Un curieux face à face aura lieu le 5 mars 2010 devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris. Il opposera Claude Halfen, maçon, ancien militant d’Action Directe, à Jean-Louis Bruguière, magistrat retraité, qui revendique « 30 ans de lutte contre le terrorisme ».
Sorti en novembre 2009, l’ouvrage intitulé Ce que je n’ai pas pu dire comprend dix-sept chapitres où erreurs, raccourcis, extrapolations, allusions douteuses (pour ne pas dire bruits de chiottes) l’emportent parfois sur l’exposé franc et objectif des faits que les lecteurs sont en droit d’attendre de la part d’un magistrat, fusse-t-il, à 66 ans, à la retraite depuis 2007.
Bruguière (« 30 ans de lutte contre le terrorisme ») et Pontaud (« spécialiste des affaires judiciaires ») « bavardent » sur les enquêtes que le coordonnateur de la section antiterroriste au Palais de justice de Paris a pu instruire : la tuerie de la rue des Rosiers à Paris (9 août 1982), l’attaque du City of Poros (11 juillet 1988), l’attentat du DC10 d’UTA (19 septembre 1989), l’assassinat de Chapour Bakhtiar à Suresnes (6 août 1991), les attentats des Groupes islamiques armés algériens à Paris (1995)… On y cause aussi des « manigances du Kremlin », de Ben Laden, du Rwanda, des dossiers de la Stasi… et, ce qui nous amène à parler de ce livre qui ne ressemble pas à nos lectures habituelles, de la fusillade de l’avenue de Trudaine.
C’est en effet le chapitre Action directe : un mouvement anarchiste (sic) qui met en colère Claude Halfen (que les ami-e-s appellent aussi Jean). Rappel des faits. Le 31 mai 1983, quatre policiers en civil effectuaient une ronde dans le 9e arrondissement parisien. Deux d’entre eux furent tués et un troisième fut gravement blessé alors qu’ils tentaient d’interpeller deux personnes dont le comportement paraissait suspect. Au cours de l’entretien qu’il a eu avec Jean-Marie Pontaut, l’ex-juge anti-terroriste n’hésite pas à affirmer que Claude Halfen était impliqué dans ces événements. Ce que l’intéressé dément fermement avec le soutien de son avocat Thierry Lévy. « Ce qui me dérange dans le bouquin de Bruguière, ce n’est pas qu’il m’incrimine dans la fusillade de l’avenue Trudaine, souligne Claude Halfen. Je n’étais pas là, je ne sais comment j’aurais agi si j’avais été présent. Mais qu’il me désigne comme cible aux balles des fachos style Honneur de la police, ça non… Ceci dit, ma démarche ne signifie pas que je me désolidarise des copains présents ce jour-là. »
La faute de Jean-Louis Bruguière est inexcusable par le fait que l’ancien magistrat instructeur ne peut ignorer que Claude Halfen, blanchi par des dizaines de témoignages, a été acquitté par la cour d’assises de Paris (peu suspecte de sympathie pour Action Directe) le 13 juin 1987 pour les faits commis avenue de Trudaine ce 31 mai 1983. On imagine mal un juge d’instruction se désintéressant totalement de l’arrêt rendu dans une affaire qu’il a lui-même instruite !
On mesure l’effet désastreux d’une telle accusation. Au fil des 496 pages, l’ex-juge devenu militant de l’UMP se présente comme l’infatigable protecteur des honnêtes gens, comme le défenseur d’une société menacée par des ombres malveillantes, comme le zorro de l’anti-terrorisme. Jamais il ne viendrait à l’idée du lecteur lambda que le vénérable juge puisse radoter ou travestir la vérité. Les épris de justice, eux, seront choqués de voir avec quel mépris on traite parfois la chose jugée et, tout simplement, le droit à l’oubli vingt-six ans après une période agitée. Les conditionnels et les formules évasives ne suffisent pas à modérer la gravité des affirmations. D’autant que l’ancien juge prédit un retour possible de la lutte armée sur fond d’agitation altermondialiste. De là à suggérer l’élimination préventive des activistes repérés… Le pas pourrait être vite franchi au nom de l’idéologie antiterroriste que brandissent les maîtres du monde.
Considérant l’ampleur exceptionnelle de la faute commise par Jean-Louis Bruguière, par Jean-Marie Pontaut et par les éditions Robert Laffont, Claude Halfen réclame, outre des dommages et intérêts, le rappel de tous les livres en circulation et, à défaut, l’insertion d’un encart dans les exemplaires disponibles indiquant qu’il a été acquitté par un arrêt de la cour d’assises de Paris. Il demande également la suppression des passages litigieux dans toute éventuelle édition ultérieure ainsi que la publication du jugement à venir dans dix journaux.
L’audience prévue le 5 mars s’annonce tendue. Claude Halfen n’attend pour autant pas grand-chose de ces turpitudes. « Je n’ai aucune confiance dans la justice de ce pays ni, d’ailleurs, dans celle d’aucun autre, tient-il à préciser. Je ne connais rien à l’escrime et ma vue n’est plus comme avant guerre, ce qui a balayé l’idée de provoquer en duel le juge en retraite (et puis je me souviens de Pouchkine…). Je ne peux cependant pas laisser Bruguière raconter n’importe quoi alors que l’on a remis Jean-Marc Rouillan au placard pour avoir simplement déclaré qu’il ne pouvait s’exprimer. »
Par Paco
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Posté par rwandaises.com