INterview du président de Centrafrique, Faustin-Archange Touadera
Elu démocratiquement après une crise extrêmement grave, vous avez du vous atteler à la reconstruction et la pacification du pays. A ce stade, quel est votre bilan ?
Infrastructures détruites, conflits entre communautés qui dégénéraient en conflits professionnels, grave insécurité créée par quatorze groupes armés écumant les ressources du pays… Nous avons du faire face à de nombreux problèmes simultanés…Dans un premier temps, il fallait de toute urgence rassurer la population, reconstruire les écoles et les hôpitaux, fournir de l’eau potable. Et aussi mettre en place une armée professionnelle, républicaine, apolitique, au service de l’ensemble de la population. Il nous fallait aussi entamer la réconciliation nationale et retirer les armes des mains des groupes armés.
Durant deux ans, il ya eu de réelles avancées, nous avons mis en œuvre un plan de relèvement et de consolidation de la paix. En 2016 déjà j’étais venu à Bruxelles pour demander l’aide de nos partenaires de l’Union européenne et de la Banque mondiale et même si les processus de décaissement sont encore trop lents, nous avons été soutenus…
Mais il est vrai que les groupes armés sont toujours là, et dans ce contexte, j’ai entamé avec eux un processus de dialogue pour les convaincre de déposer les armes. Nous avons aussi un processus en cours avec l’Union africaine, la paix se construit progressivement, elle ne se fera pas du jour au lendemain… Mais il y a encore des groupes qui prennent la population en otages, rançonnent les commerçants, imposent des taxes de gardiennage. C’est pour cela que, voici deux semaines, la MINUSCA (Mission des Nations unies pour la Centrafrique) s’était donné pour tâche de désarmer les miliciens dans le quartier PK5 à Bangui. Cependant, l’opération n’a pas réussi à mettre la main sur les responsables de ce groupe de bandits. Vous savez, ces gens fonctionnent comme la mafia : pratiquant la manipulation, ils ont dénoncé le massacre de civils et des jeunes du quartier ont été poussés en avant afin qu’ils attaquent le contingent rwandais…. Cette opération de police n’avait cependant rien de confessionnel ou politique.
Etes vous satisfait du travail de la MINUSCA ?
Aujourd’hui, la seule force qui assure la protection de la population c’est la Minusca, qui a pris le relais de la force française Sangarispartie en octobre 2016. Beaucoup de troupes ont quitté le pays : à l’est il y avait une force américaine qui traquait la LRA (Lords Resistancearmy, mouvement rebelle ougandais) aux côtés de l’armée ougandaise, mais la mission est terminée. Au sein même de la Minusca, il y a eu des départs forcés : le contingent de la RDC, au centre du pays, a duêtre rappelé de même que des soldats envoyés par le Congo Brazzaville. Ces retraits ont affaibli les capacités de la Minusca et créé un appel d’air, notamment à l’Est : des groupes armés sont revenus dans des zones riches en or, en diamant, sur des axes de transhumance ils volent du bétail ou imposent des taxes. Malgré nos offres de dialogue, certains de ces groupes armés ne sont pas intéressés par la paix, car ils veulent continuer à alimenter les circuits mafieux, à s’enrichir…Il faut donc couper leurs sources de ravitaillement…Je peux vous assurer que beaucoup de ces ex combattants sont fatigués, prêts à rendre les armes…
Pourraient ils bénéficier de l’amnistie ?
Cela n’est pas le vœu de la population centrafricaine.
Elle veut la réparation, et l’a exprimé lors du forum organisé à Bangui où il y a eu consultation à la base. La population ne veut pas que l’on passe l’éponge, elle veut que la justice s’exerce pour éviter ces crises à répétition, y compris la justice transitionnelle, qui prévoit la réconciliation au niveau des communautés…
Quelle est la genèse de l’arrivée des Russes à Bangui, qui a défrayé la chronique ?
C’est très simple : nous sommes en train de construire une nouvelle armée, professionnelle, républicaine, apolitique, capable d’assurer la sécurité et bénéficiant de la confiance de la population. Via le programme Eutem, l’Union européenne nous a aidés à former deux bataillons, soit deux fois 650 hommes plus un troisième bataillon encore en formation. Mais ces soldats, leur formation terminée, avaient besoin d’armes, d’équipements. Nous nous sommes adressés aux pays amis et la Fédération de Russie a accepté de nous livrer des armes gratuitement. Cela n’a pas été fait clandestinement : le Conseil de Sécurité s’est réuni pour l’occasion et a levé partiellement l’embargo sur les armes qui frappait notre pays et cela afin que nos bataillons formés par la mission européenne puissent être équipés. Les traités de l’Union européenne ne permettent pas ce type d’assistance, même si des Etats membres peuvent nous aider à titre bilatéral. Toujours est-il qu’à Bangui, tous nos partenaires ont été informés de cette assistance proposée par la Fédération de Russie, et que celle-ci a été approuvée par le Comité des sanctions de l’ ONU et par le Conseil de Sécurité.
Avec des armes sont venus des instructeurs…
Avec pour mission d’enseigner le maniement des armes que nous avions reçues, sont venus 175 instructeurs, ils forment nos militaires. Dans notre situation, nous ne pouvons pas refuser qu’on nous apporte un tel soutien puisque nos bataillons, soit 1300 hommes sont déjà formés et attendent leur équipement…D’autres partenaires comme le Rwanda, la Guinée équatoriale ont aussi formé certains de nos militaires, mais c’est la mission européenne Eutem qui a la responsabilité de superviser et d’unifier ces forces avant que nos hommes soient déployés sur le terrain…Nous ne fermons pas la porte : en plus des armes, nous avons besoin de la logistique et nous espérons que d’autres pays amis veuillent bien nous accompagner. Dans la situation actuelle,nous demandons l’appui de tout le monde. Les Etats Unis vont aussi nous appuyer sur le plan logistique en nous fournissant des véhicules, la Belgique aussi nous a fait un don…
Quelle est la réaction de la France face à ces aides qui viennent de plusieurs côtés ?
Nous avons de très bonnes relations avec la France. La France nous appuie dans beaucoup de domaines, dont le rétablissement de l’autorité de l’Etat. Grâce au président Macron nous avons pu lancer un programme de formation de 200 agents chargés de l’administration territoriale qui seront déployés dans les préfectures à l’intérieur du pays ; la France nous aide aussi à former le bataillon « amphibie » qui contrôlera nos fleuves et nos rivières. C’est l’intervention française Sangaris, décidée par le président Hollande, qui a stoppé les violences.
Dans le contexte actuel, n’avez-vous pas de crainte pour votre sécurité personnelle ?
Nous sommes en train de reconstruire la sécurité pour tous les Centrafricains, y compris le président de la République…. La protection des institutions et celle des citoyens incombe en ce moment à la Minusca, une partie du contingent rwandais assure ma sécurité, mais la police et l’armée que nous sommes en train de rebâtir devront prendre le relais. Le pays est vaste et, compte tenu des différents départs, nous avons demandé aux Nations unies d’augmenter la capacité de la Minusca qui compte aujourd’hui 12.000 hommes…
En plus de sa situation stratégique, les ressources naturelles de la Centrafrique ne sont-elles pas en train de replacer votre pays au centre de la carte de l’Afrique ?
Effectivement nous avons 470 « indices miniers »non exploités, de l’or et du diamant extraits de manière artisanale, ce qui fournit très peu de ressources tandis que la partie est du pays est toujours sous embargo, ce qui favorise les pratiques illégales…Auprès de nos partenaires européens je vais aussi insister sur le fait que la stabilité de toute la sous région dépend du rétablissement de la paix en Centrafrique…
http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/
Posté le 28/04/2018 par rwandaises.com