(Le Monde 08/08/2008)

Chacun s'est donné le mot : pas de vagues. Paris a choisi de faire le gros dos après la publication du rapport rwandais accusant la France d'avoir participé au génocide des Tutsis en 1994. L'objectif est de ne pas entraver une reprise du dialogue avec le Rwanda, alors que le président Nicolas Sarkozy a rencontré son homologue Paul Kagamé en décembre 2007.

Certes, le Quai d'Orsay a qualifié d'" inacceptables", mercredi 6 août, les accusations rwandaises et a mis en cause " l'objectivité" de la commission d'enquête rwandaise. Mais, sur le site Internet du ministère, le communiqué est illustré par la photo de Bernard Kouchner serrant la main du président rwandais. Le Quai d'Orsay rappelle d'ailleurs que sa "détermination de construire une nouvelle relation avec le Rwanda, au-delà de ce passé difficile, reste intacte". La trêve estivale a permis aux autorités françaises de faire le service minimum, alors que l'actualité franco-rwandaise va rapidement être atténuée par les Jeux olympiques de Pékin. L'exécutif a décidé que le Quai d'Orsay serait le seul à réagir, lors de son point presse quotidien.

Bernard Kouchner a refusé tout commentaire personnel. "On ne veut pas donner l'impression qu'on accorde trop d'importance à ce rapport et attiser la polémique", explique l'entourage du ministre. L'Elysée n'a fait aucune déclaration politique et renvoyait sur les spécialistes techniques du dossier. Seul le ministre de la défense, Hervé Morin, s'est exprimé, dénonçant sur Radio France Internationale, jeudi matin : "Un procès insupportable pour la mémoire des militaires français" qui "ont sauvé des milliers de vies humaines dans des conditions abominables".

Soulignant la "dimension politique" du rapport rwandais où il est mis en cause, le général Jean-Claude Lafourcade, commandant de l'opération "Turquoise", qualifie ce document de " tissu de mensonge" et dénonce "l'instrumentalisation des témoins" par le Rwanda. "250 journalistes et un millier d'humanitaires se trouvaient dans la zone. Croyez-vous qu'ils n'auraient rien vu ?", déclare-t-il au Monde.

Les autres personnalités mises en cause, de droite comme de gauche, ont été plus discrètes. Hubert Védrine, secrétaire général de l'Elysée en 1994, a renvoyé à un texte déjà paru où il qualifie de "monstrueuses (…), absurdes (…) mais surtout fausses" les accusations de Kigali. Contacté par l'Agence France-Presse, l'ancien ministre des affaires étrangères Alain Juppé a renvoyé à une opinion déposée sur son blog… en janvier. Edouard Balladur n'a pas souhaité réagir.

"Faire croire que la France a participé à la préparation d'un génocide, c'est monstrueux", déclare Paul Quilès, président en 1998 de la Mission d'information parlementaire sur le Rwanda. Qu'il y ait eu des erreurs, on les a pointées dans notre rapport."

Seule l'association "Survie", spécialisée dans la dénonciation de la "Françafrique", estime "indispensable que la France crée une commission d'enquête parlementaire".

Le Rwanda a rompu ses relations diplomatiques avec la France en novembre 2006, après la décision du juge Bruguière mettant en cause le président Kagamé dans l'assassinat de son prédécesseur. Le magistrat antiterroriste avait lancé neuf mandats d'arrêt contre des dirigeants rwandais. La justice espagnole a lancé d'autres accusations, ce qui entrave la liberté de voyager de plusieurs dirigeants rwandais. Paris voit dans le rapport rwandais "une réponse du berger à la bergère", indique-t-on à l'Elysée.

A Kigali, la ministre de l'information rwandais, Louise Mushikiwabo, a indiqué que "le gouvernement a demandé aux autorités judiciaires rwandaises d'utiliser ce rapport. Nous espérons qu'un processus judiciaire va suivre". Mais, selon Paris, "rien de tout cela n'est contraire à la volonté commune d'essayer d'arranger les choses. Les Rwandais cherchent à avoir une prise sur nous pour qu'on abaisse notre seuil d'agressivité".

Sur le fond, les autorités françaises, qui ont refusé de recevoir les auteurs du rapport rwandais lorsqu'ils sont venus en France en février 2007, estiment qu'aucun rapport n'a étayé une participation directe des soldats français à des exactions.

Philippe Bernard et Arnaud Leparmentier
Article paru dans l'édition du 08.08.08.