(Syfia Grands Lacs/Rwanda) Près d’un quart des Rwandais ont faim. Des agriculteurs surtout, victimes des caprices du climat et de la politique agricole ; des citadins qui ont vu les prix doubler sur les marchés ces derniers mois. Les achats des pays voisins, en proie à la famine, aggravent la situation. Mais les autorités refusent les aides alimentaires.
« Nimudufunguire », (donnez-nous à manger, s’il vous plait), scande les nombreux mendiants qui sillonnent les quartiers de Kigali, de porte en porte. Actuellement, les Rwandais des régions menacées par les famines récurrentes, comme le Bugesera à l’Est, sont de plus en plus nombreux à quitter leurs villages pour venir mendier dans les villes. « Que voulez-vous qu’on vous donne? Moi non plus je ne sais pas comment nourrir mes enfants ? », lance furieuse une jeune femme de Kagarama, Kigali, à une mendiante qui lui demandait à manger, début octobre. Découragée, la femme chétive, avec son enfant malnutri, n’a rien eu à rétorquer. Seules ses larmes témoignent de sa tristesse et de son absence d’espoir dans l’avenir.
Pour bon nombre de villageois ou de citadins du Rwanda, il est difficile d’espérer pouvoir un jour manger à sa faim. Actuellement plus que jamais. A Kigali, le prix des aliments de base a pris l’ascenseur depuis deux mois. Le kilo de haricots a presque doublé, passant de 250 Frw à 450 Frw (0,80 $), celui de pomme de terre de 120 à 200 Frw (0,35 $). « Les prix montent car les denrées alimentaires manquent dans les zones de production agricole », note un commerçant de Gikondo, Kigali.
D’après le rapport d’Action Aid Rwanda sur la situation alimentaire de septembre 2009, « des milliers de Rwandais surtout ceux des zones rurales ne peuvent manger deux fois par jour ». Ce rapport montre que 24 % des Rwandais, soit près de deux millions de gens vivent dans l’insécurité alimentaire.
Actuellement, le retard des pluies, attendues début septembre pour la saison A mais qui n’ont commencé à tomber qu’un mois plus tard, aggrave la pénurie. « Plus il tarde à pleuvoir, plus les gens sont contraints à manger les réserves des semences qu’ils avaient gardées pour la saison culturale suivante », affirme un agronome de Kirehe, Est. Si les agriculteurs sont habitués à ces difficiles périodes de soudure, cette fois-ci ils craignent le pire. « Les pays voisins aux prises avec de sévères famines vident nos stocks. Une bonne partie de pommes de terre et de haricots du Rwanda sont acheminés vers l’Ouganda et le Burundi », affirme un H.T, un commerçant de Rwamagana, Est.
Vendre avant de se nourrir
« Le Rwanda veut prouver qu’il a les épaules assez larges pour endosser un costume d’exportateur d’aliments dans la région », se vante un agent du ministère de l’Agriculture, faisant allusion à la politique agricole du gouvernement orientée vers le marché. Suivant celle-ci, en vigueur depuis 2007, chaque province doit cultiver les plantes les mieux adaptées à la région. Malheureusement, les dernières saisons ont connu des conditions climatiques défavorables. Le nord, grenier de la pomme de terre, n’a pas eu grand-chose à proposer. Les villageois qui avaient consolidé leurs terres pour y cultiver ce seul tubercule ont été déçus de ne pas pouvoir cultiver une grande partie de leurs terres. « Les semences distribuées étaient insuffisantes et les pesticides de mauvaise qualité », témoigne un agriculteur de Musanze, Nord. « Ceux qui n’ont pas eu des semences de pomme de terre n’ont pas été autorisés de planter d’autres cultures. C’est pourquoi, les marchés sont vides de produits alimentaires. Si une grande partie de la population ne bénéficie pas d’aide alimentaire, bientôt on pourra avoir des morts de faim », ajoute-t-il.
Mais le Rwanda a déjà fermé les portes à ces aides. « Ce qu’il nous faut, ce sont des subsides pour renforcer notre politique de développement et non des aliments qui ne sont jamais suffisants », persiste cet employé du ministère de la Santé.
Pourtant, l’intervention de l’État dans le secteur agricole reste faible. Selon l’Association de coopération et de recherche pour le développement (ACORD), en 2008, l’agriculture, qui couvre près de 90 % des besoins alimentaires des Rwandais, n’a bénéficié que de 10 % du budget national.
Pour l’instant, les autorités locales s’investissent surtout dans la Révolution verte prônée par le gouvernement. Des paysans résistants au changement voient leurs cultures détruites. Ainsi à Cyuve, Musanze, Nord, les dirigeants locaux ont ordonné d’arracher, dans tous les champs des villageois, toutes les cultures autres que le maïs, choisi dans cette région pour cette saison culturale.
ENCADRE
Sud Kivu
Le climat change, le manioc est rare, la disette gagne
(Syfia Grands Lacs RD Congo) La disette gagne dans les campagnes du Sud Kivu où la production de manioc est en chute libre. Déjà affaibli par la mosaïque, le manioc supporte mal l’allongement de la saison sèche ces dernières années
La saison sèche a été triste au Sud Kivu. Le manioc habituellement abondant en cette période de l’année, entre mai et août, manquait pour faire la fête. Consommé frais, cuit à l’eau, grillé, en chikwange ou foufou, ce tubercule, base de l’alimentation, s’est fait rare sur les tables, reconnaît Dieudonné Bapolisi, un ingénieur agronome. Depuis trois ans, la production ne cesse de baisser. « Il y a trois ans, je produisais 665 kg sur mes trois champs, compte Pulchérie Munguarhuhire, paysanne d’Idjwi, l’île au milieu du lac Kivu. Cette année, seulement 245 kg ». Les récoltes de haricots et de patates douces n’ont pas été meilleures.
Cette situation est la conséquence de l’allongement de la saison sèche passée de 3 mois (de juin à août) à 5 mois (d’avril à septembre) depuis 2005. Et la cochenille parasite le manioc depuis deux décennies, rabougrissant les tiges et flétrissant les feuilles tendres également consommées.
Habituellement le manioc est planté en septembre et récolté à partir de mai. « Nous nous sommes empêchés de récolter en mai, espérant que les carottes allaient grossir un peu plus avec les pluies du mois », explique Guhanika Karhagomba, un paysan de Kabare. Mais, à la grande surprise des agriculteurs, les pluies se sont arrêtées, remplacées par une forte chaleur. « Des dizaines de tiges arrachées ne portaient aucun tubercule », dit tristement Angèle M’Bufole, une cultivatrice, en montrant les tiges couchées qui ne montrent que des radicelles. « Nous avons été surpris par la production de cette année, encore plus faible que l’an dernier », poursuit-elle. La famine déjà crainte l’année passée, s’est concrétisée en juillet.
Confrontées à ces aléas, les zones productrices de manioc (Walungu, Kaziba et Katana) ont commencé à s’approvisionner en farine de manioc à Bukavu qui l’achète dans les régions plus éloignées.
Pour redresser la situation, certains agriculteurs essaient de suivre les conseils des techniciens en plantant des boutures d’autres variétés, achetées dans des villages plus éloignés, et s’efforcent d’enrichir leurs champs de compost et d’engrais verts.
Thaddée Hyawe-Hinyi
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Posté par rwandaises.com