(Syfia Grands Lacs/Rwanda) Au Rwanda, les enfants violés, souvent tenus au silence par leurs familles qui ont peur du déshonneur, traînent durablement les séquelles de ces agressions. Rares sont les structures qui prennent en charge psychologiquement ces jeunes victimes, surtout des filles, dont le nombre ne cesse d’augmenter.

Sur les bancs du hangar du service de consultations psycho-sociales à Muhima (Kigali) de nombreux adultes, surtout des femmes, et des enfants attendent d’être accueillis. Le docteur Jean-Paul Mahoro, clinicien en santé mentale au sein de ce service, qui consulte dans l’un des bureaux, dit recevoir au moins une victime de viol sexuel par semaine.
Les spécialistes en santé mentale et les défenseurs des droits de l’enfant s’inquiètent de ce que le nombre des enfants violés augmente mais que les cas connus restent rares. « Dans la plupart des cas, les viols sont faits par les gens proches de la famille. Cette dernière n’ose pas les dénoncer sous prétexte de ne pas causer la honte dans la famille. Les familles protègent ainsi le violeur au détriment de la victime », souligne Ignacienne Mukarusanga, psychopathologue.

Traumatisés tôt ou tard
Il y a deux ans, une petite fille de six ans de Gitarama a été violée par un homme en long tricot près de l’école : « Chaque fois qu’elle voit quelqu’un de sexe masculin, sale et en long tricot ou quelque chose qui y ressemble, elle s’affole et part en courant », témoigne sa maman. Les conséquences de ces agressions sexuelles peuvent être immédiates ou plus tardives : « L’enfant peut détester son père qu’il identifie à son agresseur ou sa mère parce qu’elle ne l’a pas protégée, explique Ignacienne Mukarusanga. À l’âge adulte, il peut considérer son corps comme un dépotoir et se lancer facilement dans la prostitution par exemple. Son corps est alors comme un instrument de plaisir. Dans l’autre cas, il peut ne plus avoir envie du sexe opposé ce qui peut le pousser à ne pas se marier ou avoir un foyer instable ».
Elle souligne aussi qu’à force d’être obligé de se taire dans une société qui cache de telles exactions, ces enfants ne viennent que tardivement consulter un médecin après avoir déjà beaucoup souffert du viol : dépressions, sentiments de dégoût de la vie, manque de confiance, maux de tête et peur persistante… : « Je suis une fille violée à cinq ans puis à 15 ans, mais qui n’en a parlé qu’à 20 ans », raconte le docteur Mahoro.

Punir le coupable ne suffit pas
Le pays ne dispose pas de centres spécialisés dans les problèmes de viol ; les centres de prise en charge s’occupent de toutes sortes de traumatismes. Ignacienne Mukarusanga estime qu’au lieu seulement de punir les agresseurs, « l’État devrait créer des centres d’accueil spécialisés qui traiteraient les conséquences sur ces enfants, mais aussi les coupables qui doivent également recevoir un traitement psychologique afin de pouvoir se décharger émotionnellement ».
La loi, relative au droit et à la protection de l’enfant contre les violences du 28 avril 2001, inflige des peines de 25 ans de prison à la perpétuité aux coupables de viol sur un enfant et une amende de 100 000 Frw à 500 000 Frw (175 à 870 $). Pourtant, les réparations matérielles régies par la loi semblent ne pas être effectives. « Les violeurs sont souvent des pauvres qui n’ont pas les moyens de payer », souligne Zaina Nyiramatama, de Haguruka, une ONG de défense des droits de la femme et de l’enfant.
« Les coupables sont emprisonnés, mais ils ne payent que rarement des réparations, ce qui laisse des tensions entre les familles des victimes et les coupables », confirme K. A. du ministère de la Justice. « C’était un pauvre berger qui ne reçoit que 5 000 Frw (9 $) par mois” explique le père d’un enfant violé à Muhanga. Pour autant, K. A. ne pense pas qu’il faille revoir la législation pour assurer la prise en charge psychologique des victimes.
Pourtant, d’autres juristes avancent qu’il est temps de développer une vision commune de la réhabilitation de la personne violée. « A cette heure, les hommes de loi et les médecins devraient s’asseoir ensemble et discuter de la manière dont l’État devrait les prendre en charge. Une amende de 100 000 Frw ne peut pas suppléer à toutes les conséquences psychologiques qui suivent la victime jusqu’à la mort », note un avocat de Kigali qui plaide, comme Ignacienne Mukarusanga, en faveur de la multiplication des centres de prise en charge psychologique pour les violeurs et pour les victimes.
Haguruka a enregistré 95 cas de viol en 2008 et 113 en 2009. Sans présenter de chiffres, l’Unicef reconnaît que « l’exploitation et la maltraitance sexuelles sont en augmentation depuis la fin du génocide et ciblent surtout les filles qui, à cause de la pauvreté, sont obligées de donner des faveurs sexuelles afin d’obtenir argent, protection… ». Le nombre des garçons violés reste de loin inférieur à celui des filles, indique aussi la police.

Article réalisé dans le cadre dune formation organisée
par Rwanda Media Strengthening Program’s Rwanda Now


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