A en croire Mme Victoire Ingabire, la plus bruyante des candidats à la présidence rwandaise,( toujours sur le point de partir au Rwanda, mais jamais sur le point d´arriver) le temps ne suffira pas pour les préalables à ces élections. La candidate Ingabire, selon le discours prononcé devant les « bienfaiteurs allemands » du Rwanda, à Mayence, le 28.10.09, devra d´abord organiser ce que les Rwandais connaissent sous le nom de Rukokoma, « un Dialogue inter-rwandais hautement inclusif », comme dirait son allié récent Mushayidi (s´inspirant d´une rencontre zaïro-congolaise à Sun City, en Afrique du Sud) et « une Commission Vérité et Réconciliation »(pour encore imiter l´Afrique de l´après apartheid).
La présidente virtuelle du Rwanda n´aura pas, il est vrai, à supprimer les tribunaux Gacaca, appelés, avec Rusesabagina, pour imiter Bush Junior parlant, avec la même légèreté, des fausses armes nucléaires de l´Irak, « une arme de destruction massive »; les Gacaca seront terminés avant son arrivée. Il lui faudra,en outre, remplacer l´actuel code électoral (avec quel parlement?) et l´actuelle Commission électorale ( qu´elle dit, par ignorance, composée uniquement de membres du Front patriotique rwandais -FPR) pour donner au Rwanda, dit-elle, un code électoral et une commission « qui ont l´assentiment de tous les partis politiques, en particulier de l´opposition politique ». Opposition à laquelle sont promises apparemment des prérogatives particulières dans un système qu´on nous jure pourtant qu´il sera respectueux de l´égalité.
Un peu comme dans « la ferme des animaux » d´Orwel; et comme proposait jadis le vieux Faustin Twagiramungu dans un journal canadien, La Presse, une démocratie gravitant autour de « l´ethnie » hutue ; nous aurions ainsi un système dans lequel certaines formations politiques seraient plus égales que d´autres. La candidate Ingabire a bien d´autres tâches qui pourraient bouleverser les échéances, mais celles-là y suffisent amplement.
UNE FEDERATION AU SANG MELE. La fédération FDU ( Forces Démocratiques Unifiées) , que préside Victoire Ingabire, comprend également les FRD ( ou Forces de Résitance pour la Démocratie) qu´ Eugène Ndahayo a reçues en héritage ou en déshérence, on ne sait, des fondateurs, Faustin Twagiramungu et Seth Sendashonga (1995). Les FDU que préside Victoire Ingabire ont beau être unifiées, elles restent une fédération de trois formations au moins: le RDR (Rassemblement Républicain pour la Démocratie au Rwanda) que Victoire Ingabire préside partriculièrementl est né au pied des volcans dans les camps de réfugiés et donne l´ardeur de son feu aux FDU; une branche de la même famille, les « Forces Democratiques pour la Liberation du Rwanda » (FDLR), a suivi une autre voie. Les FDU comprendraient aussi l´ ADR ( Alliance Démocratique Rwandaise – Isangano) de Jean-Baptiste Mberabahizi. Jean Marie Vianney Ndagijimana n´y serait plus que comme l´une des « personnalités politiques indépendantes », selon le communiqué du 29 avril 2006.
On peut supposer que chacune des formations voudra apporter son grain de sel ( ou sa part d´ADN) aux priorités et aux préalables que la présidente virtuelle exige , dit-elle, pour des élections « pacifiques, équitables, libres, transparentes et démocratiques. »
On se souviendra peut-être de la proposition des FRD, à leur naissance, à Bruxelles, en 1995, de soumettre le Rwanda encore quelques années à la tutelle de l´ONU; une tutelle à laquelle les héritiers des FRD ne nous ont jamais dit avoir renoncé. Le goût de la dépendance est un virus très résistant; quand on a été colonisé, on est toujours tenté de retourner à son colonisateur.
VIOLENCE CYCLIQUE AU RWANDA ? Victoire Ingabire dit à ses « bienfaiteurs allemands » que son parti a pris « le pari de donner une chance à l´alternance au pouvoir de notre pays par des moyens pacifiques ». Voilà une bonne nouvelle! Les FDU, en effet, mieux au fait de la politique que de l´histoire, voudraient, comme d´autres de la diaspora postgénocide, rompre avec l´alternance violente qui aurait caractérisé jusqu´ici le Rwanda.
Cette diaspora commence le récit de cette histoire violente à Rucunshu où l´héritier désigné à la royauté périt dans l´incendie de sa hutte pour céder la place au fils d´une autre femme de son père; à ce fils succéda son fils Mutara Rudahigwa par la volonté du colonisateur belge conseillé par l´évêque du pays. Il n´y eut pas violence, que l´on sache, et Musinga détrôné par les Belges gagna son exil à Kamembe d´abord (SO), au Congo ensuite ; s´il y eut envie de violence chez ses partisans, elle fut refoulée. Mutara rendra son âme à la suite d´une piqûre mystérieuse d´un médecin belge et muni des sacremets de la sainte église. Kigeli V lui succéda et fut déposé par un referendum (dit Kamarampaka) télécommandé par le Résident Spécial belge à partir des fenêtres de l´administrateur belge de Gitarama. Grégoire Kayibanda avait eu soin de lui demander le feu vert, la veille sous le couvert de la nuit. Après un président de lancement portant le numéro zéro, vint la succession de Kayibanda au mwami (roi) Kigeli encore en vie. La violence ne vint que lors de « la révolution de 1959 » que ses auteurs et ses partisans disent pacifique et dans laquelle d´autres voient le début du génocide contre les Tutsis. Kigeli est sur le chemin du retour au Rwanda , « dans quelques jours », selon Christian Marara, un médecin de son état reconverti en faiseur de rois.
Kayibanda serait mort dans son lit, muni des sacrements de la sainte église, et aura ainsi cédé la place, sans coup férir, au non moins bon chrétien Habyarimana qui, il est vrai, fit mourir , de soif surtout, dans la prison de Ruhengeri quelques barons du régime de Kayibanda. La « Démocratie Chrétienne Belge », qui avait créé Kayibanda, s´en accommoda. La Chancellerie de Bruxelles envoya à son ambassadeur à Kigali un télégramme enjoignant aux coopérants de continuer le travail comme d´habitude. On voit que l´alternance rwandaise au sommet de l´Etat, si elle se caractérise par la violence, cette violence est plus subtile qu´on ne le dit en cédant trop vite au goût du raccourci. Mais revenons à nos moutons..
IGNORANCE DU TERRAIN. Il convient de dire que tout ce monde nous vient d´une diaspora qui, en général, a quitté le Rwanda en 1994 ou peu après, et qui ainsi ne brille pas par une connaissance directe du terrain politique rwandais.
Lors de son passage à Trèves, on demanda à la présidente virtuelle du Rwanda : « Vous et la direction de votre parti vivez aux Pays- Bas. D´où apprenez-vous ce qui se pass réellement dans les rues du Rwanda ? » La présidente virtuelle répondit avec aplomb : « Notre base est au Rwanda et nous informe . La direction doit être à l´étranger, en général, pour pouvoir agir » ( Die fuhrenden Krafte mussen im Ausland sein, damit sie uberhaupt agieren können). La préférence d´agir là où on n´est pas, Victoire Ingabire la partage avec d´autres. Elle laisse perplexe. Que l´on sache, aucun politicien d´Occident, tant admiré et tant imité, n´a libéré son pays à distance. Il faut un jour ou l´autre se résoudre à rentrer ! Une fois en dehors du Rwanda, certains membres de cette diaspora choisirent, la stratégie de la négation du génocide des Tutsis; un ami belge, « expert » du Rwanda, les persuada de renoncer à la négation comme peu productive et d´essayer la stratégie du double génocide des Tutsis et des Hutus, et pas seulement modérés. Cette diaspora, habituée par l´ethnisme à la fragmentation nationale dénoncée par James Gasana dans son ouvrage ( Rwanda : du Parti-Etat à l´Etat-garnison, 2002), fut retardée, dit-on, dans ses entreprises par le clivage Kiga-Nduga (Nord-Sud) et par l´allergie des ex-militaires au leadership de Faustin Twagiramungu. On crédite Victoire Ingabire d´avoir résolu ce clivage. D´autres attribuent la prouesse à Dismas Nsengiyaremye, le chouchou d´un jour de la Démocratie Chrétienne belge, qui se terre dans la France profonde. Toutefois, des experts multiples, civils et religieux, empressés autour de la diaspora post-génocide n´ont pas pu remplacer un leader capable d´articuler les vrais intérêts du groupe. Encore une fois, Victoire Ingabire apparaît aujourd´hui comme ce leader, après la défausse de Rusesabagina plus « humanitaire » dans l´âme, pense-t-il, que leader politique. Victoire Ingabire Umuhoza, qui cumule les jolis noms (Victoire, Don et Consolation) apparaît comme le leader de cette diaspora, au moment où, au Rwanda, la femme est à l´honneur, au contraire du vieux temps où mademoiselle Ndabaga représentait la dernière extrémité. On lui souhaite bonne chance si elle vient partager le pouvoir pour le bonheur de tous les Rwandais.
En 2003, l´ignorance du terrain a été fatale à Faustin Twagiramungu. La raison reelle de son echec fut son ignorance de l´évolution de l´ethnisme au Rwanda. L´alibi facile fut le candidat Paul Kagame qui lui aurait rendu la vie difficile. Alison des Forges (Dieu ait son âme) de Human Rights Watch (HRW) y croyait mordicus. Bien des experts s´y cramponnent encore aujourd´hui. Un tel alibi pourra-t-il encore fonctionner quinze ans après le génocide ? Rien n´est moins sûr.
La séparation territoriale, réclamée à l´ONU par Grégoire Kayibanda, a sombré dans le ridicule et dans le tombeau des choses impossibles. L´exil indéfini préconisé par Habyarimana s´est avéré impraticable. L´extermination génocidaire a été une catastrophe dans laquelle tout le monde a perdu. Il ne reste aux Rwandais que de tenter une coexistence pacifique. Là se trouve l´intérêt pour tous et le seul chemin du bonheur pour chacun. LE MENSONGE COMME STRATEGIE. Il semble que la stratégie du mensonge n´est pas encore abandonnée; la candidate a osé affirmer en Rhénanie-Palatinat qu´il n´y avait plus d´actions de jumelage au Rwanda , que la commission électorale est composée de gens d´un seul parti, que l´administration est monocolore, entendez « monoéthnique » ou uniquement tutsi.
La stratégie du mensonge tranquille (kumumiriza) a été élevée « au rang des arts majeurs » , comme dirait un certain Pierre Péan, par Musabyimana- be, un ancien espion de Habyarimana reconverti en internaute. Dans le royaume du « cinquième pouvoir » (Internet), Musabyimana se détache sur une masse de gens grossiers qui n´ont d´autre argument que l´insulte, ni d´autre façon de raisonner que l´incohérence. JMV Ndagijimana, un ancien diplomate, qui a un poil dans la main, voue à Musabyimana une admiration émue. Luc Marchal, un officier belge, déçu par la Minuar ( Mission des Nations Unies au Rwanda, en 1994) suit Musabyimana comme un gourou. L´inversion des responsabilité s du génocide a récemment prospéré au sein de pans entiers d´électeurs potentiels des FDU pour s´aligner sur les Français Pierre Péan et Jean-Louis Bruguière. Le génocide aurait été commis par des Tutsis contre des Tutsis.
Il pourrait donc y avoir de la cacophonie dans les rangs des FDU. Cela aussi peut gêner des élections sinon pacifiques du moins transparentes auxquelles tient la candidate des FDU. « SECOURS D´AILLEURS ATTEND FIN DE PLUIE », dit un proverbe rwandais. Quant aux secours sollicités tous azimuts et attendus par la présidente des FDU-INKINGI, de Montréal à Madrid, de Paris à Mayence, de la Suisse et d´ailleurs, nous ignorons encore s´ ils ont été promis, dans quels délais et à quelles conditions ils seront accordés. La rapidité ne va pas de soi puisque la candidate place très haut la barre de ses exigences: il lui faudra, entre autres, « des observateurs externes neutres (!) capables de surveiller réellement le processus électoral ».
Le diable est dans le détail, dit-on; il est ici dans ce « réellement » que la candidate exige de gens qui, faute de connaître la langue et la culture du Rwanda, sont bien obligés d´assister pieusement à un culte qui leur échappe. Même s´ils n´observent que la partie du culte qui ne se déroule pas loin des routes asphaltées. L´ironie a voulu qu´on les appelle « indorerezi » ou « badauds qui regardent sans comprendre ».
A Trèves, ( chez les Pères Blancs, nos « nokis » (oncles) à nous Rwandais depuis Mgr Léon Classe qui persuada le colonisateur de réserver le pouvoir politique aux seuls Tutsis, une interviewer demandait, à Victoire Ingabire: » qu´attendez-vous de tous ceux que tu es allée voir? ». Victoire Ingabire a répondu habile- ment : «Nous ne demandons pas à ces pays de soutenir notre parti ou moi-même. Nous leur demandons en général un soutien politique et diplomatique à la démocratisation du Ruanda (sic).
Mais si l´un ou l´autre veut soutenir ma candidature, ce sera bien sûr de tout coeur que je l´accepterai». ( « Wir bitten diese Länder nicht um Unterstutzung unserer Partei oder mich selbst. Wir bitten generell um die politische und diplomatische Unterstutzung einer Demokratisierung Ruandas. Aber wenn einer meine Kandidatur unterstutzen will, ist er naturlich herzlich willkommen ». La primauté des intérêts de la patrie, une discrète pensée pour soi-même, un clin d´oeil pour les liens avec l´Allemagne à l´époque où le pays s´appela « Ruanda ». Tout y est ! IMITATION. Nous avons s suggéré d´où viennent les bribes de l´idéologie des FDU ainsi que la constance du mimétisme qui est, hélas! commune à toutes les formations politiques de la diaspora d´après 1994.
Cette incapacité de penser par soi-même, de dire autre chose au lieu de piller systématiquement les lieux communs et les poncifs des ONG et autres « experts » consacrés, ce psittacisme est inquiétant pour une génération obligée d´inventer un avenir, au moment où l´universalisme occidental prend eau de toutes parts et commence à être contesté et mis en doute aussi bien en Asie qu´en Afrique et même à domicile, en Europe et en Amérique au sortir d´échecs retentissants. Il y a , en effet, un paquet de livres qui sortent pour dénoncer la prétention du modèle occidental à l´universalité. Lisez vous-mêmes. Jean Ziegler, « La Haine de l´Occident » (2008), Amin Maalouf, « Le Dérèglement du Monde » (2009), Immanuel Wallerstein, « L´Universalisme européen.
De la Colonisation au Droit d´Ingérence « (2008), Georges Corm, « L´Europe et le Mythe de l´Occident » (2009). Et bien d´autres. Vous verrez que les fameux « standards internationaux » dont on nous rebat les oreilles ne sont que des standards occidentaux. Il sera bientôt permis d´être un homme honnête sans être un homme occidental. Toutefois, surfer sur les insuffisances du Rwanda nouveau et accompagner ses détracteurs pourrait être une stratégie choisie à bon escient. Il resterait néanmoins qu´un projet politique qui négligerait la créativité personnelle de la nation ne serait pas promise à durer, même s´il est vrai que les pays pauvres ont encore à satisfaire deux « électorats », les donneurs d´aide et le peuple. Une telle anomalie ne saurait être que transitoire et ne pourrait servir de pacte durable entre l´homme politique et le citoyen.
L´ ELECTION PRESIDENTIELLE AURA LIEU.
Finalement l´ élection présidentielle rwandaise pourrait avoir lieu en 2010, si la présidente virtuelle, qui n´en finit pas d´arriver, décidait de ne pas venir au Rwanda. D´une part, elle a suffisamment préparé son électorat à cette éventualité, en puisant dans le florilège que sa diaspora a composée contre Kagame ; d´autre part, l´alternative que ses partisans imaginent à son échec n´est pas engageante pour une candidate à laquelle la violence répugne. Qui gagnerait, en effet, à ce que les prochaines élections débouchent sur « le Kenya » ou « le Zimbabwe », au cas où l´ « opposition » en contesterait les résultats ?
Par Servilien M. Sebasoni
Kigali 26/ nov./ 2009
http://rwandainfo.blogspot.com/2010/01/akagera-2010-kouchner-sarkozy-ingabire.html
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