France 24.com – Le Cameroun célèbre cette année un demi-siècle d’indépendance. Qu’est-ce que cet évènement évoque pour vous ?
Jean-Pierre Bekolo – Je suis né après les indépendances, je fais partie de la génération « Born Free » [« Né libre »]. En revanche, mes parents savent vraiment ce qu’est la liberté car leur génération a connu l’époque coloniale. C’est eux qui nous ont communiqué cette joie de la liberté.
Quand j’étais enfant à Yaoundé, j’allais voir le défilé sur la place de l’Indépendance avec ma famille. Et je me souviens qu’il était interdit de parler de ce qui s’était passé avant. J’étais petit et n’avais pas tout à fait conscience que mon pays était encore bancal.
F24- Et aujourd’hui, estimez-vous que le Cameroun est encore « bancal » ?
J.-P. B. – Je pense que l’indépendance a mal tourné. C’est une histoire qui n’a pas démarré, un faux départ. Si, 50 ans après l’indépendance, nous payons toujours avec des francs CFA, c’est parce que nous sommes dans une impasse.
Je nourris l’espoir que le monde ne reste pas tel qu’il est, du moins du côté africain. Le cinéma me permet de rendre cet espoir possible, de réinventer le monde, et surtout de casser celui qui existe.
Mon film » Le Complot d’Aristote » est un portrait doux amer de l’Afrique d’aujourd’hui. L’histoire se passe en Afrique du Sud : une bande de jeunes voyous se faisant appeller Van Damme ou Bruce Lee ont pris possession du cinéma de leur village pour y passer des films américains. Mais quand l’ancien propriétaire rentre au pays, il décide de se réapproprier les lieux pour y diffuser des films africains. Ces films, durant lesquels on peut aller aux toilettes en étant certains de ne pas perdre le fil de l’histoire, sont rejetés par des jeunes nourris à la culture hollywoodienne. Mais c’est une partie d’eux-mêmes qu’ils désavouent.
France 24.com – Quel regard les jeunes Camerounais portent-ils sur l’Occident ?
J.-P. B. – Pour moi, les jeunes Africains vivent déjà à l’heure de l’Europe et de la France. Quand je rentre au Cameroun, je constate que les gens savent s’il va neiger à Paris mais pas s’il va pleuvoir à Yaoundé car ils regardent le 20 heures de TF1 !
Une bonne partie de l’Afrique fonctionne sur le mode de vie et de consommation occidental, voire français. Grâce à cela, l’immigration est très facile : ils sont quasiment déjà français quand ils arrivent en France. Je ne suis pas sûr qu’un Finlandais soit aussi proche d’un Français comme peut l’être un Africain francophone. C’est la question de l’inné ou de l’acquis : est-on européen par le sang qui coule dans nos veines ou par ce que l’on apprend et par ce que l’on acquiert comme
culture ?http://www.france24.com/fr/20100218-afrique-independance-cameroun-cineaste-jean-pierre-bekolo-interview
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