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Luc-Normand Tellier, Professeur à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM et vice-président de l'APERAU internationale

Édition du samedi 18 et du dimanche 19 octobre 2008

 

 

Je reviens du Rwanda. J'y ai enseigné de 1964 à 1966, aussi en 1977 et en 1978, j'y suis retourné en 1996, puis maintenant en 2007. J'ai été le tout premier citoyen canadien dans l'histoire à travailler à Kigali. Je me targue de faire partie du peu de Canadiens laïques qui connaissent bien ce pays. À titre de vice-président d'un organisme officiel de la francophonie (l'APERAU, Association pour la promotion de l'enseignement et de la recherche en aménagement et urbanisme), je m'inquiète grandement des conséquences de ce qui se passe là-bas pour la francophonie.

Le 24 novembre 2006, le Rwanda a annoncé la rupture de ses relations diplomatiques avec la France. Cette mesure a pris effet le 27 novembre. Entre ces deux dates, tous les coopérants et tous les diplomates français ont dû quitter le territoire rwandais. L'École internationale française a été fermée de même que le centre culturel français. […]

Ce qui se passe au Rwanda est lourd de conséquences pour la francophonie mondiale. Actuellement, le français recule partout au Rwanda, surtout au niveau de l'éducation supérieure. Les recteurs et vice-recteurs sont presque tous anglophones (j'en ai rencontré plusieurs). À l'Université nationale du Rwanda, les réunions se font maintenant le plus souvent en anglais.

Au suivant!

Après le Rwanda, ce sera sans doute le Burundi qui passera à l'anglais, puis rien de moins que la République démocratique du Congo, le plus grand pays francophone d'Afrique sub-saharienne. Le président Kabila actuel est d'ailleurs plus à l'aise en anglais qu'en français.

Le Rwanda est un pays qui exerce une grande influence en Afrique noire aujourd'hui. Disons seulement que Kigali, qui ne comptait qu'environ 7000 habitants en 1964, quand j'y suis arrivé, en compte maintenant 800 000 et plus. C'est l'une des villes les plus belles, les plus propres et les plus sûres de l'Afrique noire. C'est aussi une ville riche où la richesse est détenue par des Africains et non par des Blancs (c'est la principale différence avec le Rwanda de ma jeunesse).

En outre, les nombreux coopérants étrangers qui jouaient un si grand rôle sous Habyarimana sont presque tous disparus. Ils ont très souvent été remplacés par des Rwandais rentrés d'exil.

En
fin, les universités sont en pleine croissance au Rwanda. Leurs professeurs sont le plus souvent des Rwandais, souvent revenus d'exil, et rarement des Blancs. Les collèges aussi se multiplient. Tout le domaine de l'éducation est en grande effervescence.

Sauver la francophonie

Cela dit, dans plusieurs régions rurales, la pauvreté que j'ai pu observer rappelle celle de 1964. Le Rwanda est un pays de plus en plus surpeuplé. Sa population était de 2,5 millions en 1964; elle est de huit millions aujourd'hui, et cela, ce n'est pas la faute de Kagame. Au contraire, la limitation des naissances, autrefois taboue, est enfin à l'ordre du jour. En dehors des parcs nationaux, toutes les collines sont occupées jusqu'à leur sommet.

Ne viennent au secours du français au Rwanda ni la Belgique dominée par les Flamands, le plus souvent francophobes, ni le Canada à très forte majorité anglophone.

La seule politique intelligente des pays francophones au Rwanda consiste à reconnaître les torts de l'État français dans le génocide rwandais, à convaincre la France de présenter des excuses (infiniment moins coupables, la Belgique et les États-Unis l'ont fait), à cesser de pointer comme coupable du génocide le seul et unique pouvoir qui s'y soit opposé (soit le Front patriotique) et à tenter de sauver ce qui reste de la francophonie au Rwanda.

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