[Face à l’énorme pavé que représente le rapport publié à Kigali sur l’implication française dans le génocide, Paris a d’abord répondu par l’esquive, assurant n’avoir pas pris connaissance du document, qui n’avait pas été transmis par les voies officielles mais diffusé à la suite d’une conférence de presse.
Par la suite, un porte parole du Ministère des Affaires étrangères a dénoncé les «accusations inacceptables>» portées à l’égard de responsables politiques et militaires français et il s’est interrogé sur l’objectivité du mandat de la Commission, tout en réitérant la volonté française de «construire une nouvelle relation avec le Rwanda, au delà de ce passé difficile»
Du côté rwandais, après 14 années de guerilla diplomatique et deux années de rupture des relations avec la France, le passage par l’étape judiciaire semble inévitable. Plusieurs voies sont ouvertes: le Rwanda pourrait recourir à la compétence universelle prévue dans ses textes pour entamer des poursuites contre des étrangers, Français en l’occurence, impliqués dans le génocide. Dans ce cas, des personnalités comme Hubert Vedrine (ancien secrétaire général à l’Elysée), Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères à l’époque, Dominique de Villepin(ancien directeur de cabinet aux Affaires étrangères) ou l’ancien chef d’état major l’amiral Jacques Lanxade pourraient être inculpées et leur dossier transmis à Interpol.
Des victimes pourraient aussi se constituer en associations de parties civiles et porter plainte, soit devant les tribunaux rwandais soit dans des pays qui, comme la Belgique ou l’Espagne, reconnaissent la compétence universelle. Des procédures pourraient également être engagées en France, puisque des ressortissants de ce pays sont impliqués dans les faits. Quant à la justice internationale, elle est relativement impuissante: sauf prolongation de son mandat, le Tribunal pénal international pour le Rwanda clôture ses travaux cette année et n’examinera plus de nouveaux cas et la Cour pénale internationale ne peut que des faits postérieurs à sa création en 2002. Quant à la Cour internationale de Justice, qui règle les différends entre Etats, elle a déjà été saisie d’une première plainte, déposée par le Rwanda à la suite des inculpations prononcées par le juge Bruguière contre neuf hauts dirigeants rwandais, accusés d’avoir abattu l’avion du président Habyarimana. Mais l’affaire avait fait long feu.
Reste surtout l’opinion publique, française et internationale, que le président Kagame a spectaculairement prise à témoin en rendant public un rapport que beaucoup croyait voué à demeurer confidentiel.
Si Paris se montrait réellement désireux de faire toute la lumière sur les responsabilités de ses politiques et de ses militaires dans la préparation et l’exécution du génocide, la mise sur pied d’une Commission Vérité et Réconciliation, inspirée du précédent sud africain, pourrait éclairer toutes les zones d’ombre qui subsistent et avoir une véritable utilité pédagogique.
De son côté, l’Association française Survie, qui a déjà mené sa propre enquête citoyenne (aboutissant à des conclusions proches de celles des Rwandais) a réclamé la mise en chantier d’une commission d’enquête parlementaire. Cette dernière irait plus loin que la mission d’information dirigée par Paul Quilès en 1998 qui n’était pas allée au bout des pistes entr’ouvertes.
Un article du Monde résume un sentiment largement partagé: «il existe envers les victimes et les survivants un devoir de vérité. Paris ne peut pas rejeter de tels récits sans enquêter en profondeur et sans répondre point par point à chacune de ces centaines d’accusations…