Eléonore Sulser
Le roman engagé, charge violente contre la coopération suisse au Rwanda, de Lukas Bärfuss paraît en français. Pesant, mais aussi captivant, passionnant dans son exploration des méandres de l’humanitaire
Lukas Bärfuss est né en 1971. Il a raconté comment, en troisième année d’école, on lui avait présenté le Rwanda. Un petit pays agréablement vallonné, où des paysans travailleurs, modestes et sérieux soignaient de belles vaches aux longues cornes. Une Suisse d’Afrique en somme, où l’aide au développement helvétique menait nombre de projets efficaces.
Bien plus tard, les images du génocide de 1994 le rattrapent. Et c’est en cherchant, dit-il, à faire coïncider l’image d’Epinal avec celles des massacres que ce dramaturge, qui vient d’être placé par le Tages-Anzeiger au rang des «espoirs» parmi les intellectuels qui comptent le plus aujourd’hui en Suisse alémanique, s’est lancé dans la rédaction de son premier roman, Hundert Tage.
Violente charge contre la Direction du développement et de la coopération suisse (DDC), ce roman se veut une dénonciation du soutien, certes passif et naïf et offert involontairement, par ce qu’il appelle «La Direction» aux organisateurs des massacres. Sa publication, en 2008, en Suisse alémanique a soulevé débats et polémiques. On y a vu aussi le retour d’une écriture engagée à la Max Frisch ou à la Dürrenmatt.
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Sous le titre Cent Jours, cent nuits, minutieusement traduit par Bernard Chartreux et Eberhard Spreng, ce roman paraît aujourd’hui en français aux Editions de l’Arche. Il est à la fois lourd d’une démonstration parfois pesante, mais aussi riche d’une véritable puissance narrative – difficile de lâcher une fois qu’on est lancé – et d’une réflexion prenante sur les ressorts de l’engagement.
C’est à une exploration intime des méandres de l’âme d’un coopérant que nous convie Lukas Bärfuss. Son héros, David Hohl, raconte à quelqu’un qui pourrait être Bärfuss lui-même, dans un paysage de neige et devant un plat de tripes – l’auteur ne craint pas les symboles appuyés – comment la Suisse a soigneusement pavé l’enfer rwandais de bonnes intentions; comment il s’est retrouvé pris au piège de ses aspirations à un altruisme héroïque. Comment la pitié n’est pas seulement dangereuse, mais peut aussi être meurtrière.
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/b18e50de-db9d-11de-b006-f0176d27cdbd/Rwanda_quand_la_pitité_suisse_était_dangereuse
Posté par rwandaises.com