Il fut un temps, où Corneille, 32 ans, c’était le miraculeux destin d’un rescapé du génocide rwandais, qui n’avait pas renoncé à ses rêves de chanteur soul.
Et les avait même concrétisés avec Parce qu’on vient de loin, premier album sorti en 2003 et vendu à 1,5 million d’exemplaires. Aujourd’hui, à la veille de la sortie de son troisième disque francophone, où il ne fait plus aucune allusion à sa tragédie familiale, c’est plutôt l’histoire d’un artiste passionné qui garde les pieds sur terre, étoffe son registre et jongle avec les deux langues qu’il parle au quotidien. Ce nouvel album, intitulé de manière amusante Sans titre, surprend par la qualité de ses compositions funk, festives et rythmées, couronnées par une aisance vocale grandissante. Sa sortie coïncide avec celle d’un disque en anglais, The Birth of Cornelius, tout juste lancé aux Etats-Unis où il a été mis en ligne au printemps. En septembre, il sera également distribué dans les librairies de la chaîne Barnes & Noble.
Admirateur de Michael Jackson
Chez Milos, très bon restaurant grec de Montréal où Corneille a ses rituels (le burger de thon et le vin blanc), il nous a donné rendez-vous fin juin pour une rencontre amicale, avant de se rendre au studio où il enregistre. Arrivé dans une Porsche grise, il nous est apparu décontracté, posé, revenu des Rêves de star de ses débuts. La conversation est d’abord accaparée par la mort de Michael Jackson, annoncée la veille. Grand admirateur du roi de la pop, Corneille n’excluait pas l’hypothèse du suicide plus ou moins raisonné d’une idole égarée dans les méandres de sa folie. Ensuite, il nous a emmenés écouter son nouveau disque tout juste mixé, en présence du guitariste Andy Dacoulis, son fidèle arrangeur, et de Sofia de Medeiros, son épouse, actrice mannequin, elle-même chanteuse d’un album soul, coécrit avec Corneille, Bliss, mais sorti seulement au Canada. « C’est Sofia qui a écrit tous les textes de Sans titre. Elle m’a permis de rester concentré sur les mélodies. Juste avant d’attaquer les compositions, j’ai baigné dans les musiques que j’écoutais gamin, Sam Cooke, Curtis Mayfield, les Isley Brothers… Cela m’a donné plus de vitalité, de légèreté, y compris vocalement. S’amuser, lâcher un peu, c’est ce que faisait Marvin Gaye et ce que je voulais: aborder les choses dans un esprit de liberté, de jeu. »
On pense parfois à Sly Stone ou à M…
Merci ! M, pour moi, c’est un artiste très important qui a su sortir des formats. Il représente ce qui a toujours manqué à la chanson française: du bon groove, une voix de tête assumée. Il ouvre des portes. Ce disque, j’ai voulu l’aborder avec plus de rythme, en me projetant sur scène avec une musique plus rapide, plus cadencée. En composant Ma comédie, j’entendais des cordes comme dans un film de Truffaut. L’harmonie est mélancolique, le sentiment reste fort, urgent. Cette chanson est un bilan de ma personne publique. Je m’interroge sur le sens, mais aussi sur le vide qui en découle.
Le vide?
Assurément, la notoriété est éphémère et accessoire. Un artiste crée par besoin, à partir de ses carences émotives. Ce n’est pas intellectuel ou calculé. Mais l’à-côté show-biz se gère, vient avec image, mise en scène… Ce n’est pas le travail du musicien et tout est fait pour qu’il en devienne prisonnier. Quitte à perdre un peu de cette notoriété, je ne veux pas trop jouer ce jeu-là. La célébrité a un côté dangereux et, sans être démagogue, je voulais le dire. Rester libre sans non plus cracher dans la soupe, c’est un équilibre à trouver. Car la reconnaissance reste primordiale. On vit pour ça.
Ce disque ne fait pas allusion à votre Rwanda.
J’ai fait le choix de parler de moi aujourd’hui. Devenir un symbole de la résilience m’a dépassé. J’ai eu besoin de mettre un frein, de réévaluer ma position pour revenir au présent, donc à mon métier. Pourquoi je l’aime? Qu’est-ce qu’il m’apporte ? Le reste que je n’ai pas choisi, je me donne le droit de l’exorciser à mon rythme.
L’une de vos nouvelles chansons, Star vite fait, parle de « vie mise à nu« , de « malheurs qui font du bien« …
Oui, c’est le portrait sarcastique du public avare et possessif et de l’industrie qui nourrit cela. A un moment, j’avais l’impression que j’appartenais au public. Je ne pense pas que cela soit sain même si on entretient cette illusion avec les candidats de la télé-réalité, « lancés » avant d’être « équipés« . Cette chanson a une ligne de guitare qui vient du n’dombolo congolais.
Mais au fond vous êtes très pop…
Oui, et même prisonnier du format chanson couplet-refrain. Le côté « jam » plus jazzy ne fait que clôturer les morceaux, comme pour rattraper le coup! Je ne me sens pas encore capable de rallier l’authenticité africaine et l’efficacité pop. Et puis le format chanson est très difficile à combiner avec des musiques africaines toujours moins structurées. Pourtant, j’ai grandi avec de magnifiques rumbas, comme Mario, chanson que mes parents adoraient. Et j’aime bien les artistes funk nigérians des années 1970. Mais quel besoin de revendiquer une identité africaine que je porte déjà ? Quand les projecteurs se sont braqués sur moi, on m’a flanqué représentant de l’Afrique. J’ai réalisé à quel point la société nous étiquette. Avec ma femme, issue de la minorité portugaise, on n’a pas encore d’enfants mais on se sent déjà métis.
Comment se passe la sortie de votre album en anglais sur le marché américain?
En douceur. Je vais bientôt être interviewé par Tavis Smiley pour PBS, un talk-show important, de qualité. Cela prend son temps et ça me va. Je ne suis pas en conquête. Je ne colle pas aux formats figés des radios américaines. Les jeunes ont du mal à me situer. Le public plus âgé est plus réceptif, y voit des réminiscences de Van Morrison, Seal, Lionel Richie ou même Sade!
Cela convient-il à la Motown qui distribue votre disque?
Andrew Kronfeld, le directeur général, est très ouvert. Il a accroché tout de suite avec ce que je fais. Il est convaincu que ma musique a sa place parce qu’elle porte quelque chose de rafraîchissant.
Et avec la presse, face à votre histoire, comment cela se passe-t-il?
Les Américains sont dans une phase intéressante, ils veulent envoyer une autre image d’eux-mêmes au monde. Avec un type comme moi, les journalistes sont plus ouverts. Ce n’est peut-être qu’une mode mais ils font preuve d’une curiosité naïve, positive. Mon histoire liée à la guerre, au Rwanda, ils l’expédient en une ligne.
Comment êtes-vous perçu aujourd’hui au Rwanda, évoqué dans le disque anglais sur I Will Never Call you Home again?
Cette chanson a été une libération. Pour la première fois, j’exprime ma colère liée à ce pays. Avant, j’étais toujours un sage ambassadeur de paix. A mon sujet, je sais qu’il y a débat. Certains disent que je devrais revenir, avancent que je les renie. D’autres pensent que j’ai le droit de faire ma vie où je veux. Personnellement, je n’ai toujours pas envie d’y retourner. Mais je le ferai pour mes enfants.
En 2006, vous êtes allé au Malawi en tant qu’ambassadeur de l’Unicef.
Et j’ai vu fleurir des articles sur ma « générosité », mon « engagement ». Mon image y gagne plus que les enfants qui m’ont vu passer vite fait! Bizarre, non? Evidemment je suis bouleversé par le sida, la mal-nutrition, mais je suis aussi atterré par ces médias qui décrètent que le pire se passe en Afrique. Et tant qu’on aura ce complexe du pire, on ne s’en sortira pas. Un môme africain qui manque de tout, c’est terrible. Mais ne pourrait-on pas relever aussi les bonnes volontés de ceux qui s’organisent et gardent l’espoir? Parler du sens de la famille et de certaines valeurs qui se perdent en Occident? Pourquoi ne pas parler de la misère du frigo plein et des ravages de la solitude dans d’autres contrées?
Voir Madonna et Brad Pitt adopter des enfants africains, ça vous fait quel effet?
Ça m’enrage. Des enfants en attente d’adoption, il y en a sur tous les continents. Mettre leur démarche sur un piédestal sans poser une seule question sur le passé colonial, c’est inquiétant. Quel rôle fait-on jouer à l’enfant? Pourquoi ces stars, si volontaires pour exhiber leur générosité, n’aident-elles pas les Africains à prendre leur autonomie, à financer leurs propres écoles, à gérer leur urbanisme? A croire qu’ils préfèrent, eux aussi, faire de l’Afrique leur nouveau terrain de jeu.
Sans titre (Wagram) sortie 19 octobre. En tournée française à partir de mars 2010
Posté par rwandaises.com
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