Blog d’Alex Engwete

Victoire Ingabire Umuhoza, 42 ans, est mariée, mère de 3 enfants et vit en Hollande où le génocide rwandais l’avait surprise alors qu’elle était en formation. Son mari et sa fille, qui se trouvaient alors à Kigali, ont survécu à l’horreur en se réfugiant en RDC, d’où ils ont pu la rejoindre. On peut lire son autobiographie sur le site officiel de sa campagne électorale en cliquant ici.

Victoire Ingabire est aussi technocrate. Son cv est impressionnant : droit commercial et comptabilité ; économie commerciale et gestion des entreprises ; coordinatrice de juricomptabilité d’une multinationale…

Mais Victoire Ingabire a aussi la tête politique. Elle a cassé sa carrière prometteuse l’année dernière pour se porter candidate présidentielle à la tête du cartel Forces Démocratiques Unifiées (FDU) qui regroupe, entre autres partis, le RDR (Rassemblement pour la Démocratie au Rwanda) qu’elle dirige depuis quelques années.

Victoire Ingabire dénonce depuis de longues années le régime RPF au Rwanda, condamne l’expansionnisme militaire rwandais, les massacres de plus de 200.000 réfugiés rwandais hutu ainsi que l’agression rwandaise en RDC, le pillage des ressources congolaises par le Rwanda et les millions de morts congolais des suites de l’agression burundo-rwando-ougandaise de la RDC.

Au vu de l’activisme politique et des déclarations anti-Kagame de Victoire Ingabire, l’establishment rwandais n’avait pas cru que cette femme au ton tranquille aurait le culot de se pointer un jour à Kigali.

Or c’est ce qui est justement arrivé ce samedi 16 janvier à Kigali où, dès son arrivée, Victoire Ingabire a tout de suite déclenché une levée de boucliers tant des membres influents du gouvernement, de l’organisation des survivants du génocide, que des porte-voix du RPF. Elle aurait « désacralisé » le mémorial aux victimes du génocide en y énonçant au cours de sa visite au mémorial la « théorie du double génocide » — qui est une infraction sévèrement punie par la loi rwandaise.

Selon le reporter Edmund Kagire du New Times de Kigali, dont l’article « Ingabire épouse la Théorie du Double Génocide » se lit comme un éditorial plutôt que comme un reportage :

« Après 16 ans d’exil volontaire en Europe, Victoire Ingabire Umuhoza, la présidente des Forces Démocratiques Unifiées (FDU-Inkingi), est arrivée dans le pays hier [samedi] pour faire enregistrer son parti avant les élections présidentielles [au mois d’août] de cette année, selon ses déclarations.

Ingabire est arrivée à bord d’un vol de Kenya Airways vers 15 h d’Amsterdam via Nairobi où elle a passé la nuit […]

[…]

Parlant à la presse avant de se rendre directement au Site du Mémorial du Génocide de Kigali à Gisozi, Ingabare déclara qu’elle est ici pour soulager les Rwandais ‘de la peur, de la pauvreté et des Gacaca [tribunaux populaires] inefficaces’.

[…]

Avec des mots qui suggèrent clairement la théorie du ‘Double Génocide’, Ingabire […] a déclaré que ‘la route de la réconciliation est un long chemin à parcourir à moins que ceux qui ont tué des Hutu durant le Génocide soient poursuivis.

‘Si vous regardez ce centre du mémorial, il ne montre qu’un aspect du Génocide perpétré contre les Tutsi. Il y a l’autre aspect du Génocide perpétré contre les Hutu parce qu’ils souffrent également et se demandent quand leurs doléances seront entendues ».

Dans le tollé général soulevé par la remarque taxée de « révisionniste » de Victoire Ingabire, des menaces de poursuite judiciaire ont été faites par Sheikh Mussa Fazil Harerimana, le ministre de la sécurité intérieure, qui a déclaré : « Il n’y a personne qui soit au-dessus de la loi et nous ne tolérons pas l’impunité. Si elle croit que le fait  d’espérer devenir candidate présidentielle lui donne la licence d’enfreindre la loi, alors elle se trouve au mauvais endroit ».

Voici donc le bus de la campagne présidentielle de l’écurie de l’Obama rwandaise percuter de plein fouet le mur blindé de la machine RPF. Perte tragique pour le Rwanda… et, incidemment pour la RDC, où Victoire Ingabire allait également avoir un « effet Obama » par ses prises de position favorables à la RDC.

Mais, même sans à ce stade factoriser les poursuites judiciaires qui se précisent en son encontre ou la fin de non-recevoir qu’on opposerait à l’enregistrement de son parti et à son enrôlement comme candidate présidentielle, Victoire Ingabire avait-elle au moins une chance d’être candidate ?

Le Rwanda, qui se prête tous les 7 ans à la mascarade démocratique pour apaiser des crises de conscience des bailleurs de fonds, a mis en place un système lui permettant de limiter les dérives démocratiques dont les principes sont les suivants :

1) Interdiction formelle de toute référence à la tribu et à l’ethnicité alors qu’« à peine cachée sous l’interdiction des labels ethniques, la discrimination ethnique a émergé depuis lors comme la caractéristique du régime de Kagame, avec une ampleur sans précédent dans l’histoire du Rwanda » (René Lemarchand).

2) Paralyser anticipativement toute dissension au discours officiel avec l’accusation de « révisionnisme », de « négation du génocide » ou de « mentalité génocidaire ».

3) Aligner dans l’opposition des candidats-marionnettes avec des plateformes politiques ridicules comme « plein emploi, sécurité régionale et impôt progressif »—et le tout mis en scène dans une belle chorégraphie, avec des accusations pré- et postélectorales  de tentatives par le président sortant de  réduire au silence les candidats-marionnettes. Au cours des élections présidentielles de 2003, il y a eu ainsi deux candidats-marionnettes qui ont permis à Kagame, en toute transparence, de remporter 95% des voix.

4) Ça, c’est tout simplement le coup de maître de Kagame : des citoyens peuvent former autant de partis politiques qu’ils veulent mais, attention !, « avant l’enregistrement et l’inscription au scrutin, un parti doit d’abord se réunir en congrès, et le Parti Démocratique des Verts a à ce jour essayé de se réunir par cinq fois, mais a buté à l’inertie bureaucratique et, le 30 octobre, à la violence » policière.

La violence policière dont il est question ici consiste à planter dans la salle du congrès des agents de police en tenue civile prétendant être des membres du parti. Au beau milieu des discours, ces agents provocateurs causent de fausses bagarres sauvages entre eux. Comme par miracle, des policiers en uniforme cette fois, descendent instantanément sur les lieux de la bagarre pour remettre de l’ordre, en profitent pour matraquer tout le monde, pour faire accroupir en grappes les participants, et pour interdire sans autre forme de procès la poursuite du congrès.

Cette technique d’accroupissement des gens en grappes est une technique d’humiliation que les troupes rwandaises ont pratiquée non seulement au Rwanda mais aussi en territoire congolais sous leur occupation, selon Gérard Prunier, dans son livre Africa’s World War :

« kusongamana [swahili] : du verbe ‘kusongana’, ‘presser ensemble’. Une forme de contrôle de la foule utilisant l’humiliation […] dans laquelle les gens sont forcés de s’accroupir serrés les uns contre les autres pendant qu’un officier les intimide verbalement ».

On peut positiver comme on veut, mais il est clair que devant tous ces barrages, on ne voit comment Victoire Ingabire pourrait tirer son épingle du jeu.

Qui plus est, il semble que le régime RPF soit fatigué de jouer l’absurde mascarade électorale occidentale. Surtout que ce coup-ci, les candidats de l’opposition qui émergent ne sont pas de ceux qu’on peut faire danser la farandole. Ces gens réclament leur droit à la parole et insistent qu’il y ait une forte présence d’observateurs internationaux lors des élections du mois d’août. La perspective de voir des observateurs internationaux dans les bureaux de vote des collines où vivent des paysans hutu terrorisés est particulièrement inquiétante pour le pouvoir RPF.

Puisque le jeu démocratique normal est pipé d’avance dans un pays où une minorité traumatisée tient les rênes du pouvoir par la force des armes, il faudra donc changer les règles du jeu, réinventer les méthodes, attaquer l’« universalisme occidental » et reprendre un discours aux accents de l’Authenticité de Mobutu. Le Rwanda n’est pas la RDC où la communauté internationale impose la farandole démocratique.

L’indication de ce changement dramatique des règles est le communiqué en forme de philippique contre Victoire Ingabire publié par Servilien M. Sebasoni le 26 novembre à Kigali. Servilien Sebasoni n’est pas n’importe qui : ami de Kagame, très longtemps dans le cercle dirigeant du RPF dont il est le porte-parole, littérateur brillant, ancien professeur d’université, auteur, styliste, redoutable pamphlétaire et, donc, forte tête.

Voici ce qu’il dit de Victoire Ingabire (qu’il appelle avec mépris « la présidente virtuelle du Rwanda »), de son « universalisme occidental », de son insistance pour des « standards internationaux » aux élections d’août et de la nouvelle donne dans le « Nouveau Rwanda » :

« Cette incapacité de penser par soi-même, de dire autre chose  au lieu de piller systématiquement les lieux communs et les poncifs des ONG et autres « experts » consacrés, ce psittacisme est inquiétant pour une génération obligée d´inventer un avenir,  au moment où l´universalisme occidental prend eau de toutes parts et commence à être contesté et mis en doute  aussi bien en Asie qu´en Afrique et même à domicile, en Europe et en Amérique au sortir d´échecs retentissants.  Il y a, en effet, un paquet de livres qui sortent pour dénoncer la prétention du modèle occidental à l´universalité. Lisez vous-mêmes. Jean Ziegler, ‘La Haine de l´Occident’ (2008), Amin Maalouf, ‘Le Dérèglement du Monde’ (2009), Immanuel Wallerstein, ‘L´Universalisme européen : De la Colonisation au Droit d´Ingérence’ (2008), Georges Corm, ‘L´Europe et le Mythe de l´Occident’ (2009). Et bien d´autres.  Vous verrez que les fameux ‘standards internationaux’ dont on nous rebat les oreilles ne sont que des standards occidentaux. Il sera bientôt permis d´être un homme honnête sans être un homme occidental.

Toutefois, surfer sur les insuffisances du Rwanda nouveau et accompagner ses détracteurs pourrait être une stratégie choisie à bon escient. Il resterait néanmoins qu´un projet politique qui négligerait la créativité personnelle de la nation ne serait pas promise à durer, même s´il est vrai que les pays pauvres ont encore à satisfaire deux ‘électorats’, les donneurs d´aide et le peuple. Une telle anomalie ne saurait être que transitoire et ne pourrait servir de pacte durable entre l´homme politique et le citoyen ».

A la lecture de ce passage, à part l’admiration pour la beauté du style et les profondeurs abyssales de la réflexion déployée pour un simple pamphlet, j’ai tout de suite pensé à Mobutu et à ses grands théoriciens de l’Authenticité. Et ceux qui, comme moi, ont vécu sous le régime de Mobutu lors de sa lubie afrocentriste n’en disconviendront pas. Il y avait une rumeur persistante de la Radio-Trottoir selon laquelle c’était Barthélémy Bisengimana Rwema, citoyen rwandais et directeur du bureau du président, qui avait mis l’Authenticité dans la tête de Mobutu. La même rumeur prétend aussi que Bisengimana avait piraté ces idées de l’œuvre monumentale  de l’intellectuel rwandais, l’Abbé ALEXIS Kagame. Cela peut être rumeur ou spéculation, mais je vois une généalogie directe ici entre les idées de Mobutu et celles de Servilien Sebasoni… En tout cas, je tends à créditer la version de notre Radio-Trottoir car Mobutu n’avait guère le gabarit intellectuel pour opérer en deux temps trois mouvements la déconstruction de l’Occident et de produire de lui-même des concepts de haut vol telle l’aliénation culturelle comme vient de le faire Servilien Sebasoni.

Par-delà cette observation, c’est le rejet pur et simple de l’« universalisme occidental » et des « standards internationaux » comme une abjecte « IMITATION » (en majuscules dans le texte) qui est inquiétant. Ces gens ont déjà foulé aux pieds à plusieurs reprises des lois et des conventions internationales dans leur agression de la RDC. Qu’est-ce qui les empêcherait de s’inviter un jour à Kinshasa avec des politiciens congolais en chicane démocratique perpétuelle et de leur dire : « Voici, Messieurs-Dames, les nouvelles normes diplomatiques authentiquement africaines des Grands Lacs ! »

On ne sait comment les donateurs, qui doivent combler le déficit budgétaire électoral rwandais, vont réagir à ces nouvelles normes « authentiques » du scrutin du mois d’août. Le coût de l’organisation des élections est estimé à 7,7 millions de dollars, le Rwanda déboursant un peu plus de la moitié de cette somme et la communauté internationale occidentale vilipendée (la Grande-Bretagne, l’Union Européenne et la Hollande) s’assurant du reste.

Mais dans l’histoire récente du Rwanda, ce pays n’a jamais cédé aux pressions de la communauté internationale. De toute façon, août est juste au tournant, on verra voir…

Au fait, le gouvernement RPF pourrait tout aussi bien inviter les observateurs internationaux et ils n’y verront que du feu, tant la « peur » dont parle Victoire Ingabire est une véritable terreur du Dieu des armées dans les collines et on pourrait tout aussi bien envisager un scénario dans lequel ces paysans hutu voteraient Kagame en masse pour s’épargner des vengeances. C’est d’ailleurs ce que laisse entrevoir Servilien Sebasoni dans ce passage qui décrit comment les observateurs internationaux que réclame à cor et à cris Victoire Ingabire pourraient être simplement tournés en dindons de la farce :

« Le diable est dans le détail, dit-on; il est ici dans ce « réellement » que la candidate exige de gens qui, faute de connaître la langue et la culture du Rwanda, sont bien obligés d´assister pieusement à un culte qui leur échappe. Même s´ils n´observent que la partie du culte qui ne se déroule pas loin des routes asphaltées. L´ironie a voulu  qu´on les appelle « indorerezi » ou ‘badauds qui regardent sans  comprendre’ ».

Ce ne sont certainement pas des propos en l’air. Le régime rwandais a une maîtrise totale de son récit ainsi que du récit de toute la région des Grands Lacs. Un petit exemple : les troupes rwandaises occupaient la RDC pendant que la presse internationale parlait de guerre civile opposant des rebelles congolais au régime de Kinshasa.

La philippique en tous points magistrale de Servilien Sebasoni pèche par son caractère général d’attaque ad hominem et un relent tant soit peu sexiste que je décèle dans ce passage : « Victoire Ingabire Umuhoza […] cumule les jolis noms (Victoire, Don et Consolation) »

Si l’on se permet de traiter avec un tel mépris  une femme hutue de la valeur de Victoire Ingabire qui aspire à la magistrature suprême de son pays, que ne ferait-on aux va-nu-pieds qui parasitent nos collines du Nord-Kivu ?

J’ai un conseil pour Maman Victoire, Maman Don, Maman Consolation Ingabire :

Faites vos valises, prenez le premier vol de Kenya Airways à destination de Kinshasa (s’il n’y a pas de vol direct, allez prendre votre avion à Nairobi), on a besoin de femmes de tête comme vous en RDC. Changez de nationalité, c’est facile, vous verrez. Car vous n’avez aucune place dans le Nouveau Rwanda que dessine ce discours de Servilien Sebasoni. On a connu le même discours chez nous : c’était l’Authenticité. Comme au Zaïre dans le temps, il y a une escroquerie sémiotique à grande échelle qui s’opère dans votre ancien pays. Allez à Kin pour y devenir un autre genre d’Obama des Grands-Lacs ! Vous n’y ferez pas de politique, mais ce sera au moins un grand prix de Consolation pour votre retour raté au pays natal…

 

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Posté par rwandaises.com