocide.org
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