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La "Commission nationale indépendante chargée de rassembler les preuves montrant l'implication de l'Etat français dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994", nommée par Kigali, détaille la participation de la France au "crime des crimes". Si ce que décrit ce document est vrai, rien ne s'oppose à ce que des responsables français rejoignent les dirigeants hutus sur le banc des accusés des tribunaux chargés de juger les auteurs du génocide.

Mais l'affaire n'est pas si simple. L'histoire de la Commission rwandaise est ancrée dans dix-huit ans d'affrontements – militaires, diplomatiques puis judiciaires – entre Paris et le mouvement de Paul Kagamé, le chef de la rébellion tutsie devenu président du Rwanda. Ce travail ne commença d'ailleurs que lorsque M. Kagamé fut accusé par le juge Bruguière d'avoir commandité l'assassinat du président rwandais Juvénal Habyarimana, une mort qui fut, le 6 avril 1994, le signal déclencheur du génocide. Or Kigali, dont neuf dirigeants sont visés par des mandats d'arrêt internationaux, avait prévenu que, sans abandon des accusations du juge Bruguière, la France devait être prête à voir ses dirigeants mis en cause, en retour, pour le génocide de 1994. On est davantage dans la tractation politique que dans le devoir de justice… Cette lutte de près de deux décennies entre la France et Paul Kagamé n'est toutefois pas une raison pour rejeter le rapport de la Commission rwandaise, ou présumer que les témoins cités, survivants du génocide ou ex-compagnons d'armes des soldats français, mentent.

Le récit, dense, précis, avec des noms, des lieux, des dates, relate l'histoire d'une guerre dans laquelle François Mitterrand engagea la France, presque sans réserve. L'histoire d'une guerre qui vit l'armée et les services de renseignements français être, de la première attaque du Front patriotique rwandais (FPR) en octobre 1990 à l'organisation au Zaïre, après le génocide, d'une rébellion hutue, les très fidèles compagnons d'hommes qui ont perpétré, en cent jours au printemps 1994, l'extermination de la communauté tutsie du Rwanda.

Quels que soient les doutes sur la véracité des témoignages, recueillis dans un pays où le FPR a instauré une dictature et peut orienter les récits, voire en fabriquer, comme la justice internationale le soupçonne d'ailleurs de l'avoir fait par le passé, la France ne peut pas ne pas répondre aux accusations.

D'abord parce que le rapport rwandais évoque des faits précis – parfois appuyés par des documents inédits – sur l'engagement français, les relations avec les génocidaires, les "coups tordus", les livraisons d'armes, les aides financières, qui contredisent des témoignages de responsables français entendus par la Mission d'information parlementaire à Paris en 1998. Ensuite parce qu'en ce qui concerne les crimes au Rwanda, Paris ne peut pas décréter que ses soldats, pris dans l'engrenage d'une guerre terrifiante aux côtés de tueurs implacables, n'ont pas commis les assassinats, viols et violences dont ils sont accusés.

L'attitude de la France, qui affirme depuis 1994 qu'elle n'a rien à se reprocher, n'est pas tenable. Par ailleurs, la tractation diplomatique – retrait des accusations Bruguière contre retrait des accusations rwandaises –, dont on sent qu'elle est une tentation tant à Paris qu'à Kigali, ne pourrait faire disparaître les terribles soupçons qui pèsent sur la France. Le droit à la justice des tutsis rwandais ne sera jamais pleinement satisfait. Les tueurs hutus se comptent par centaines de milliers. Certains de leurs soutiens ne seront jamais jugés.

Mais il existe en revanche, envers les victimes et les survivants, un devoir de vérité. Paris ne peut pas rejeter ces récits sans enquêter en profondeur et sans répondre point par point à chacune des centaines d'accusations. L'enjeu est d'établir avec exactitude les responsabilités dans le dernier génocide du XXe siècle. La France, qui tient et qui a contribué à ce que la lumière se fasse sur le génocide des juifs d'Europe durant la seconde guerre mondiale, ne peut pas refuser de se confronter aux effroyables récits rwandais, au motif que ses dirigeants étaient, disent-ils, animés de louables intentions, et qu'une aventure africaine a mal tourné.

Rémy Ourdan