By Léon Nzabandora   
 

 

ImageGLH 526: « Dans quelle langue voulez-vous défendre votre mémoire madame ? », pose la question un professeur de l’une des nombreuses universités privées de Kigali à une étudiante qui s’apprête à défendre son mémoire pour l’obtention de son diplôme de licence. Sans sourciller et sans une once d’hésitation l’étudiante répond : « en Kinyarwanda ». Juste après cette réponse la salle est prise d’hilarité et des murmures fusent : « pourquoi veut-elle défendre en Kinyarwanda alors que son mémoire est en français ? », entend-on dans la salle.

Cette exemple assez éloquent est symbole de l’état déliquescent dans lequel se trouve l’enseignement au Rwanda. Sinon comment expliquer qu’un étudiant sort de l’université avec un diplôme de licence en ne parlant qu’une seule langue, le Kinyarwanda, alors qu’il est supposé avoir fait ses études en anglais ou en français ?

Lors de sa dernière visite à l’Université Nationale du Rwanda (UNR) à la fin du mois d’août dernier le président Kagame n’a pas mâché ses mots, « Les rapports me parviennent qu’il y a des étudiants qui sortent de nos universités qui ne peuvent même pas s’écrire une simple lettre de demande d’emploi », a-t-il dit devant une foule d’étudiants et professeurs. Il s’en était clairement pris aux éducateurs qui ne feraient pas correctement leur travail selon lui au plus grand plaisir des étudiants présents qui applaudissaient alors que le corps professoral était visiblement gêné.

Un professeur se défend

Le dernier discours du Président Kagame avait suscité un malaise chez les enseignants et professeurs des universités, surtout ceux de l’UNR. Lors des cérémonies de prestation de serment des sénateurs Kagabo Joseph et Umulisa Henriette le 10 août, le Président Kagame s’est senti obligé de clarifier son discours à l’UNR en affirmant qu’il ne visait pas que les professeurs seulement. « tout le monde qui, d’une façon ou d’une autre, contribue à l’éducation des enfants était visé. Les parents, les enseignants et même les preneurs de décisions », a-t-il précisé.

Un professeur qui enseigne à l’une des universités privées dit être d’accord avec le Président sur la nécessite de rehausser la qualité de l’enseignement mais n’est pas d’accord quand on dit que la responsabilité de la piètre qualité des lauréats incombe aux professeurs et enseignants des institutions supérieures. « Les étudiants qui nous viennent des écoles secondaires arrivent avec un niveau très bas. Ce n’est pas à nous d’apprendre aux étudiants l’alphabet ». Ce professeurs reconnaît quand même leur part de responsabilité : « Une fois j’ai demandé à un étudiant qui défendais son mémoire de m’expliquer ce que c’est les Nations Unies et il n’en savait rien. Non plus il n’a pas pu m’expliquer ce que c’est le Royaume Uni alors que ça se trouvait dans le mémoire qu’il était supposé avoir écrit », et le professeur de conclure : « la responsabilité de son directeur de mémoire (un professeur, ndlr) est flagrante ».

Ce professeur met en cause également le goût du lucre qui caractérise les universités et autres institutions supérieures au Rwanda. « Les critères de sélection et d’admission sont quasi inexistants, il suffit d’avoir obtenu la note de 1.5 à la fin des études secondaires  pourvu que l’étudiant paye. Alors vous pouvez penser à quoi ressemble une classe de 50 étudiants qui, tous, ont eu une note de 1.5 à la fin de leurs études secondaires »

La confiance des parents s’effrite

Les reformes fréquentes ne rassurent pas les parents. La dernière en date est de rendre l’anglais la seule langue d’enseignement. Conscients que le mal est fait dès l’école primaire et/ou secondaire les parents commencent à prendre les devants. En bas nous reprenons de larges extraits d’un article de Syfia Grands Lacs dont le titre est : « Fuyant la reforme scolaire, des élèves quittent le pays » qui montre le manque de confiance des parents rwandais à l’égard du système éducatif de leur pays. En voici le contenu dont nous avons jugé important de reproduire car l’année scolaire et académique touche bientôt à sa fin :

De nombreux parents et élèves rwandais traversent actuellement la frontière vers l’Ouganda afin de se renseigner sur une école sérieuse et peu chère. Beaucoup comptent passer l’année 2010 sous la protection des enseignants ougandais. « D’après les inscriptions actuelles, un tiers de l’effectif de nos élèves pour l’année prochaine sera composé de Rwandais », témoigne un responsable de Kireka Hill School, dans la périphérie de Kampala, la capitale ougandaise. Cette école n’est pas la seule convoitée. D’autres internats ougandais, aussi bien des villes que des campagnes, s’apprêtent à accueillir en grand nombre des élèves rwandais.

En effet, aujourd’hui, les parents se ruent sur ces écoles à la recherche d’un enseignement en anglais de qualité. Depuis 2009, au Rwanda, l’enseignement a viré du français à l’anglais exclusivement, du primaire à l’université. Sitôt pensée, la réforme scolaire a été mise en application. Pour faciliter la tâche des maîtres, les cours ont été réduits se concentrant surtout sur l’anglais et les sciences, les cours dits principaux. Six mois après le lancement de cette réforme, du directeur aux élèves, en passant par les enseignants, chacun essaie de s’adapter. Sans matériaux didactiques adaptés, les professeurs se débrouillent pour enseigner un semblant d’anglais. « Les plus talentueux enseignent en anglais approximatif pendant que d’autres le font dans un mélange de bribes d’anglais, de français et de kinyarwanda, rendant incompréhensibles les matières pour les enfants », constate un pédagogue de Kigali.

Moins cher et de meilleure qualité

Pour un agent du ministère de l’Education, la priorité aujourd’hui est d’oublier le français dans le système éducatif rwandais. « Pour le moment, les enseignants incapables d’enseigner en anglais peuvent le faire en kinyarwanda en attendant qu’ils soient formés », révèle-t-il. Mais beaucoup de parents ne l’entendent pas de la même oreille. « Laisser son enfant étudier dans les écoles ordinaires du pays, ce serait dépenser sans résultat, car ce système n’apporte rien comme enseignement », se révolte un parent de Gasabo, Kigali. « Cette réforme de l’enseignement rwandais est du copié collé du système ougandais, alors que le pays n’a pas encore de moyens matériels ou humains pour dispenser un enseignement en anglais de qualité. C’est pourquoi les parents qui en ont des moyens préfèrent envoyer leurs enfants en Ouganda et ailleurs », explique-t-il.

Certains parents qui restent attachés au système francophone préfèrent eux les envoyer en RDC ou au Burundi. « Puisque notre fille aînée suit ses études en RDC, nous avons jugé bon d’y envoyer aussi son petit frère, car il serait difficile de gérer deux enfants en famille qui ne parlent pas les mêmes langues », confie M.G de Kigali. Seuls les enfants aux parents aisés peuvent avoir accès aux écoles privées, dont les enseignants sont bien outillés, mais qui coûtent excessivement cher pour un Rwandais moyen. Ils préfèrent avoir recours aux écoles étrangères pour gagner doublement : un enseignement de qualité et à moindre coût. Par exemple, à Sonrise, une école privée de Ruhengeri, Nord, un élève du primaire logé et nourri à l’école doit payer 150 000 Frw, près de 270 $, par trimestre. A Kireka Hill School à Kampala, en Ouganda, cela ne coûte que 20 000 shillings ougandais (160 $).

Trop nombreuses réformes

« Avec le lancement brutal de cette réforme, nombre d’enseignants se sentent coupables de ne rien donner aux enfants car on ne donne que ce qu’on a », regrette un enseignant de Kicukiro. « Il arrive que les élèves passent une semaine sans rien apprendre car les enseignants doivent prendre le temps d’apprendre quelques notions de ce qu’ils vont enseigner », note cet enseignant de 18 ans d’expérience dans l’enseignement. « Nous qui n’avons pas appris l’anglais pendant notre formation, il nous est difficile de l’apprendre au travail », estime-t-il.

Cependant le ministère de l’Education persiste et signe. « Tous les enseignants seront formés à l’anglais, ceux qui ne pourront pas s’adapter n’auront pas la permission de continuer à enseigner », avait annoncé, en février 2009, l’ancien secrétaire d’Etat à l’Education, Théoneste Mutsindashyaka, en promettant que les enseignants kenyans viendraient renforcer les nationaux dans le cadre de la coopération. Ainsi pour ne pas se faire blâmer, nombre de titulaires des cours se servent de tout ce qu’ils trouvent écrit en anglais. « Aujourd’hui on ne fait qu’occuper les enfants mais on ne leur apprend presque rien », témoigne une enseignante de Rwamagana, Est.

« Ce changement majeur dans l’enseignement au Rwanda s’inscrit dans d’autres séries de réformes scolaires dont nombreuses ont eu des effets pervers », estime-t-elle. En 1979, le kinyarwanda, langue maternelle, avait été adopté comme langue d’enseignement et l’on a étendu l’école primaire sur 8 ans. Après le génocide et le retour des Rwandais de différents pays où ils s’étaient réfugiés, le bilinguisme a été instauré dans l’enseignement supérieur, pour faciliter le travail aux étudiants qui avaient évolué surtout en anglais. Du coup aujourd’hui les lauréats des écoles ne savent bien ni le français ni l’anglais…

D’après le recensement général de la population et de l’habitat de 2002, seuls 3% des Rwandais maîtrisent le français, qui n’a plus été appris par tous tant que l’enseignement se faisait en kinyarwanda et qui est considéré comme la langue de la colonisation et par conséquent, par le gouvernement, comme celle du génocide et 2% l’anglais, parlée par les actuels dirigeants et considérée comme une langue de la civilisation moderne.  

 

 

 

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Posté par rwandaise.com