Alice Ferney

«Mais le fleuve tuera l’homme blanc» de Patrick Besson – Dans un ample et labyrinthique thriller politique, l’écrivain propose un tableau du Congo d’aujourd’hui et du Rwanda au temps des jours barbares, en 1994.

Patrick Besson, à qui l’audace et le talent ne font pas défaut, capture les tragédies de l’Afrique dans le filet d’une écriture acérée. Cela donne un livre puissant, parfois cinglant, plein de perspicacités variées et de désabusements voilés, sans concession à aucune sorte de bon ton, sans crainte et effrayant, qui remonte l’histoire comme un fleuve maléfique, avec une belle énergie romanesque et du style.

Au printemps de 1994, la communauté internationale restait neutre devant le génocide des Tutsis au Rwanda. En 2008, les procès des massacres faisaient la une de la presse française. C’est entre ces deux dates, dans le Congo d’aujourd’hui et le Rwanda d’hier, et autour de la question du rôle de la France, que Patrick Besson déroule un roman d’espionnage dont l’intrigue ramène au cœur de jours barbares.

Mieux vaut ne pas déflorer trop son histoire à suspense. Disons qu’un cadre d’Elf, Christophe Parmentier, en voyage d’affaires à Brazzaville, y reconnaît une ex-espionne de la DGSE, Blandine de Kergalec, laquelle autrefois tomba pour une sale affaire médiatisée. Par amusement ou curiosité, il la suit. Elle n’est pas là en voyage d’agrément, mais à titre personnel pour une dernière mission lucrative. Pendant sa filature et son séjour, Christophe fait des rencontres, que le lecteur partage avec lui. Bien des destins personnels lui sont ainsi contés, tandis que le livre l’emmène dans le passé rwandais vers les sources de cette action aussi violente que secrète, puis vers son dénouement à Brazzaville et à Paris. Tous les motifs seront éclairés, toutes les morts seront élucidées, dans un contexte richement envisagé, où les lieux et les personnes trouvent sous la plume inépuisable de l’auteur une intensité de présence exceptionnelle.

 

Une immense fresque qui n’élude rien

La galerie des portraits contribue à cet accomplissement romanesque : l’ex-espionne, qui cherche ses marques. L’émissaire pétrolier, intrigant à force de se mêler de tout. Tessy, la jeune congolaise dont le passé tragique n’entame pas la vitalité. Son amant, artiste, métis, Pouchkine, fils d’Eléna, la splendide russe qui commerce au Congo depuis vingt ans. Bernard Lemaire, son associé et amant, conseiller français qui incarne les réseaux de la corruption et de l’avidité. Joshua, des services secrets tutsis. Jean Pierre Rwabango, le prêtre génocidaire hutu, et sa sœur Angèle, médecin hutue. Tendresse, la grande beauté tutsie qui échappe au génocide.

Chaque personnage tour à tour devient le centre du récit, qu’il le raconte lui-même à la première personne, ou qu’il en soit le héros à qui l’auteur s’intéresse. Cette architecture narrative, en variant les points de vue, attise la curiosité et l’attention du lecteur (qui se demande à chaque début de chapitre en quelle compagnie il avancera cette fois dans l’aventure). Elle tisse un texte faulknérien où le même événement est raconté par ses différents protagonistes. Mieux encore que dans un récit polyphonique, les passages du « je  » de l’un au « il » ou « elle » concernant un autre transportent le lecteur d’une voix qui parle à un agent qu’on regarde, lui offrant tant d’angles de pensée qu’il éprouve la forme complexe de l’action et de la vérité. Le style, martelé par les mots d’esprit et les sentences, rythme cette immense fresque qui n’élude rien. Les pages consacrées aux massacres d’avril à Kigali sont fortes et justes, un lecteur familier de Hatzfeld pourra les lire sans être gêné par une fausse note.

« Nous sommes la première culture à en croire nos yeux », écrivait Régis Debray à propos du Rwanda. Ayant si peu froid aux yeux, Patrick Besson finit par montrer comment aucune main secourable ne retient celle qui tue. Il faut dire qu’il ne tait rien et connaît beaucoup, de l’Afrique, de l’Europe face à l’Afrique, des services secrets, des guerres civiles, des dictateurs, des intérêts économiques et politiques, des femmes et des hommes en général, des livres déjà écrits. Avec le goût de la remémoration, l’élan de la création et une dose de cynisme, il réussit un tour de force.

 http://www.lefigaro.fr/livres/2009/09/03/03005-20090903ARTFIG00435-l-afrique-droit-dans-les-yeux-.php

Posté par rwandaises.com