A l’affiche en ce début août au Tarmac de la Villette, à Paris, après avoir fait salle comble à Avignon, la pièce de Diogène Ntarindwa Carte d’identité propose une traversée cathartique de l’histoire rwandaise récente. Un solo intelligent, provocateur et plein de grâce qui permet d’imaginer le Rwanda autrement que comme une zone condamnée aux ténèbres de la pensée.
La lutte de l’imagination contre le néant pour reprendre possession du passé
Par Tirthankar CHANDA
D’origine rwandaise, Diogène Ntarindwa est comédien et auteur dramatique. Il partage sa vie entre le Rwanda, le Burundi et la Belgique où il s’est installé après des études de théâtre au Conservatoire de Liège. Il a fait partie de la compagnie liégeoise Groupov de Jacques Delcuvellerie qui a monté Rwanda 94. Il a créé en 2008 Carte d’identité qui a fait un tabac en Belgique. La pièce a été récemment à l’affiche au Festival off d’Avignon. Pendant un peu plus de trois semaines, ce one-man show s’est joué devant une salle comble, dans la cité des Papes. C’est une expérience théâtrale singulière de voir Ntarindwa entraîner son public par la main et par le rire dans les sombres heures de son pays qui s’éclairent tout d’un coup par la grâce et l’intelligence du jeu de ce comédien hors pair, à la fois distancié et profondément impliqué. Car c’est sa propre vie qu’interprète Ntarindwa. Une heure et demie durant. Quatre-vingt-dix minutes pour raconter trente ans de vie et deux siècles d’histoire, la petite et la grande qui s’entremêlent de manière dramatique et tragique. Le comédien est seul sur scène car il joue une dizaine de rôles à la fois. Son propre rôle de tutsi exilé au Burundi et d’enfant-soldat enrôlé dans la guerre, mais aussi celui de son père, des anciens, du maître d’école, du sergent instructeur, de l’historien, des coloniaux qui divisèrent le pays pour mieux régner. A travers les évocations concrètes -la gestion des problèmes ethniques par les colonisateurs, l’enseignement de l’histoire à l’école, l’exil, l’enrôlement dans l’Armée, le génocide- qui sont autant de morceaux d’un puzzle existentiel et national, l’auteur-acteur réussit à donner une vue d’ensemble où ne manque ni la profondeur historique ni «le nu de la vie». Les scènes comiques alternent avec la gravité des visions convoquant les paysages où rôde la mort. «Que font ces corps mutilés sur ces superbes collines», s’interroge le jeune protagoniste confronté au paysage d’un Rwanda foulé par les génocidaires. Une interrogation qui jette un froid dans le public qui riait aux éclats deux secondes avant, à l’évocation des pitreries des élèves par le maître d’école. «Savez-vous ce que mes élèves ont répondu lorsque je leur ai demandé de deviner la distance à vol d’oiseau entre Kigali et Bu-jumbura ? Ca dépend de l’oiseau, Monsieur !» Quelle est la genèse de cette pièce ? «C’est, a récemment expliqué Ntarindwa aux journalistes, l’aboutissement d’un processus dont le point de départ est une interrogation, venue assez tôt dans ma vie, sur des sujets tels que l’identité, la mémoire ; ma condition d’exilé donne à ces sujets une résonance particulière.» En effet Carte d’identité n’est pas seulement un texte sur la guerre et le génocide rwandais, mais c’est aussi une œuvre sur la mémoire, sur la lutte de l’imagination contre le néant pour reprendre possession du passé. L’auteur a grandi à Bujumbura où ses parents se sont exilés avant sa naissance, fuyant les massacres anti-Tutsis au Rwanda dans les années 1960. Très vite, il a pris conscience de son statut d’étranger au vu des lois régissant le statut des non-nationaux au Burundi. «Ce pays, sans être hostile aux miens, leur a souvent rappelé qu’ils étaient d’ailleurs», se souvient Ntarindwa qui tente, à travers ses écrits, de reconstituer la patrie dont il a été longtemps éloigné. Cette dimension de «patrie imaginaire» est essentielle à la compréhension du fonctionnement cathartique de la pièce. La distance de l’exilé permet à l’auteur de ne pas tomber dans la «déploration» qui est le sort de beaucoup d’écrits sur le Rwanda. Le sarcasme respectueux et nostalgique qui imprègne les mots et les scènes de Carte d’identité trace sans doute la voie d’une renaissance littéraire rwandaise où il sera de nouveau possible de célébrer les «superbes collines» de Nyamata et de Kibungo, les marais et le petit matin, enfin délestés de leur charge de culpabilité.
http://www.lepetitnegre.com/2009/08/03/atome-lhumour-au-rwanda-et-la-suite/ Mfi
Posté par rwandaises.com
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