Renversement d’hypothèse sur l’attentat contre le Falcon 50 du président. Quelques semaines après la reprise des relations diplomatiques avec la France, le Rwanda diffuse enfin son rapport d’enquête, 15 ans après les faits. Une enquête impossible, qui n’apporte pas de réponse au génocide.
Avec quelques jours d’avance sur le tempo officiel, France Inter a publié jeudi le rapport Mutsinzi, résultat d’une commande de Kigali en réponse aux accusations du juge Jean-Louis Bruguière. En novembre 2006, le juge anti-terroriste français soupçonnait le FPR d’être derrière l’attentat ayant fait 12 morts (dont trois Français) le 6 avril 1994. Résultat : 18 mois d’enquête, 557 témoins interrogés, 186 pages pour une conclusion :

« De l’avis du comité, l’avion Falcon 50 du président Habyarimana a été abattu à partir du domaine militaire de Kanombe par des éléments des Forces armées rwandaises qui contrôlaient cette zone. »

De ces deux informations, seule celle du lieu est véritablement nouvelle. Jusqu’alors, les témoignages faisaient état de la colline de Massaka, plus éloignée de l’aéroport. En désignant Kanombe, la centre névralgique des unités d’élite de l’armée rwandaise, les sept membres du comité orientent nécessairement la seconde information. A part les FAR (Forces armées rwandaises), qui d’autres auraient pu tirer deux missiles sol-air de ce camp militaire ?

Les nouveautés ? Expertise balistique…

Au chapitre des nouveautés, le rapport comporte quelques pépites. D’abord, l’expertise balistique réalisée par une équipe d’experts britanniques, qui :

« a mené ses investigations sur le terrain du 17 au 24 février 2009 et a conclu à la désignation du camp militaire de Kanombe ou ses environs immédiats comme zone de départ des tirs qui ont touché le Falcon 50 dans la soirée du 06 avril 1994 ».

En 112 pages, les experts expriment aussi leur très grande incertitude au sujet de l’arme du crime. Ils sont incapables d’être formels, après avoir analysé des fragments prélevés sur l’épave de l’avion. Au passage, le lecteur apprendra que des restes de la carcasse se trouvent encore là où l’avion est tombé, dans les jardins de la présidence.

En clair, disent les experts, le jet de Dassault a peut-être été frappé par un missile SAM-16 de conception soviétique, mais rien n’est moins sûr. Comme l’arme du crime n’a jamais été retrouvée…

En revanche, contrairement aux informations maintes fois répétées, il est certain que les FAR avaient dans leur rang des artilleurs sachant manier le missile sol-air. Notamment les SAM-16, achetés auprès de nombreux fournisseurs (URSS, Chine, Corée du Nord, Egypte, Brésil…). Certains de ces spécialistes ont d’ailleurs été formés en France.

…et témoignages sur les Français

Enfin, le rapport Mutsinzi repose sur de très nombreux témoignages recueillis auprès d’anciens des unités d’élite : Garde présidentielle (GP), bataillon para-commando, bataillon de reconnaissance. Beaucoup décrivent l’omniprésence des officiers français, instructeurs intégrés au sein des FAR dans le cadre de la coopération militaire ou du DAMI, le Détachement d’assistance militaire et d’instruction.

Le commandant Grégoire de Saint-Quentin était l’un d’eux. Il est le seul à avoir eu accès à plusieurs reprises à la carcasse de l’avion, protégée par des soldats de la GP. Pourquoi ? Le mystère reste entier, mais les enquêteurs soupçonnent l’officier d’avoir récupéré la fameuse boîte noire de l’appareil. Ce faisant, ils perpétuent une chimère de ce dossier : l’analyse des boîtes noires (si jamais on les retrouve un jour) ne fournira ni la marque du missile, ni l’identité de ses tireurs.

Depuis, l’officier des Troupes de marine a effectué une carrière exemplaire dans sa spécialité, le renseignement, puisqu’il a commandé le régiment positionné au coeur des forces spéciales françaises, le 1er RPIMa.

De nombreux mystères

Restent de nombreuses questions que le rapport soulève sans leur donner de réponses convaincantes. Exemple avec cette mention du témoignage d’un ancien enquêteur des Nations Unies :

« A propos de l’attentat, Sean Moorhouse a rapporté que les informations recueillies avaient permis à son équipe d’établir que “ l’avion du président rwandais avait été abattu par trois Blancs avec l’aide de la garde présidentielle et que les tirs d’armes ayant abattu l’avion étaient partis du camp militaire de Kanombe ”. »

Le rapport ne va pas plus loin, mais il reprend une hypothèse déjà soulevée à l’époque des faits par Colette Braeckman, journaliste du Soir spécialiste de la région, ayant passé plusieurs jours à Kigali, juste après l’attentat. L’action aurait pu être conduite par une équipe de mercenaires, agissant pour le comptes des extrémistes du Hutu Power. La journaliste belge avait mis en cause la DGSE, s’attirant un cinglant démenti du gouvernement Balladur.

FAR ou FPR, l’habituel jeu des hypothèses

L’hypothèse de la responsabilité d’un groupe de radicaux des FAR n’est pas nouvelle. L’historien belge Filip Reyntjens l’avait déjà largement examiné dans son livre Rwanda, les trois jours qui ont fait basculer l’histoire… dès 1996.

A l’époque, l’universitaire anversois avait particulièrement bien analysé la mécanique du coup d’Etat déployée avant et après l’attentat. Comment le colonel Théoneste Bagosora, condamné par le TPIR, prend en main la hiérarchie parallèle de l’appareil militaire, les ordres données à la Garde présidentielle, au bataillon para-commando qui éliminent les opposants dès la nuit du 6 avril 1994…

Or, le rapport Mutsinzi reprend cet argumentaire du coup d’Etat mené par des militaires radicaux, en l’étayant de nombreux faits et témoignages. C’est en cela que l’enquête est précieuse : elle fournit de nouveaux éléments pour comprendre l’enchaînement des faits et corriger un malentendu.

Jamais cet attentat ne fournira une explication au processus politico-militaire du génocide, entamé bien avant le printemps 94. En revanche, il s’inscrit dans une trame historique dont les Français sont des protagonistes engagés.

A l’occasion du passage de Bernard Kouchner, jeudi à Kigali, la ministre rwandaise des Affaires étrangères a effleuré le sujet. Louise Mushikiwabo a estimé que ce « serait une bonne chose » que la France présente des excuses au rwanda pour son attitude lors du génocide.

Par David Servenay | Rue89 |

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