(Syfia Grands Lacs/Rwanda) Les jeunes Rwandais nés après le génocide apprennent peu à peu ce qui s’est passé et le supportent très mal. Nombreux à souffrir de troubles psychologiques, ils peinent à suivre leurs études et les crises de traumatisme collectives dans les écoles sont fréquentes.
Troubles psychologiques
De nombreux enfants nés après le génocide ont ainsi des difficultés à suivre les cours, surtout ceux qui traitent de ce passé douloureux. »Ils sont nombreux à passer plusieurs années sans pouvoir suivre en classe. Certains veulent savoir ce qui s’est passé, mais quand ils l’apprennent, ils commencent à manifester des troubles psychologiques, témoigne un responsable d’une école de l’Est. Ils deviennent instables à l’école, passent des nuits agitées avec des cauchemars, s’isolent ou souffrent de maladies psychosomatiques comme des faiblesses corporelles, maux de tête intenses, hoquets… », « Enseigner à de tels enfants demande une grande attention, car tout peut raviver leurs blessures, remarque un enseignant du Nord. Quand on explique ce que c’est le génocide et ses causes, il arrive que le cours ne termine pas, car certains élèves refusent d’écouter ou piquent des crises de traumatisme. »
Le déterrement et l’enterrement des corps des victimes du génocide, sa commémoration, les témoignages dans les tribunaux gacaca : tout pousse les jeunes à connaître le passé. Les enseignants redoutent que la crise d’un élève réveille des émotions chez d’autres et que finalement toute l’école soit touchée.
Une douleur partagée
« Avant, je ne pouvais pas comprendre qu’un enfant dont les parents, coupables de génocide, sont en prison, puisse souffrir psychologiquement », confie K. F., 14 ans, enfant d’une famille de rescapés. « Puisque les orphelins rescapés de génocide ont tout ce dont ils ont besoin à l’école, le matériel scolaire, les frais d’études tout payé par le Fonds d’assistance au rescapé de génocide…, je pensais qu’ils ne souffraient pas réellement. Quand mes collègues avaient des crises, je croyais que c’était seulement une façon de faire pitié « , se libère cette élève de 3e, à Nemba. La directrice de cette école confirme que ceux qui souffrent sont aussi bien des enfants de rescapés que ceux dont les parents sont en prison ou morts des suites des événements passés du Rwanda. « Le traumatisme psychologique peut toucher la victime, l’auteur ou l’observateur de la tragédie », explique un enseignant formé à la prise en charge les élèves malades. « Actuellement, les souffrants sentent qu’ils ne sont pas seuls à souffrir, les gens commencent à comprendre les causes de leur souffrance. Leur douleur est partagée avec l’entourage et ils sont un peu soulagés », ajoute-t-il.
Cependant, des enfants continuent à se traiter mutuellement de tous les noms et s’accuser de tous les maux. « Certains élèves mal intentionnés ou mal informés traumatisent leurs collègues, constate un membre de l’Association rwandaise des conseillers en traumatisme. Les orphelins et les enfants dont les parents ont disparu pendant la guerre ou ont été emprisonnés pour génocide sont souvent traités, comme leurs parents de génocidaires, par leurs camarades, mais des fois aussi les rescapés sont traités d’espions du gouvernement, culpabilisés et stigmatisés à tort. »
Pour aider ces jeunes, des séances de discussion collectives et individuelles sont souvent organisées. La Commission nationale de lutte contre le génocide et l’Ong la Benevolencija, par exemple, sillonnent le pays pour sensibiliser les élèves à la lutte contre les violences de masse et leurs conséquences dont le traumatisme psychologique. Dans chaque école, deux instituteurs sont formés à prendre en charge les élèves malades.
D’après, Mme Agnès Binagwaho, secrétaire permanente au ministère de la Santé, près d’un quart des malades qui consultent les médecins souffrent de problèmes de santé mentale.
Albert-Baudouin Twizeyimana
Rwanda
Au Sud, les élèves gèrent eux-mêmes les cas de traumatisme
« Avant, chaque fois qu’un enfant était traumatisé, on courait vite à l’hôpital. Mais à présent, nous le mettons dans un lieu sécurisé ; nous lui faisons du counselling pour ne pas qu’il contamine les autres. C’est lorsque c’est grave que nous l’amenons à l’hôpital », explique Epimaque Nayigiziki. Cet élève animateur du lycée de Nyanza, au sud du Rwanda, avait bénéficié, en 2006, des formations de l’Association rwandaise des conseillers en traumatisme (ARCT-RUHUKA). Cette prise en charge des élèves traumatisés par d’autres élèves formés à répondre à leurs angoisses a permis de réduire les crises collectives dans certaines écoles du sud du pays.
Au groupe scolaire Gatagara, à Butaré, des étudiants de la faculté de santé mentale travaillent avec des groupes d’élèves depuis l’an dernier. « Grâce à eux, nous avons su que le trauma n’est pas lié seulement aux conséquences du génocide. Les blessures d’un accident, apprendre qu’on est infecté du VIH à l’âge adulte alors qu’on le savait pas avant…peuvent aussi être à la base du trauma », souligne Muhigira Marcel, un élève
Étudiant et danseur traditionnel, Nsengiyumva Toto a fait, lui, de l’art thérapie avec les enfants de la 4e et 6e année de l’école primaire de Rukira, à Huye. Par la danse, il a pu aider des enfants à exprimer leurs émotions et à s’ouvrir les uns aux autres : « Avant, disaient-ils, ils jouaient dans des groupes à part parce que les uns étaient rescapés, les autres avaient les pères en prison. Actuellement, ils partagent tout. Les uns vont d’ailleurs passer la nuit chez les autres sans problème », souligne-t-il.
D’autres initiatives, comme celle de l’Agence adventiste d’aide au développement au Rwanda (ADRA) ont été lancées pour former les directeurs et les enseignants sur ce qu’est le traumatisme et ses effets sur l’éducation des élèves. Actuellement, ce sont les enfants qui n’ont ni vu ni vécu le génocide qui sont touché parce que « les réactions et émotions de leurs parents qui ont vécu tel ou tel événement, leur façon de penser, d’agir, etc., ont des répercussions sur leur vie », explique Nsengiyumva Toto.
Fulgence Niyonagize