Une année s'achève, une autre commence. Le bilan international de 2008 porte les stigmates d'une profonde secousse tellurique, son visage dessiné jusqu'ici au coin de grandes illusions est à présent lézardé par ce que l'on peut qualifier de « folie humaine », devenue le trait saillant et maintenue désormais pour des années. Comme aux pires moments de la Guerre froide, le monde compte aujourd'hui pas moins d'une trentaine de conflits, latents ou ouverts. Dans toutes les régions, et quelle qu'en soit la particularité géographique, la communauté internationale est confrontée à des crises où, bon gré mal gré, la diplomatie est constamment interpellée et les Nations unies mises à rude épreuve.
Si les guerres ne sont pas ouvertes et déclarées, elles sont latentes ici et là. En Afrique notamment, elles mettent face à face des peuples de la même origine ethnique. Territoriales, civiles ou motivées par des ambitions politiques, elles sont devenues le lot commun. Elles alimentent les images en boucle , ressassées des heures durant par les chaînes de télévision du monde, habituant, banalisant jusqu'à l'usure notre regard désabusé. Aux conflits connus s'ajoutent des cas de figure d'instabilités caractérisées, propres à évoluer rapidement en guerre civile et – contagion oblige – susceptibles aussi de constituer une menace pour les pays voisins. C'est en définitive le degré zéro de la raison. L'Afrique, à peine croit-elle en avoir fini avec le génocide au Rwanda et conjuré les démons des ethnocides en d'autres régions, qu'elle se réveille sous le choc d'un autre grave conflit – aux senteurs de minerais chers – dans le Nord Kivu, au nord-est de la République du Congo(RDC). Là aussi, les Nations unies s'efforcent de contenir des ambitions contradictoires affichées, identifiées à des groupes ou à des individus surgis du néant. La Guinée, bien tenue sous la férule du général Lansana Conté pendant vingt-quatre ans, reconstitue devant nos yeux le scénario du coup de force, «pronunciamiento» salazariste ou nassérien classique. Le Zimbabwe sombre de plus en plus dans la détresse, son dictateur de président, Robert Mugabe, se croyant investi ad vitam aeternam et résolu à se maintenir par la force. Triste bilan d'un homme, César de pacotille s'il en est, pourtant autrefois loué, adulé même pour ses vertus de libérateur et «révolutionnaire» ! Triste bilan d'un pays et d'un peuple maintenus dans la pauvreté totale au motif que son président, condamné par la communauté mondiale mais soutenu à bout de bras par le seul Thabo Mbeki, ne se résout pas à lâcher prise. Si la région des Grands Lacs, rescapée aujourd'hui des génocides, connaît par miracle un calme relatif, elle n'est pas pour autant définitivement mise à l'abri de crises voire de conflits. L'Afrique Orientale, autrefois à feu et à sang pour cause de guerres entre la Somalie et l'Ethiopie, ensuite entre celle-ci et l'Érythrée, est à présent enlisée dans le brasier du Darfour, devenu enjeu stratégique des grandes puissances, écornant l'intégrité territoriale du Soudan arabe et musulman. Le Maghreb lui-même ne fait aucunement exception, il est dans une situation de « ni paix, ni guerre », mais certainement plongé dans la paralysie, alors qu'à quelque treize kilomètres, au-delà du Détroit, l'Europe échafaude son unité sur tous les plans, passe en quelques années de 15 à 27 Etats membres. La crise du Sahara, fomentée et entretenue par le gouvernement algérien contre les peuples de la région, et certainement contre son propre peuple, n'a pas fini d'enterrer les rêves d'unité et d'étouffer dans l'œuf toute espérance démocratique. Au Proche-Orient, la « Boîte de Pandore » est depuis longtemps sur le point de s'ouvrir. L'ouragan de la violence d'Etat, incarnée par l'administration Bush, a emporté l'Irak et répandu la guerre au nom de l'évangélisme conservateur. Le même qui, au demeurant, a servi de fil conducteur pour lancer de violents bombardements des semaines durant, et continue en Afghanistan, dans cette région devenue le ventre mou du terrorisme qui est l'Asie centrale. L'année 2008 a vu ainsi l'arc-en-ciel asiatique – de l'Irak à l'Inde en passant par le Pakistan – s'embraser sous les feux du terrorisme, dont les attentats sanglants de Bombay, perpétrés au mois de novembre, illustrent la virulence. C'est d'ailleurs sur fond de rivalité acharnée entre l'Inde et le Pakistan que des extrémistes, quelles que soient leurs confessions, commettent indistinctement leurs forfaits, rendant chaque jour plus confuse la situation et renvoyant aux calendes grecques tout espoir de paix. Le 7 août dernier, mettant à profit la période de canicule et de vacance, les troupes de Russie ont pénétré – en représailles – en territoire de Géorgie, ouvrant délibérément ce qui s'apparente à un nouveau front de la Guerre froide, version troisième millénaire. La Géorgie, le Daghestan, le Caucase et, depuis quelques jours, l'Ukraine, d'une manière générale, illustrent plus que jamais cette métaphore d'œil du cyclone, la Russie de Vladimir Poutine et de Dimitri Medvedev redécouvrant à nouveau sa vocation de puissance impériale sur son glacis. L'année 2008 avait commencé plutôt à l'avance, parce qu'elle comportait les germes, éparses et diffuses, de violences et de conflits dans les régions de la planète. Mais aussi un calendrier international chargé, mêlant de grandes espérances – dont l'élection d'un président démocrate métisse aux Etats-Unis – et d'intenses promesses. George W.Bush avait promis que l'année 2008 serait celle de la paix et de l'instauration d'un Etat en Palestine, mais la politique agressive d'Israël qu'il n'a cessé de cautionner est en train de démentir ses proclamations et la conférence de la paix que son gouvernement a organisée près de New York en octobre dernier a connu un échec cuisant. Sur ce point , le président élu, Barack Obama, aura à coup sûr du pain sur la planche. Peut-être même fera-t-il sienne cette proclamation vertueuse de John F. Kennedy, faite en 1960, il y a donc quarante-huit ans : « Nous paierons n'importe quel prix, supporterons n'importe quelle charge, affronterons n'importe quelle épreuve, soutiendrons tous nos amis, résisterons à tous nos amis afin d'assurer la survie et le succès de la liberté ». L'année 2008, sans que personne ait pu en mesurer la portée immédiate, a vu déferler la tornade financière qui a emporté d'un seul tenant l'ancien monde de la finance et de la bourse. Une crise sans précédent, une démesure inouïe et des conséquences sur l'économie mondiale sans commune mesure sur ce que l'on a vu jusqu'ici. Récession programmée, « gap » incontrôlable, scandale gigantesque de corruption et de perversion morale avec Bernard Madoff, ancien patron du Nasdaq, accusé de ruiner les petits porteurs comme les grandes fortunes du monde, décidément aucun champ d'activité, nulle sphère – politique, économique, sociale ou militaire – n'aura été épargnée pendant cette année. |
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Par LE MATIN | |
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