Le président français François Hollande et son homologue rwandais Paul Kagamé

Vingt-deux ans après le génocide au Rwanda, l’interminable feuilleton des relations franco-rwandaises n’avance pas.

Comme chaque année à l’approche de la date anniversaire du génocide perpétré contre les batutsi du Rwanda, une énième tribune publique de personnalités françaises a appelé début avril à « briser le silence ». Une quarantaine de parlementaires ont demandé au gouvernement l’envoi d’une délégation ministérielle aux commémorations à Kigali. En vain.

Paris, cible de déclarations incendiaires du président rwandais Paul Kagame il y a deux ans, s’est contenté dans un bref communiqué de « s’incliner devant la mémoire des victimes ».

En avril 2014, l’homme fort du pays et ex-guérillero, dont les hommes avaient mis fin au génocide, avait accusé les soldats français de l’opération militaro-humanitaire Turquoise d’avoir été « complices » des génocidaires hutu et même « acteurs » du génocide des batutsi.

Depuis 20 ans, l’attitude de la France, qui avait soutenu jusqu’au bout le pouvoir hutu responsable du génocide, est l’objet de vives controverses, et les tumultueuses relations bilatérales sont empreintes d’une grande méfiance. Kigali accuse Paris d’avoir formé les forces génocidaires, exfiltré des extrémistes et accueilli des fugitifs impliqués dans les massacres.

Après des années de tension, le Rwanda a rompu ses relations diplomatiques avec la France en 2006. La présidence de Nicolas Sarkozy avait permis leur reprise. Le retour au pouvoir des socialistes en 2012 a été marqué par un net refroidissement, malgré une prudente réserve de François Hollande dans ce dossier.

Il y a un mois, Paul Kagame jugeait dans l’hebdomadaire Jeune Afrique que la réconciliation n’était « probablement » pas pour demain, dénonçant les lenteurs de la justice française. « Jouer au jeu de la normalisation apparente (…), cela ne nous intéresse pas », prévenait-il, justifiant le refus depuis six mois d’agréer un nouvel ambassadeur français. « La France doit d’abord clarifier sa position sur le Rwanda. »

– L’ombre de Mitterrand –

Au coeur du contentieux, l’enquête française sur l’attentat contre l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana, point de départ du génocide des batutsi, est passée des mains du juge Jean-Louis Bruguière à Marc Trévidic. Après avoir pu se rendre à Kigali, ce dernier l’a clôturée mi-2014 sans désigner les auteurs du tir de missile ayant détruit l’appareil présidentiel, et sans suite judiciaire à ce jour.

Pour une source proche du dossier, « il est clair, vu du Rwanda, que c’est surtout le sujet des génocidaires réfugiés en France qui déterminera l’avenir des relations ».

Car en 22 ans, malgré de multiples procédures, la création en 2012 d’un pôle « génocide » pour traiter des affaires rwandaises, une seule condamnation a été prononcée, en mars 2014. Un second procès s’ouvre mardi.

Et Kigali « n’a pas digéré » le non-lieu rendu fin 2015 pour le prêtre rwandais réfugié en France Wenceslas Munyeshyaka, selon la même source. Le pouvoir rwandais « concentre désormais sa stratégie sur cet angle d’attaque judiciaire, afin de faire monter la pression sur l’Elysée et le Quai d’Orsay », décrypte-t-elle.

« Et ça fonctionne »: l’enquête sur l’attentat contre Habyarimana est ainsi passée au second plan, au profit de celle sur le rôle des hommes de Turquoise à Bisesero (où l’armée française est accusée d’avoir sciemment abandonné aux génocidaires des centaines de Tutsi), une thématique strictement franco-française.

Sollicité par l’AFP, le ministère français des Affaires étrangères s’est borné à « souhaiter une relation de confiance apaisée, respectueuse, constructive et tournée vers l’avenir ».

De façon générale, c’est plutôt « l’habituel silence teinté de condescendance » qui prévaut, juge la source proche du dossier déjà citée. Avec les cercles, héritiers de l’ère Mitterrand, « qui verrouillent » toujours: partiellement déclassifiées depuis un an, les archives de la présidence française pendant le génocide restent quasi-inaccessibles et sous la garde du clan Mitterrand, au prétexte qu’elles « ne sont pas faites pour alimenter la polémique » selon leur mandataire, l’ex-ministre socialiste Dominique Bertinotti.

Mais « le Rwanda fait désormais l’objet de très vifs débats au sein de la gauche, avec de jeunes députés socialistes et les écologistes en pointe », observe la même source.

Au sein de l’exécutif, « on estime aussi qu’il y a beaucoup de coups à prendre, au final pour pas grand chose ». Et on est sans doute soucieux de ne pas se fâcher encore un peu plus avec un des rares pays stables en Afrique centrale, alors que la priorité de Paris est désormais de lutter contre des jihadistes sur d’autres terrains.

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Posté le 07/05/2016 par rwandaises.com