Alors que les relations diplomatiques sont rompues entre les deux pays depuis bientôt un an, Kigali menace de poursuivre de hauts responsables français si la France ne lève pas ses propres mandats d'arrêt visant l’entourage du président rwandais


Nicolas Sarkozy a rencontré son homologue rwandais Paul Kagamé en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, a appris La Croix. Au cours de cette rencontre à laquelle participaient aussi Bernard Kouchner et le secrétaire d’Etat à la coopération Alain Joyandet, les deux présidents se sont expliqués sur le contentieux politico-judiciaire qui oppose les deux pays. Selon une source proche du dossier, l’échange a été «franc», ce qui est généralement synonyme d’«orageux» en langue diplomatique.

À l'Elysée, on confirme que les deux chefs d'Etat ont fait «un point de la situation». «Le Président a dit à son homologue qu'il n'acceptait pas la qualification de "génocide" s'agissant du rôle de la France au Rwanda, a déclaré à La Croixun porte-parole de la présidence. La France considère que de mauvaises relations entre les deux pays ne sont dans l'intérêt de personne.»

Le Rwanda a rompu ses relations diplomatiques avec la France le 24 novembre 2006, après que le magistrat antiterroriste Jean-Louis Bruguière a lancé des mandats d’arrêt contre neuf proches du président Paul Kagamé, dont le chef d’état-major et le chef de l’armée de terre. Dans son ordonnance, le juge exprimait aussi le souhait que le Tribunal pénal international pour le Rwanda poursuive Paul Kagamé, protégé en France par l’immunité présidentielle.

Jean-Louis Bruguière accusait les dix hommes d’avoir planifié l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994, qui marqua le déclenchement du génocide des Tutsis. Les poursuites par la justice française tiennent au fait qu’outre Juvénal Habyarimana, son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, et leurs suites, les trois membres d’équipage français de l’appareil mis à la disposition par la France avaient trouvé la mort.

Les Rwandais évoquaient des mandats d’arrêt internationaux

Le contentieux s’est envenimé avec la création par le gouvernement rwandais d’une commission « chargée de rassembler les preuves montrant l’implication de l’État français » dans le génocide, selon son intitulé officiel. Longtemps brandi comme une épée de Damoclès, finalement rendu public en août dernier, ce rapport accumule les accusations contre les militaires et les responsables politiques français pour leur rôle présumé dans la préparation et la mise en oeuvre du génocide.

Après un temps de pause, le pouvoir rwandais a fait savoir au début du mois qu’il comptait demander à la France la mise en place d’une commission rogatoire visant à enquêter sur treize personnalités françaises citées dans le rapport, parmi lesquelles Edouard Balladur, Alain Juppé, Hubert Védrine et plusieurs officiers supérieurs.

Doutant de la possibilité d’une coopération judiciaire, les responsables rwandais évoquaient déjà l’idée d’émettre des mandats d’arrêt internationaux, en demandant la collaboration d’Interpol. «Sur le plan judiciaire, les Français ont établi un précédent, notait Paul Kagamé. Si eux l’ont fait, – lancer des mandats d’arrêt contre des dirigeants rwandais – nous pouvons le faire aussi à leur égard.» Entre la France et le Rwanda, «les choses sont allées trop loin, ajoutait le président rwandais. En fait, ce sont les Français eux-mêmes, par leur attitude, qui ont rendu tout cela beaucoup plus difficile.»

Nicolas Sarkozy serait resté «ferme»

Sous l’impulsion notamment de Bernard Kouchner, qui s’est rendu à Kigali le 26 janvier, Paris s’est pourtant efforcé de désamorcer les tensions, notamment en relançant les poursuites contre des génocidaires présumés réfugiés en France.

En marge du sommet Europe-Afrique de décembre 2007, Nicolas Sarkozy avait évoqué le Rwanda et « son génocide qui nous oblige à réfléchir, France comprise, à nos faiblesses ou nos erreurs ». Cette première reconnaissance d’une possible responsabilité française n’était pas allée jusqu’à la « repentance » et ne s’était pas assortie d’une levée des mandats d’arrêt, ce qui avait déçu Kigali.

Lors de l’entretien tenu mardi à New York, Nicolas Sarkozy serait resté «ferme» sur l’impossibilité d’une intervention politique dans le dossier bouclé par le juge Bruguière. Et l’on réfléchit déjà dans les milieux diplomatiques aux moyens légaux de contrer l’émission par le Rwanda de mandats d’arrêt internationaux contre plusieurs anciens premiers ministres français.

 

 

Laurent d'ERSU