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Pour l’Afrique, les années 1990 avaient été marquées par une terrible descente aux enfers. Livré à ses démons suite au désengagement des grandes puissances libérées de leur guerre froide, étranglée par une orthodoxie financière imposée par les pays riches, le continent avait vécu une longue plongée « au coeur des ténèbres« . Le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 s’était prolongé par une interminable guerre civile (1996-2002) dans l’immense Zaïre voisin (actuelle République démocratique du Congo, RDC).
Du Liberia à la Sierra Leone, des chefs de guerre mus par une folie meurtrière alimentée par les richesses du sous-sol avaient transformé des enfants en machines à tuer (1989-2003). Du Soudan à l’Angola et de la Somalie au Congo, l’Afrique était une mosaïque de guerres civiles pour le contrôle des ressources et du pouvoir. Dans de nombreux pays, la conquête du multipartisme, en exacerbant les rivalités ethniques, avait débouché sur la violence. Même la Côte d’Ivoire, vitrine de la France en Afrique, offrait le triste spectacle de l’éclatement sous les coups d’une xénophobie érigée en stratégie politique. Seule la fin de l’apartheid sud-africain (1994), elle aussi facilitée par la fin de la rivalité Est-Ouest, apportait une lueur d’espoir en offrant le spectacle du triomphe de la raison humaine.
A l’orée du XXIe siècle, le continent semblait aspiré par une spirale autodestructrice. Une décennie plus tard, nul ne se hasarderait à prétendre que le chaos appartient définitivement au passé. Il suffit de tourner les yeux vers le Soudan (Darfour et Sud-Soudan), vers l’est de la RDC, la Somalie, Madagascar ou la Guinée, pour constater que tous les feux sont loin d’être éteints. Il suffit de considérer les piètres indicateurs sociaux du continent : 52 ans d’espérance de vie, 37 % d’illettrés – pour se rappeler que l’Afrique demeure une planète à part.
Pourtant, il est difficile de nier que, aujourd’hui, le tableau a notablement changé. En Afrique même, d’abord, où, des Grands Lacs au Liberia, en passant par l’Angola et le Congo, les principaux conflits ont pris fin ou se sont apaisés. La victoire de Paul Kagamé au Rwanda, comme celle de Laurent-Désiré Kabila en RDC, de Denis Sassou-Nguesso au Congo ou d’Eduardo Dos Santos en Angola sont d’abord militaires. La chute de Charles Taylor au Liberia résulte à la fois de pressions internationales et de l’épuisement du pays, saigné à blanc.
Les premières années de la décennie 2000 auront été marquées par un réveil lent, inégal, incertain, mais manifeste. Certes, la carte de l’Afrique démocratique reste étriquée. Hormis l’Afrique du Sud, seuls des pays comme le Ghana, le Bénin ou le Mali apparaissent comme des démocraties à peu près établies et apaisées. Même au Sénégal, pays qui, en 2000, avait offert à l’Afrique sa première alternance politique pacifique, la pratique démocratique s’est étiolée. Ailleurs, les élections qui ont suivi les conflits civils ont débouché sur une démocratie de façade qui masque la domination d’un homme fort prêt à tout pour la conserver, y compris en changeant la Constitution à sa guise, en achetant des voix ou en restreignant les libertés.
Une génération nouvelle de dirigeants a émergé, ici et là, sans qu’aucun puisse être considéré sérieusement comme une figure exemplaire par la population du continent : un milliard d’hommes et de femmes dont 43 % (au sud du Sahara) ont moins de 15 ans.
Le retentissement qu’a eu en Afrique l’élection de Barack Obama, dont le père était un émigré kényan, confirme le besoin inassouvi des Africains de reconnaissance et leur manque de figure emblématique. Considéré à tort par les Africains comme l’un des leurs, le président américain a comblé, un temps, une partie de la frustration des foules du continent.
Dans le monde aussi, le statut de l’Afrique a changé. De continent ignoré et maudit, il est devenu en ce début de XXIe siècle l’un des lieux les plus convoités de la planète. La Chine, dont les investissements en Afrique ont été multipliés par 15 entre 2003 et 2008, a, la première, donné le signal de cette ruée sur les matières premières, entraînant d’autres pays émergents comme l’Inde et le Brésil.
L’Afrique représente moins de 2 % du commerce mondial, mais, en diversifiant ses partenaires, elle est sortie de son tête-à-tête malsain avec les anciens colonisateurs. Les Américains, soucieux de diversifier leurs approvisionnements pétroliers et de lutter contre le terrorisme, ont eux aussi réinvesti le continent au cours de la dernière décennie.
Curieusement, la France, pourtant très marquée par des siècles d’histoire commune, tarde à rénover ses liens avec l’Afrique et à moderniser les instruments d’une présence contestée. Il est vrai que les Africains lui reprochent, de façon contradictoire, tantôt sa passivité, tantôt son interventionnisme, comme pour prolonger une histoire franco-africaine faite d’amour et de haine.
Il est trop tôt pour savoir si les artisans africains du « rebond » sauront tirer à leur profit la concurrence que se font désormais de nombreuses puissances pour les séduire. Ou si, comme on le voit à travers certains contrats léonins signés pour l’accès aux ressources du sous-sol, ou avec l’achat massif de terres par des sociétés asiatiques, la nouvelle ruée sur l’Afrique va prendre, cinquante ans après les indépendances, les allures d’une nouvelle colonisation.
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2010/01/13/l-afrique-a-nouveau-convoitee-cherche-la-voie-de-son-rebond-par-philippe-bernard_1291285_3232.html
Posté par rwandaises.com