Le concept de justice internationale, resté en veilleuse après les tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo, a refait surface vers la fin du siècle dernier avec la création de deux tribunaux ad hoc, le TPIR et le TPY, ainsi que de la Cour Pénale Internationale.
Les crimes internationaux constituent, comme on le sait bien, la compétence ratione materiae de ces juridictions pénales. Ce sont des faits qualifiés comme tels par un texte international, parce qu’ils portent gravement atteinte à la dignité que tous les êtres humains ont en partage. Les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide réprimés par le droit pénal international positif répondent à cette qualification. Parce que ces faits foncièrement graves touchent l’ensemble de la communauté internationale, le préambule du traité fondateur de la cour pénale internationale rappelle qu’il « est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle » ceux qui en sont les auteurs.
Depuis quelques années, on entretient à dessein sur le continent africain, le mythe de la justice des blancs, une attitude véritablement symptomatique d’une aberration de l’esprit. Il faut redire que la nature des crimes de droit international est telle que, leur répression incombe à chaque Etat, puisque la protection de la dignité humaine partout dans le monde, est une nécessité de notre temps que chacun doit comprendre. Ce n’est donc pas la mer à boire. Les Blancs, précisément les Etats européens ont pris raisonnablement la mesure de la question à travers les dispositions leur permettant de s’engager effectivement dans la lutte contre l’impunité. En effet, la plupart de ces Etats ont inséré dans leurs législations les dispositions relatives à la répression des crimes internationaux. Quant aux Etats africains, ils ne semblent pas prendre au sérieux la nécessité de punir, si bien que leurs législations qui comportent de graves lacunes constituent de véritables obstacles, en ce sens qu’elles empêchent la lutte réelle contre l’impunité, qui doit tout de même reposer sur une base légale. Les Etats européens entendent punir sans discrimination, précisément en respectant le principe selon lequel, il y a défaut de pertinence de la qualité officielle pour ce qui est des crimes de droit international. L’affaire Hissen Habré, l’arrestation de Madame le chef de Protocole du président Paul Kagamé, le mandat d’arrêt contre le chef de l’Etat soudanais, sont autant d’éléments sur lesquels se fondent bien de milieux africains aussi bien officiels que non officiels pour faire émerger de manière ridicule le concept de justice des blancs, lequel constitue en permanence une hantise incompréhensible. Ces éléments analysés séparément, montrent en vérité qu’une telle idée dénote le laxisme abominable de nos dirigeants, un phénomène qui empêche d’internaliser les dispositions des instruments juridiques relatifs à la répression des crimes internationaux. Rien n’empêche ceux qui nous gouvernent d’adopter comme la plupart des Etats européens le principe de compétence universelle pour juger sur leur territoire les blancs comme les noirs. Ce qui pose problème sur le continent, c’est en fait le manque de volonté politique des dirigeants.
L’affaire Hissen Habré a eu un dénouement conforme à ce concept de justice des blancs. Dans l’exercice de sa compétence universelle, d’ailleurs restrictive, la Belgique a voulu juger Hissein Habré parce que, entre temps, la justice sénégalaise s’est déclarée incompétente pour cause de non conformité de sa législation à la convention contre la torture que le gouvernement a ratifié librement tout comme la Belgique. Le Sénégal qui, aux termes de cette convention devait absolument extrader Hissein Habré vers la Belgique n’a rien trouvé de mieux à faire que de s’en remettre à l’Union africaine. On connaît la suite qui est le reflet de la hantise du mythe de la justice des blancs, une mentalité dont je m’autorise pour affirmer que la répression des crimes de droit international n’a pas de couleur, ni de frontières.
Quelques cas
L’arrestation de Madame le chef de protocole du président rwandais a mécontenté à tort les dirigeants africains au point de susciter de leur part une prise de position contre ce qu’ils appellent abusivement abus de compétence universelle. L’union africaine a même demandé que la question de la compétence universelle soit débattue au conseil de sécurité et à l’Assemblée générale de l’ONU de manière à baliser pour ainsi dire son application. Je crois qu’il ne faut pas charrier. La compétence universelle intégrale ou restrictive est juridiquement à la portée de tous les Etats sans exception à condition qu’ils se donnent les moyens de sa mise en œuvre. Des Etats européens ont adopté le genre de mécanisme de compétence universelle qu’ils peuvent raisonnablement mettre en œuvre, montrant ainsi leur souci de contribuer à la lutte contre l’impunité qui n’a ni couleur ni frontières. Au lieu de se laisser hanter inutilement par le mythe de la justice des blancs, les Etats membres de l’union africaine n’ont qu’à emboîter de façon réaliste le pas aux européens, afin de juger chez eux, le cas échéant, tout auteur de crimes internationaux qu’il soit blanc noir ou jaune. Le troisième élément non moins symptomatique d’une hantise est le mandat d’arrêt international émis par la cour pénale internationale contre le président Omar El Béchir. Ce sujet, au centre de nombreuses polémiques, a abouti en fin de compte au refus de l’union africaine de coopérer avec la CPI à propos du président soudanais, un refus que l’histoire condamnera sans appel, parce que les Etats membres de cette organisation continentale, notamment les Etats parties ont pris de façon éhontée le parti d’un auteur présumé de crimes internationaux, ignorant ainsi les intérêts fondamentaux des victimes.
De la crédibilité de la Cpi
Des voix nettement plus autorisées que la mienne ont déjà fait justice des accusations sans fondement platement portées contre la cour pénale internationale. Cependant, j’estime qu’il m’est loisible de renchérir en disant aux chantres du refus de la prétendue reconquête coloniale de l’Afrique que, la politique pénale du procureur est d’une rationalité irréfragable, parce que fondée sur l’indépendance, l’impartialité et la non discrimination. Toutes ces formes de rhétorique de circonstance de certaines personnes s’éloignent de la réalité qui n’est rien d’autre que la nécessité de combattre l’impunité. Les critiques de l’union africaine sur la manière dont a été conduite la poursuite du Président Béchir ainsi que l’approche du procureur ont été dictées purement et simplement par la hantise du mythe de la justice des blancs. Que certaines personnalités se permettent de considérer la cour pénale internationale comme un instrument de quelque chose qui n’existe pas est un comportement inacceptable. Si les organisations de défense des droits de l’être humain, toutes provenances et toutes tendances confondues, sont remontées contre l’union africaine, c’est parce que la dignité que nous partageons avec les populations du Darfour a été marginalisée. Il n’est pas logique que l’on n’accorde pas aux intérêts des victimes l’importance qu’ils méritent. Les Etats africains parties au traité de Rome sont tenus de considérer dans la pratique comme nulle et de nul effet la décision de non coopération avec la CPI.
C’est le lieu de féliciter le Botswana et le Tchad qui, dans l’exercice de leur souveraineté ont remis en cause cette décision renversante à travers une déclaration fondée sur le sens de la responsabilité. Il est à espérer que les autres états parties feront de même.
La justice internationale n’ayant en vérité rien de conquérant ; les dirigeants africains sont appelés à regarder courageusement la réalité en face, et à agir de façon conséquente. C’est à ce prix qu’ils se débarrasseront définitivement du mythe de la justice des blancs pour assurer à leurs mandants la paix et le développement.
Par Jean-Baptiste GNONHOUE
Président de la coalition béninoise pour la Cour Pénale Internationale (CPI)
Posté par rwandaises.com