(Syfia Grands Lacs/Burundi) Depuis près d’un mois, les Burundaises viennent en masse retirer leur carte d’identité, nécessaire pour voter. Elles sont bien décidées à faire entendre leur voix et leurs revendications lors des élections générales de mai prochain.
Les habitants se sont présentés très nombreux, au moins un million d’entre eux n’avait pas de carte. L’obtention de ce précieux document met un coup d’arrêt à leur vie en clandestin. Une reconnaissance légale à laquelle les femmes sont particulièrement attachées pour pouvoir notamment se faire entendre lors des élections qui commencent en mai prochain.
Selon les données partielles du ministère de l’Intérieur, 80 % des demandeurs de la carte nationale d’identité, hier encore relativement coûteuse (au moins 2 000 Fbu, 2 $), sont des femmes. « Recluses dans une vie de champ et d’arrière-cour, elles sentent soudainement le besoin d’en avoir une », constate Judith Bigirimana, membre d’une association féminine en province de Bubanza, à l’ouest du Burundi.
Électrices motivées
Les femmes n’ont pas attendu la sensibilisation menée par l’administration et les associations féminines pour se mobiliser. Dans la capitale, où elles font du petit commerce, elles se sont passé l’information de la prolongation des délais. Dans les collines, ce sont les radios et l’administration qui essaient de toucher les gens. Certains, en effet, ne sont toujours pas au courant.
Assise à même le trottoir jouxtant les bâtiments de l’Office national des télécommunications, visiblement harassée par une longue journée d’attente, une maman vendeuse de mangues appelle les derniers clients. Ce soir du 11 janvier, elle se relève péniblement, accablée par la fatigue et le surpoids, pour partir avec son panier à moitié plein. D’une voix vigoureuse, malgré la déception causée par les faibles rentrées du jour, elle interpelle sa compagne, marchande de tomates : « Amida, passons demain à la commune pour la carte d’identité ; c’est important pour notre avenir. »
Elles sont nombreuses à attendre dans des files interminables, devant les bureaux communaux. « Renoncer à la carte, c’est renoncer à la nationalité et à tous les droits auxquels elle donne accès… Le droit de vote surtout », insiste Jacqueline Sebahene, du sud de Bujumbura. Certaines commerçantes en sont persuadées, la carte leur donnera une existence légale et leur permettra d’être mieux traitées. « Pas comme des étrangères, des détritus jetés n’importe où et que des policiers indisciplinés piétinent jusqu’à les écraser », dénonce Eugénie, la gorge serrée.
Les prochaines élections générales, qui débutent le 21 mai par les communales pour se terminer le 7 septembre par les collinaires, sont en tout cas considérées par ces commerçantes comme une urgence pour changer le sort que des gouvernants leur ont façonné en les consultant rarement, au cours des cinq dernières années. Inutile d’aller dans les meetings ! Ceux qui auront besoin de leurs voix devront aller les voir au marché. Inutile de brandir son appartenance ethnique ou politique pour être élu ! « Nous sommes nombreuses et n’avons qu’un seul parti politique, une seule ethnie : le commerce qui nourrit nos enfants. Nous voterons en faveur des candidats qui auront formellement promis de créer de meilleures conditions pour l’exercice de notre activité », explique Fabiola Nzeyimana, vendeuse ambulante de pagnes.
Revendiquer leurs droits
À moins de cinq mois des élections générales, la question des droits des femmes nourrit les débats des hommes politiques et des associations féminines. De ces discussions, il ressort que l’égalité des genres reste un combat à mener au Burundi tant les femmes y sont encore inféodées à l’autorité masculine. Pour Onésime Nduwimana, le porte-parole du parti au pouvoir, le CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie), « ce n’est pas en deux ou trois ans qu’on peut changer la mentalité ». Il ajoute que la lutte pour les droits des femmes doit concerner tous les Burundais.
Si, dans la capitale, des femmes d’affaires ont fini par obtenir un droit de regard sur leurs biens, les femmes rurales dénoncent le fait de ne pouvoir gérer elles-mêmes le fruit de leur dur labeur. Venue de Bujumbura rural, Gertrude explique qu’elle votera en faveur des leaders qui leur concéderont cette juste prérogative.
L’association féminine Dushirehamwe vient de publier une étude sur les besoins des femmes. Les 12 000 d’entre elles interrogées regrettent toutes de ne pas avoir de biens propres à gérer. Si elles parviennent à aller aux urnes, ce qui n’est pas évident, car les hommes les en empêchent parfois, les Burundaises pourraient faire changer la situation. Avec la carte d’identité, elles disposent en tout cas d’un nouvel atout de poids…