Malgré l’aide de l’Onu, l’armée congolaise peine à neutraliser les rebelles hutu qui bénéficient de soutiens dans vingt-cinq pays. Une vraie multinationale, décrite par des experts onusiens dans un rapport explosif.
Par François Misser
C ’est un rapport explosif sur la situation dans l’est du Congo qu’a transmis, le 9 novembre 2009, un groupe d’experts au président du comité instauré par le Conseil de sécurité de l’Onu. Sans surprise, il conclut à l’échec de l’opération Kimia II, (« calme » en swahili) déclenchée en mars 2009 par les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), avec le soutien logistique de la Monuc, la Mission des Nations unies en RDC, contre les rebelles hutu des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR). Cette opération n’est pas parvenue à démanteler dans l’Est les structures politiques et militaires des FDLR, dont l’effectif est estimé entre 6 000 et 8 000 hommes, analyse le rapport.
Les complices démasqués
L’État congolais est en partie responsable de cette situation, dans la mesure où les FDLR continuent à bénéficier du soutien d’officiers des FARDC. En janvier 2009, des Casques bleus pakistanais ont mis la main sur une cache contenant des Kalachnikov et des mitrailleuses Uzidan, dans une maison d’Uvira (Sud-Kivu) appartenant au colonel Baudouin Nakabaka, commandant en second de la 10 e région militaire. La Monuc en prend aussi pour son grade pour avoir apporté son soutien logistique à une armée gouvernementale qui continue à perpétrer des violations des droits de l’homme, et dont les offensives « exacerbent la crise humanitaire au Kivu ».
Mais si les FDLR sévissent toujours, pillant les villageois, prenant des otages parmi eux, violant et infligeant des sévices sadiques aux femmes et aux fillettes, c’est aussi en grande partie parce qu’elles ont bénéficié d’appuis à l’étranger, notamment dans la diaspora hutu, écrivent les auteurs. À commencer de la part d’Ignace Murwanashyaka, leur président, et de son adjoint, Straton Musoni, arrêtés en Allemagne le 17 novembre 2009, quand Berlin a appris que le rapport allait bientôt être rendu public. Ces personnes, qui ont toujours tenté de se profiler comme l’aile exclusivement politique du groupe, ont donné des consignes de type militaire aux FDLR, selon les experts. L’Allemagne était aussi une plaque tournante financière du dispositif de cette organisation, qui compte encore beaucoup de génocidaires dans ses rangs. Les associés de Murwanashyaka dans ce pays percevaient les fonds envoyés via Western Union pour le compte des FDLR par les Établissements Muyeye, l’un des principaux comptoirs d’achats de minerai de Bukavu.
Les experts ont également répertorié vingt et un numéros de téléphone en France, dont les utilisateurs ont été en contact avec des dirigeants militaires des FDLR, via leurs appareils satellitaires, entre septembre 2008 et août 2009. Mais Paris n’a pas été très coopérative quand les experts ont demandé que soient identifiés ces utilisateurs et sollicité des détails sur les chefs de l’organisation résidant en France, tel Callixte Mbarushimana, secrétaire exécutif des FDLR, qui reprise des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda, annoncée le 29 novembre dernier par l’Élysée, pourrait changer la donne. Le même jour, l’ambassadeur de France à Kinshasa, Pierre Jacquemot, a assuré que Paris répondrait aux requêtes des auteurs du rapport. Ceux-ci se sont par ailleurs plaints du manque de zèle des États-Unis et du Royaume-Uni à leur communiquer des informations sur les contacts téléphoniques avec des militaires des FDLR établis à partir de leur territoire. Tous ces États devront tenir compte de l’appel que leur a lancé le ministre congolais de la Communication, Lambert Mendé, le 26 novembre, pour qu’ils arrêtent les rebelles des FDLR ayant trouvé asile chez eux. Londres pourrait aussi être invitée à collaborer avec les experts à propos de l’implication d’une filiale thaïlandaise de la société britannique Amalgamated Metals Corporation dans le commerce de minerais avec les FDLR.
De son côté, après la divulgation dans le rapport de la complicité entre un policier d’origine rwandaise et les rebelles, le ministère des Affaires étrangères belge a transmis son dossier à la ministre de l’intérieur, Annemie Turtelboom. Les autorités belges auront du pain sur la planche tant foisonnent les contacts avec les FDLR et les financements de cette organisation à partir de leur territoire. Autre personne en cause : le raffineur et trader d’or anversois Alain Goetz, qui se voit reprocher d’avoir acheté du métal jaune congolais ayant transité par le Burundi. Goetz réfute : dans une interview diffusée le 26 novembre par la chaîne de télévision RTL, il a juré ne se livrer qu’à une activité légale, exhibant des certificats officiels congolais et précisant qu’il n’achetait plus d’or au Congo ou dans les pays environnants en raison du risque trop élevé de financement d’activités rebelles. Selon le rapport, un Frère de la charité belge, dénommée Constant Goetschalckx et demeurant à Kigoma (Tanzanie), aurait donné de l’argent aux FDLR. L’intéressé a démenti, déplorant n’avoir pas été contacté par les experts.
Le rapport décrit l’implication de certaines ONG catholiques, qui tiennent un discours très hostile au gouvernement de Kigali, avec les FDLR. Deux ONG subventionnées par le gouvernement provincial des Baléares (Espagne), la Fundacio S’Olivar et Inshuti, auraient également contribué au financement des FDLR. Leurs responsables qualifient ces accusations de « ridicules ». Le gouvernement des Baléares confirme avoir versé 200000 dollars à la Fundacio S’Olivar, plainte déposée contre Kagame et consorts devant la justice espagnole. Le même rapport met aussi en cause deux pères savériens italiens de Bukavu dans le financement des FDLR. Interrogé à ce propos, par le journal le Corriere della Sera, l’un d’eux, Franco Bordigon, s’est refusé à commenter le document, alléguant qu’il n’était pas « officiel ». Au moment de l’interview, il n’avait pas encore fait l’objet d’un débat au Conseil de sécurité.
Ouverture d’une enquête
Le rapport révèle encore que les réseaux de trafic d’or des FDLR trouvent un de leurs principaux débouchés à Dubaï, où le métal jaune provenant du Congo est écoulé via l’Ouganda et le Burundi, notamment par des filières indiennes. Les auteurs dénoncent la société Glory Minerals qui continue à s’approvisionner auprès des mines que contrôlent les FDLR. Ils déplorent que les flux d’exportation vers les Émirats continuent, bien qu’en avril 2007 le Dubai Multi Commodity Centre (DMCC) ait recommandé à tous ses membres de cesser d’acheter de l’or auprès de la RDC, du Rwanda et de l’Ouganda.
Conséquence (parmi d’autres) de la parution de ce rapport : selon Lambert Mendé, le gouvernement congolais a décidé d’entreprendre une démarche pour entrer en contact avec plusieurs États voisins, afin d’élaborer en commun « une synergie destinée à éradiquer définitivement ces réseaux terroristes qui ensanglantent la RDC ».
Il y a de la matière. Le ministre de la Défense tanzanien, Hussein Mwinyi, a déclaré fin novembre qu’il allait ouvrir une enquête sur les allégations contenues dans le document selon lesquelles des équipements militaires (dont des mortiers) auraient été acheminés aux rebelles hutu à travers le lac Tanganyika, et sur les contacts, jugés suspects par les auteurs du rapport, entre les rebelles et plusieurs officiels tanzaniens, dont l’ambassadeur à Bujumbura, Francis Ndoluwa. Le rapport épingle particulièrement le Burundi, utilisé comme base arrière pour le recrutement et la logistique des FDLR, soulignant la relation avec le chef des renseignements de ce pays, le général Adolphe Nshimirimana.
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Posté par rwandaises.com