Les premiers Européens au Rwanda

Jadot Sezirahiga

Ce texte a été écrit initialement par Gudrun Honke, sociologue qui a vécu au Rwanda pendant de longues années. Il a été adapté par la Rédaction.

Le découverte du Rwanda est étroitement liée à la découverte des sources du Nil. Les expéditions qui, dans la moitié du dix-neuvième siècle pénétrèrent jusqu’en Afrique centrale, désireuses de percer le mystère des sources du Nil, furent les premières à faire état d’un pays mystérieux situé au plus profond de l’Afrique et jusqu’alors inconnu des Européens : le Rwanda.

Depuis l’antiquité, on connaissait la carte de Ptolémée qui indique que le Nil prend naissance dans deux grands lacs à proximité des « monts de la lune ». personne cependant n’était parvenu à remonter le cours du fleuve d’Egypte vers sa source. Ce n’est que vers 1840 que les missionnaires Krapf, Rebmann et Erhardt voient dans l’arrière-pays est-africain des montagnes enneigées, entendent parler du grand lac « d’Uniamwesi » et semblent confirmer ainsi les connaissances de l’antiquité ; les mystères des sources du Nil à partir de la côte d’Afrique de l’Est est prêt d’être élucidé. Des expéditions se mettent en route. Le premier Européen à apercevoir le rwanda, ne fusse que de loin, est John Hanning Speke. Il se trouve vers la fin novembre 1861 à Karagwe, pays voisin situé à l’est du Rwanda, en route vers la rive nord du lac Victoria pour y chercher la source du Nil. Les 28/29 novembre, Speke note dans son journal de bord :

« Le soir, en revenant de camp, mon attention fut attirée sur de hautes cimes coniques situées dans le Rouanda, et qui étincellaient alors sous les feux du soleil couchant. Ceci me remit en mémoire les récits assez vagues que m’avaient fait les Arabes touchant une montagne merveilleuse, toujours perdue dans les nuages, et sur laquelle la grêle ou la neige tombait constamment. Cette découverte tout à fait fortuite avait sa valeur, car j’ai vérifié que le principal point de partage des eaux de l’Afrique centrale se trouvait justement sur ces hauteurs. »

Il remarque par ailleurs : « quand aux montagnes coniques du Rouanda, qui forment le massif appelé Mfoumbiro, j’en évalue la hauteur à dix mille pieds environ, et on assure que les « Montagnes de la Lune » n’ont pas de pics plus élevés. » Trois ans auparavent, auparavent, on avait parlé à Speke de ces montagnes ; en mars 1858, il se trouve en compagnie de Richard Francis Burton à l’extrémité nord du lac Tanganyika à la recherche de la Rusizi, le déversoir supposé de ce lac. C’est là, au bord du lac qu’on leur raconte que la Rusizi se jette dans le lac Tanganyika et que de hautes montagnes se trouvent dans le Nord.

En 1861, Speke ne se contente pas de visualiser le Rwanda, il engage aussi la conversation avec quelques uns de ses habitants qui séjournent comme lui à la cour du roi Rumanyika de Karagwe. Les histoires que Rumanyika et les habitants du Rwanda lui racontent sont insérées dans son récit de voyage. Rumanyika raconte par exemple : « qu’il existerait au Rwanda des nains vivant dans les arbres mais en descendent parfois la nuit, s’arrêtent aux portes des huttes des hommes pour écouter jusqu’à ce qu’ils entendent le nom de l’un des occupants . Ils l’appelleraient alors au dehors, lui transperceraient le cœur d’une flèche et disparaîtraient de la même façon qu’ils sont venus. Les ogres seraient cependant plus horribles : ils ne peuvent s’entendre avec les hommes et ne se montrent jamais, mais lorsqu’une femme passe devant leurs yeux, ils sont saisis d’une excitation toute sensuelle et l’étreignent jusqu’à ce que mort s’ensuive. »

Le récit d’un Rwandais relatant l’existence d’ogres dans son pays éveille la méfiance de Speke ; il note cependant le recoupement de ces informations avec des récits d’autres régions africaines. Rumanyika poursuit : «les villages rwandais sont extrêmement étendus et peuplés de grands chasseurs. Ils vont en grands groupes à la chasse du léopard. Ils y emmènent de petits chiens et leur attachent de petites clochettes au cou tandis qu’eux-mêmes soufflent dans les cors. Ils ainsi très superstitieux et n’autoriseraient aucun étranger à pénétrer dans leur pays car voici quelques années, après la venue de queques Arabes, éclatèrent une grande sécheresse et la famine qu’ils attribuèrent aux influences malignes que ceux-ci avaient pu exercer. Ils les chassèrent de leur pays et dirent qu’ils ne laisseraient plus jamais leurs semblables y entrer. »

Ainsi naît une image qui sera confirmée par les récits ultérieurs. Une sorte de mythe est créée. Et au moins jusqu’au moment où le premier Européen pénètre dans le pays et peut-être même au-delà de cette date, ce mythe gardera toute sa force de persuasion : le Rwanda est un pays de mystères et de danger, les étrangers y sont indésirables. Il était certes attrayant d’élucider ces mystères et d’affronter les dangers, mais en 1861, il s’agissait toujours d’un défi encore plus grand, la découverte des sources du Nil . C’est pourqoui Speke ne s’oriente pas vers le pays des montagnes de la lune, mais vers la rive nord du lac Victoria.

Henry Morton Stanley sera le sond Européen à entendre parler du Rwanda et à en faire le récit. Après avoir en 1871 au bord du lac Tanganyika retrouvé que l’on supposé mort, Stanley revient pour la deuxième fois, cette fois-ci à l’occasion de son expédition qui confirma les dires de Speke selon lesquelles le Nil sortirait du lac Victoria.

En contournant ce lac, Stanley avant découvert la Kagera qu’il avait identifiée comme étant son plus grand affluent et ainsi une des rivières source du Nil. C’est en recherchant des informations sur les cours de ce fleuve qu’il atteint Karagwe. Avant de rendre visite à Rumanyika, il passe quelques jours à Kafuro chez le marchand arabe d’ivoire et d’esclaves, Hamed Ibrahim qui est en mesure d’approfondir et de compléter les informations transmises par Speke sur le Rwanda.

Stanley relate les tentatives infructueuses de Hamed Ibrahim pour entrer en relations commerciales avec le Rwanda :

« Quelque-uns de ses esclaves sont arrivés jusqu’à la cour et ont été empoisonnés, deux seulement ont pu échapper à la mort, en prenant la fuite, tant la trahison et la ruse sont habilement pratiquées dans cette capitale. (…) Les gens de ces pays ne sont pas des lâches, machallah ! ils ont pris le Kichakka, le Mouvari ‘Gisaka et Mubali au Rwanda de l’Est’ ‘§ viennent de s’emparer du Mpororo. Les Vouagannda se sont mesurés avec eux et ont été obligés de se retirer. Ah ! les Vouana-rouannda ‘Rwandais’ sont un grand peuple ; mais des hommes cupides, malfaisants, fourbes et traîtres. Ils n’ont jamais permis à un Arabe de trafiquer dans leur pays, ce qui prouve que ce sont de mauvaises gens. L’ivoire abonde chez eux ; pendant les huit dernières années, Khamis-ben-Abdallah, Tippou-Tib, Saïd-ben-Habib et moi nous avons essayé d’entrer là sans jamais y réussir. Les gens de Roumanika eux-mêmes, qui ouvrent leur pays à tout le monde, ne peuvent pas y pénétrer au delà de certaines limites, voisines de la frontière »

Stanley est aussi le premier à avoir quelques données sur la structure politique du Rwanda. Son informateur lui parle d’une « impératrice ». Les membres de cette famille « impériale » seraient les descendants « de quelque race du Nord, peut-être d’origine arabe ».

Hamed Ibrahim se réfère à l’observation selon laquelle, dans les royaumes de l’Afrique centrale, la dynastie régnante et les sujets semblent appartenir à des peuples différents : « Entre les gens des pays qui nous entourent et les Vouachenzi (sauvage) ordinaires, (…) il n’y a pas moins de différence qu’entre eux et moi.

J’épouserais aussi volontiers une femme du Rouannda qu’une femme de Mascate »

Au cœur de l’Afrique, un pays inconnu, un royaume puissant, habité par des hommes d’origine inconnue et hostile à toute intrusion étrangère ! Le mystère ne fait qu’augmenter. Ces informations devaient attirer la curiosité de Stanley et il n’y a rien de surprenant à ce qu’il décide de « chercher à gagner cet étrange pays par quelque route connue. »18

La voie qu’il utilise est la Kagera. Son bateau qui avait déjà exploré le lac Victoria se glisse à travers le labyrinthe de marais, de rivières, de lacs et d’îlots et arrive au lac Ihema. La tentative de Stanley de toucher terre du côté du Gisaka et d’explorer le pays échoue :

« Le lendemain de 10/3/1876 » ayant quitté l’île d’Ihema, nous longeâmes la côte du Mouvari ou Rouannda qui commence à l’extrémité sud la lac ; un petit village était près de la rive, nous essayâmes d’atterrir ; aussitôt les indigènes nous montrèrent les dents avec une colère de chiens hargneux, et bandèrent leurs arcs d’une façon menaçante, ce qui, en notre qualité d’hôte de Roumanika, nous obligea de nous éloigner et d’abandonner ces gens à leur féroce exclusivisme »

Stanley retourne auprès de Rumanyika. Au cours d’une conversation à la cour du roi, il obtient quelques informations sur la géographie de la région située entre les lacs. C’est ainsi que les Africains et les Arabes séjournant à la cour lui donnent, avec une relative précision, la position des lacs Tanganyika, Kivu et Muta Nzige (lac Edouard) ainsi que le cours des rivières Nyabarongo, Akanyaru, Ruvubu, et Kagera. Parmi les groupes ethniques vivant au Rwanda, on lui mentionne les Batwa. Stanley voit également les cônes rocheux appelés Ufumbiro, c’est-à-dire les volcans, avant de reprendre la route vers le sud-est, vers la côte.

13 années plus tard, en été 1889, Stanley s’approche de nouveau du Rwanda. Lors de cette expédition à la recherche d’Emin Pacha, il n’est plus question de résoudre des questions géographiques, mais il s’agit pour la première fois d’intérêts coloniaux. Ceux changement de contexte ne signifie cependant pas que l’on s’intéresse plus au Rwanda. Stanley se borne à réunir de plus amples informations. A Katwe, au lac Edouard, le centre du commerce du sel, on lui relate certains échanges commerciaux avec le Rwanda. ET de nouveau, on lui parle des habitants à la peau claire de ce pays :

« Ils ne se vêtent pas à votre façon, ne chaussent pas leurs pieds comme vous, mais ce sont hommes grands et forts, avec un nez long et un visage pâle ; ils sont venus-nos vieillards nous l’ont raconté- de par delà le Rouvenzori »

Voulant savoir où vivent ces hommes, on lui répond :

« Dans le Rouanda, un grand pays en demi-cercle du sud-est au sud-sud-ouest. Leurs lances sont innombrables et leurs arcs plus hauts que moi. (…) Il y a quelques hommes que Kabba Réga n’a pu vaincre, et ces hommes sont dans le Rouanda. Le roi de l’Ouganda lui-même ne s’aventurerait pas chez eux. »

Ainsi vers la fin des années 1880, peu de temps avant l’entrée de la région interlacustre dans la période coloniale, le mythe du Rwanda est élaboré : une mosaïque d’informations les plus diverses, un mélange de fables et de vérités donnent l’image d’un pays qui correspond de façon exemplaire au mythe de l’Afrique, continent obscur. Les récit de voyages vient de ce mythe. Ce n’est pas un hasard si ces récifs portent les titres A travers le contient mystérieux ou Dans les ténèbres de l’Afrique. Ils visent à combler l’attente du public européen qui s’intéresse moins à la sobre présentation de faits naturels et ethnologiques qu’il n’est fasciné par la description captivante de mondes étrangers et éloignés. Dans le monde organisé et rationnel de l’Europe, dans le quotidien morose de l’industrialisation naissante, rêves et désirs convolent vers l’Afrique, continent obscur où il est encore possible de vivre l’aventure, d’encourir des dangers et, last but not least, de lever le voile sur des secrets –du moins lors de l’écriture et de la lecture de récits de voyage.

En réalité, l’Afrique était dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle presque entièrement explorée. Les grandes expéditions de Speke et de Stanley y avaient justement contribué. Le mythe d’un continent obscur et sombre aurait dû disparaître au fur et à mesure de l’exploration des régions africaines. Mais ce mythe symbolisait le besoin de l’homme d’explorer l’inconnu, le besoin de s’approprier un monde étranger et atteignait maintenant sa plus grande efficacité. Le Rwanda, un des derniers pays qu’aucun Européen n’avait encore pénétré et qui se prêtait donc parfaitement à cette stylisation du mystérieux, devint un des piliers de ce mythe.

source rwanda.net