Au lendemain du génocide, les femmes imposent leur programme
Kigali, Rwanda, Le Rwanda, un tout petit pays producteur de thé et de café situé en Afrique centrale, connu surtout pour avoir été le théâtre du génocide de 1994 qui a fait 1 million de victimes, a pris la tête devant la Suède pour devenir le pays dans lequel la plus forte proportion de femmes siègent au parlement.
Suite aux élections d'octobre dernier, les femmes occupent aujourd'hui 48,8 % des sièges à l'Assemblée nationale et ce pays est celui qui se rapproche le plus de la parité entre les hommes et les femmes dans un parlement national, selon l'Union interparlementaire, une organisation basée à Genève. À titre de comparaison, en Suède, les femmes occupent 45 % des sièges au parlement national.
Sur les 80 sièges de l'Assemblée nationale, la nouvelle Constitution en avait réservé 24 aux femmes. Mais les femmes ont aussi obtenu 15 sièges qui ne leur avaient pas été réservés, ce qui représente un total de 39 sièges à la chambre des députés et de six sièges sur 20 au sénat. Les femmes ont aussi remporté neuf postes ministériels sur 28, ce qui représente l'une des plus fortes proportions au monde.
" Ce que le Rwanda a accompli est remarquable, quelle que soit la référence utili-sée, et il faut le proclamer, surtout si l'on tient compte de l'histoire politique récente du pays et des défis qu'il doit relever en termes de développement, " affirme Macharia Kamau, représentant résident du PNUD au Rwanda.
Il y a dix ans, des extrémistes au pouvoir appartenant au plus grand groupe ethnique du pays, les Hutus, ont décidé de mettre à exécution leur plan visant à exterminer la minorité tutsi du pays. En l'espace d'une centaine de jours, près d'un million de personnes – surtout des Tutsis, mais aussi les Hutus modérés qui s'opposaient à ce plan – ont été massacrées.
La vie fut particulièrement difficile pour les femmes au lendemain du génocide. Des victimes de viols ont découvert qu'elles étaient séropositives au bout de plusieurs années, lorsque les symptômes du sida ont commencé à se manifester. Et en plus des veuves et des orphelins, de nombreuses femmes dont les maris s'étaient enfuis en République démocratique du Congo en 1994 se sont retrouvées chefs de famille, leur mari n'osant plus revenir à la maison.
L'histoire a contribué au succès des femmes
Les femmes sont convaincues que l'histoire récente du Rwanda explique leur arrivée sur la scène politique dans un pays où 60 % de la population vivent toujours dans l'extrême pauvreté.
" Si nous occupons un pourcentage aussi élevé de sièges aujourd'hui, ce n'est pas une question de chance, " explique Constance Mukayuhi Rwaka, membre du parlement et économiste qui préside la commission du budget à l'Assemblée nationale rwandaise. " Après 1994, le Rwanda s'est retrouvé dans une situation assez particulière, " explique-t-elle. " Les femmes se sont réellement mobilisées dans l'ensemble du pays. " Mme Rwaka se souvient qu'au lendemain du génocide, les femmes ont uni leurs forces dans l'ensemble du pays, soit de manière informelle, soit par le biais d'associations, pour aider les veuves et les orphelins.
Athanasie Gahondogo, la secrétaire exécutive du Forum des femmes parlementaires rwandaises, un organe qui regroupe des femmes des huit partis politiques dans le but d'améliorer leur statut et leur image, en convient. " Le génocide a joué un grand rôle; les femmes ont acquis une grande notoriété après le génocide, " dit-elle.
Aujourd'hui, les femmes et les filles représentent 54 % des huit millions d'habitants du pays et 60 % de sa main-d'œuvre.
La forte présence des femmes aux élections est aussi le résultat d'une initiative de PNUD, avec un financement à hauteur de 1,5 million de dollars des Pays-Bas, visant à préparer les femmes à occuper des postes à responsabilités, renforcer les organisations féminines de la société civile et créer des organes gouvernementaux responsables des questions féminines.
Les femmes ont bénéficié d'une aide directe pendant la campagne. Le programme a contribué à la logistique et aux frais de transports mais, pour que l'impact soit durable, l'aide a surtout été concentrée sur les projets visant à sensibiliser les femmes à la politique. Pendant la période de préparation des élections, le PNUD a notamment mis en œuvre un programme, en coopération avec l'Union interparlementaire, visant à informer les femmes sur le processus électoral.
" Depuis le génocide, nous avons contribué à l'émancipation économique des femmes " dit Berthilde Gahongayire, responsable des questions liées au VIH et à l'égalité entre les sexes au PNUD, Kigali. " Nous avons joué un rôle prédominant dans la forte participation des femmes aux dernières élections. Nous avons fait tout notre possible pour qu'elles osent se présenter. "
Le Programme a également accordé un soutien au ministère du genre et de la promotion de la femme, qui a organisé un certain nombre de campagnes visant à sensibiliser la société aux avantages de la participation des femmes aux prises de décisions.
La préparation a aussi porté ses fruits. Partout dans les pays, les femmes ont été encouragées à participer activement à la rédaction de la nouvelle constitution – une constitution qui leur garantit un minimum de 30 % des sièges à l'Assemblée nationale.
De nouvelles lois s'imposent après le génocide
Selon Mme Gahondogo, la situation précaire dans laquelle tant de Rwandaises se sont retrouvées à la fin du génocide les a encouragées à faire campagne en faveur de l'adoption de nouvelles lois, notamment concernant le droit de succession, pour que les femmes puissent hériter de leur époux et de leur père, et pour alourdir les peines infligées aux violeurs d'enfants.
Mme Gahondogo, qui enseigne à l'université de Butare, dans le sud du pays, et qui a été élevée en exil dans un pays voisin, le Burundi, a été élue au mois d'octobre. Elle occupe l'un des sièges réservés aux femmes. Elle estime que les femmes parlementaires doivent être un modèle pour les autres femmes et qu'elles doivent examiner avec soin les lois de leur pays à la recherche de toutes les dispositions qui constituent une discrimination à l'égard des femmes.
" Sans le génocide " dit-elle " les Rwandaises n'auraient jamais osé demander des droits de succession. "
Constance Mukayuhi fait remarquer que les femmes ne sont pas seulement présentes au parlement mais qu'elles occupent aussi des postes à responsabilités et dirigent un certain nombre de comités techniques. Les femmes parlementaires, dit-elle, doivent améliorer leurs performances en suivant des formations.
Ces femmes disent qu'il n'est pas toujours facile de chercher à tout concilier, mais que ce n'est pas plus difficile que de concilier la vie familiale avec d'autres obligations professionnelles. Si elle a regretté de ne pas pouvoir consacrer plus de temps à sa petite fille de deux ans pendant la campagne, Solange Tuyisenge, 32 ans, affirme néanmoins qu'elle a toujours voulu " apporter une contribution à la société. "
Mme Tuyisenge, qui occupe l'un des sièges réservés aux femmes dans la province de Kibuye, déclare " Je veux que les femmes du Rwanda, qu'elles soient pauvres et vivent dans des zones rurales ou qu'elles appartiennent à l'élite, soient indépendantes et instruites. Je veux qu'elles soient les architectes de la paix. "
Helen Vesperini est correspondante de l'Agence-France Press à Kigali, Rwanda
Le Rwanda en bref :
Population : 8,1 millions
Superficie : 26 338 km2
Classement selon l'indicateur de développement humain : 158 sur 173 pays
Dépenses publiques consacrées à l'éducation : 2,8 %* 0
Dépenses publiques consacrées à la santé : 2,7 %* 5
Dépenses militaires : 3,9 %*
Femmes siégeant au Parlement : 48,8 %
PIB par habitant : 1 250 dollars
*Pourcentage du PIB
Source: Rapport mondial sur le développement humain 2003
Publé dans le magazine Choix en mars 2004