(Syfia Grands Lacs/Rwanda) Violée et engrossée par des Interahamwe qui lui ont aussi transmis le sida, dont ses enfants sont infectés, cette veuve, rescapée du génocide, stigmatisée par tous, vit seule avec ses souffrances.
« Jusqu’à cette heure, je ne suis pas en mesure de connaître le vrai père de mon fils. Pour répondre aux questions de mon enfant, je lui ai dit un nom d’un Interahamwe que j’ai pris au hasard », raconte, les larmes aux yeux, cette rescapée du génocide, la quarantaine d’années, qui vit à Butare, au sud du Rwanda. En 1994, elle a été engrossée par des Interahamwe, une bande d’une trentaine de miliciens qui l’a contrainte, raconte-t-elle, à satisfaire leurs désirs sexuels et à préparer la viande des vaches volées aux victimes. Elle a accouché d’un garçon « sans assistance, seule, sur une natte en cachette ». Dans les livres de l’état civil, elle a fait enregistrer cet enfant à une date antérieure au génocide. « Je l’ai caché à mon entourage, car il risquait de me rejeter davantage. L’État non plus n’allait pas assister mon enfant car ce n’est pas un rescapé″, révèle-t-elle en sanglotant. Aujourd’hui, elle reconnaît qu’elle fait tout pour aimer ce beau garçon qui lui ressemble et se comporte bien mais que c’est difficile.
En 1995, elle épouse un homme qui lui donne un troisième fils (avant le génocide, elle avait été mariée et avait eu un premier garçon). Après la mort de son mari, elle a appris qu’elle avait été infectée par le VIH/Sida ainsi que ses deux fils.
Cette petite femme de 1 mètre 50 et ses trois enfants, dont deux séropositifs, habitent dans la périphérie de la ville de Butare, dans une maison de trois pièces, construite par une famille caritative. Sans travail, elle vit parfois de la vente des bananes mûres qu’elle étale devant sa maison le matin et de quelques aides en nourriture de fidèles compatissants. L’après-midi, elle oublie ses soucis grâce aux répétitions d’une chorale chrétienne. Elle prépare rarement à manger le soir. La famille se contente d’un peu de bouillie, réservée surtout aux enfants malades qui prennent les antirétroviraux.
″C’est quand mes enfants n’ont rien à manger que j’ai trop mal à la tête″, dit-elle. Réservée, elle ne parle pas d’elle : ″Je ne veux pas pleurer devant n’importe qui ; il faut quelqu’un qui veut bien m’écouter″. Quand elle parvient à trouver une oreille attentive, cela la soulage. Mais souvent seule, elle ressasse sa douleur et ne peut pas oublier ceux qui lui ont rendu cette vie si difficile. ″Quand je vois un compagnon de mes violeurs encore en vie, je sens comme un couteau dans ma plaie″, témoigne-t-elle.
Non seulement, elle vit retirée de la société, mais elle est en plus victime de la stigmatisation à laquelle les séropositifs sont confrontés. ″Mes voisins essaient de retenir leurs enfants en disant que s’ils viennent ici, moi et mes enfants les contaminerons ″. En plus, déclare-t-elle, « lorsque je demande un emploi, personne ne veut de moi alors que j’ai encore de la force physique ». Ancien agent du service aux étudiants de l’Université nationale du Rwanda, cette finaliste de l’école primaire a perdu son travail en 2001 à cause de la réforme administrative.
Malgré tout, elle garde courage. Elle appartient à un groupe d’entraide de femmes séropositives, convaincues que la vie est toujours là. ″C’est ce que je dis toujours à mon fils aîné quand il s’inquiète de moi; que je peux même arriver à 80 ans″, assure-t-elle. Dieu, dit-elle, qui l’a sauvée du génocide, est son principal recours : ″Ne ne pas aller prier serait pour moi céder ma vie à la mort.″
Jean de la Croix Tabaro
Goma
Violées une fois, meurtries toute la vie
(Syfia Grands Lacs/RD Congo) Montrées du doigt, rejetées, moquées, de nombreuses femmes violées au Nord-Kivu ont perdu le goût de vivre.
G., la trentaine, fond en larmes en évoquant ses souvenirs de viol et refuse d’encore en parler. Clémentine, elle aussi déplacée dans un camp de réfugiés proche de Goma, au Nord-Kivu, se sent toujours humiliée : ″Tout le monde se moque de nous. Les uns nous violent avec leurs questions, d’autres s’amènent avec des petits dons qui nous rappellent encore ce que nous avons vécu. Pourquoi ne pouvons-nous pas vivre dans l’anonymat au lieu d’être encore pointées du doigt ? Mon mari m’a répudiée et c’est le cas aussi d’autres femmes. Tout le monde me fait comprendre que franchement je ne suis plus digne d’être appelée femme. Et je n’ai plus la force de me battre pour cette dignité.″ ″Je continue d’être rejetée par mes amies comme si c’était moi qui avait invité mes violeurs, témoigne Georgette, violée à Masisi en 2007. Où que je passe, on me montre du doigt. Voilà pourquoi je ne veux plus sortir de mon kivera (case de fortune, ndlr).″
Qu’elles en parlent ou qu’elles gardent le silence par peur d’être encore stigmatisées, nombre de femmes victimes de violence sexuelle continuent de subir un traumatisme psychologique et social, parfois plusieurs années après le choc de l’agression. Pas seulement à cause des séquelles physiques ou du regard des autres : la violence subie transforme les victimes pour longtemps. ″J’ai perdu toute ma capacité de tendresse″, poursuit Clémentine. ″Je ne supporte plus la proximité des hommes et encore moins des militaires, ajoute Georgette. Maintenant, de grâce, épargnez-moi d’autres questions : vous remuez le couteau dans la plaie.″
Les agressions continuent, pourtant. Une détenue de la prison centrale de Munzenze en a été victime en juin dernier, le jour où des prisonniers ont tenté de s’évader. ″Je ne supporte pas le souvenir de mon corps souillé par des inconnus. Quelle peine pour moi et quel déshonneur pour mon mari et mes enfants, gémit-elle, en pleurant à chaudes larmes. Si je le lui annonce, il va tout de suite me répudier. Et je ne sais pas si mon violeur avait des maladies.″
La plupart de ces femmes disent avoir perdu tout goût de vivre. Beaucoup souffrent de maladies psychiques, tandis que d’autres, qui n’ont pas supporté le traumatisme, sont mortes d’arrêt cardiaque.
Alain Wandimoyi
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