UNE LETTRE OUVERTE AUX ORGANISATIONS INVITANTES

Mesdames, Messieurs,

Apprenant que votre institution a invité comme conférencier Monsieur Paul RUSESABAGINA, rendu célèbre par le film « Hôtel Rwanda », qui est une fiction basée sur un épisode du génocide perpétré dans notre pays en 1994, permettez-nous de vous adresser le présent message.

Sans intention de nuire à la  personne même de votre invité, et sans nous opposer à votre droit d’entendre en conférence toute personne qu’il vous semble bon d’inviter, nous aimerions vous faire part de quelques observations importantes.

Des observations sur le contenu illicite des déclarations publiques de Monsieur Paul RUSESABAGINA, un homme passé – par dérives successives – du rôle de héros cinématographique d’un génocide,  à celui de porte-drapeau de sa négation.

Vous le savez sans doute, dans de nombreux pays, la négation d’un génocide, la dénaturation de son déroulement factuel, la transformation des massacres d’innocents ethniquement ciblés qui le caractérisent, en un simple conflit entre deux camps ou en une guerre civile où les torts seraient « réciproques », la victimisation fallacieuse de ses auteurs et l’inversion des rôles, constituent des délits punissables, grâce aux dispositions légales destinées à protéger les victimes du génocide contre les « assassins de la mémoire ».(1)

Un dialogue qui en dit long avec un fanatique des théories « conspirationistes »…

Or, dans un récent dialogue publié sur le net avec un journaliste amateur de théories sur la « conspiration mondiale des ‘fausses vérités’ » (parmi lesquelles ce journaliste range le génocide anti-tutsi de 1994), ces tristes dérapages emplissent les paroles de votre invité(2).

M. RUSESABAGINA y annonce même que le génocide qui l’a rendu célèbre aurait toujours cours sur nos collines. Il n’aurait jamais été stoppé (3).

Toujours selon lui, « une milice gouvernementale non salariée » sévirait aujourd’hui au Rwanda au grand jour, « pillant, dévalisant et tuant » pour le compte du gouvernement actuel, dont M .RUSESABAGINA est devenu un opposant farouche, dans la foulée immédiate de sa célébrité au cinéma.

Le Président actuel du Rwanda ? Sachez donc que selon M. RUSESABAGINA, un grand nombre de miliciens Interahamwe, exécutants directs du génocide des Tutsis, n’auraient été que ses agents infiltrés. A commencer par Robert KAJUGA, chef suprême de la milice lui-même. Suivons cet échange.

– le journaliste : Comment est-ce possible ? Selon la description habituelle du génocide au Rwanda, les Interahamwe étaient une bande de tueurs hutus armés de machettes.

Rusesabagina : Comment cela fut-il possible ? Le problème est là. Comme Kagame avait infiltré l’armée de Habyarimana et les milices, partout… il (Kagame) avait sa propre milice au sein de la milice.

le journaliste : Etes-vous entrain de dire que Robert Kajuga figurait parmi ces infiltrés ?

Rusesabagina : Parmi beaucoup d’autres.

Il s’agit là d’un dialogue surréaliste, à mille lieux de l’histoire que des millions de spectateurs ont pu suivre dans les salles de cinéma du monde. A se demander si le héros incarné par l’acteur Don Cheadle dans le film « Hotel Rwanda », s’est vraiment fait expliquer le scénario par le réalisateur et son équipe. Plus loin dans la même interview, M.RUSESABAGINA et son interlocuteur présentent le génocide comme une opération qui fut mise en œuvre – pour le compte des Américains – par le général canadien Roméo DALLAIRE, ancien commandant de la mission militaire onusienne mandatée au Rwanda à l’époque…

C’est dire la distance qu’il convient de garder vis-à-vis de ses dérives. Des dérives dont la fausseté factuelle est parfaitement vérifiable à la lecture du moindre ouvrage un tant soit peu sérieux sur le génocide perpétré au Rwanda en 1994, comme à la simple consultation ou relecture des médias d’époque.

Motivations parasites

Le film « Hôtel Rwanda » décrivait avec émotion une réalité humaine qui fut présente dans le contexte du génocide : celle de ces personnes que nous appelons les « Justes » au Rwanda qui, n’étant pas eux-mêmes ciblées par le projet d’extermination, ont décidé de protéger leurs compatriotes menacés. Aujourd’hui à Kigali, une aile du Mémorial du génocide illustre leur courage, qui a pu aller jusqu’au sacrifice suprême.

Aux yeux du public rwandais qui porte le poids de la tragédie, le film aurait pu contribuer normalement à la compréhension d’un aspect édifiant de l’histoire du pays, si des motivations parasites n’avaient pas fini par entacher, puis submerger le témoignage.

Surtout quand le réalisateur hollywoodien du film en question, décida de présenter comme héros d’événements sublimés par la fiction, un gérant d’hôtel bien réel, connu de presque tout le monde à Kigali, nommé Paul RUSESABAGINA.

C’est suite à cette astuce de production que fiction et réalité ont commencé à se chevaucher,  au grand bénéfice d’un homme présenté d’abord comme « ordinaire » (c’est le titre de « son » livre, « Un homme ordinaire »), avant sa mutation surprenante en politicien passionné et en tribun négationniste.

Environ 1200 personnes réfugiées dans l’hôtel que M. RUSESABAGINA dirigeait pendant les trois mois du génocide, l’ont côtoyé tous les jours. Ils l’ont ensuite fréquenté au Rwanda, pendant le temps où il a continué à gérer son hôtel après le renversement du régime génocidaire. Jamais dans son pays, personne ne fut tenté de le prendre pour le Sauveur Désintéressé des réfugiés de son hôtel. Jamais dans son pays, nul n’eut l’idée de proposer son nom au registre du Mémorial des Justes.

Et pourquoi, pensez-vous? Simplement, parce que les miraculés de son hôtel – un genre de « clients » pathétiques talonnés par la mort – avaient du payer leur admission. (4). Voilà pour les faits, vérifiables auprès d’environ 1200 témoins toujours vivants… Qui au Rwanda ignore que pendant le génocide, pour être caché ou protégé , on pouvait parfois acheter sa survie en donnant de l’argent à ceux qui n’étaient pas visés par la chasse à l’homme?

La « béatification »  de M. Rusesabagina et ses faux miracles

Cela dit, à notre connaissance, M. RUSESABAGINA n’a livré personne aux miliciens du génocide. Il a poursuivi son travail d’hôtelier comme il le rapporte lui-même dans son livre, sur ordre de ses employeurs basés en Belgique.

Ajoutons que l’hôtel, qui hébergeait une unité de communication militaire de l’armée française, était devenu le relais obligé des transactions indispensables à la sécurité des expatriés occidentaux encore présents. Pas vraiment le lieu idéal pour des images d’un bain de sang !

Pour couronner le tout, garantie suprême, des  interventions de très haut niveau, en provenance de milieux officiels français, disposant de moyens pour faire efficacement pression sur les tueurs et retenir leur bras, ont été signalées et attestées. Y compris par Bernard Kouchner, l’actuel ministre français des affaires étrangères.

Tout cela pour dire, Mesdames et Messieurs, que l’Hôtel dont votre invité s’honore d’avoir couvert de son bras protecteur, n’était pas – et c’est une bonne nouvelle – vraiment ciblé par les tueurs.

Comme il l’explique lui-même tout au long de son livre, les relations avantageuses de M.RUSESABAGINA avec des architectes de l’hécatombe, aujourd’hui déférés devant le Tribunal Pénal International d’Arusha, ont certainement compté.

Pensez donc ! Selon un passage de son livre (p.154), ces relations se traduisaient par une proximité capable de lui permettre d’ « engueuler » – en pleine action – le général BIZIMUNGU lui-même, commandant en chef de l’armée génocidaire, en ces termes : « Ecoutez mon général, dis-je finalement, vous êtes aujourd’hui à la tête d’une bande de tueurs, de pilleurs et de violeurs. Etes-vous sûrs de pouvoir l’emporter ? ».

La béatification de M. RUSESABAGENA, héros livresque et de cinéma, a du comme on le voit, passer par ce genre d’invraisemblances. Pourtant, paradoxe parmi d’autres chez cet homme, RUSESABAGINA compte maintenant parmi les témoins favorables au Général BIZIMUNGU (5) dans le procès en cours au Tribunal d’Arusha. Mais là on est plus dans la fiction. Le héros est en phase réelle, il est sorti du film…

Il n’est pas facile de deviner tout ce qui motive la passion négationniste actuelle de M. RUSESABAGINA. En fonction de son parcours chahuté, on peut dégager des pistes. Celle-ci par exemple. Homme d’affaires avisé comme il ne manque pas de s’en féliciter, il tiendrait sans doute à rentabiliser financièrement une célébrité acquise sur un malentendu sublime : celui de sa confusion avec un personnage de fiction qu’il aurait pu être sans l’avoir été, un personnage transcendé en héros pour les besoins d’une superproduction made in Hollywood.

On remarque que la radicalisation de son discours révisionniste se fait par paliers. Ce qui est un signe probable de son instrumentalisation graduelle par des milieux sachant tirer profit de son besoin croissant de célébrité, pour le plus grand bien de son business à lui, et  pour leurs visées politiques à eux, dirigées contre les autorités actuelles du Rwanda.

« Genocide business »

Tout cela aurait pu passer pour une péripétie de plus dans ce que certains ont nommé le « genocide business ». Qui aurait pu se plaindre ? Le film a été bien accueilli dans le pays. A Kigali, certains s’y sont reconnus. Tout pouvait s’arrêter là, la bonne fortune de M. RUSESABAGINA ne gênant personne.

Mais tout s’est soudainement emballé quand le héros a cru pouvoir rentrer tour à tour dans le film et en sortir, au gré d’intérêts qui vont jusqu’à lui faire dire des choses inimaginables de la part de l’humaniste qu’il était dans le livre, bien avant sa transfiguration en politicien passablement confus. Et surtout en négationniste, bardé de tout le discours parsemé d’aveux involontaires de cynisme et de cruauté, qui est celui de l’occultation du génocide des Tutsis du Rwanda depuis 1994.

Il  y a la légende du « double génocide », ce serpent de mer… Qui voudrait que depuis la défaite des génocidaires en 1994, un contre-génocide de revanche se poursuive sans relâche au Rwanda depuis 15 ans, dans un pays dont la pacification et le modèle de reconstruction sont salués de toutes parts.

Quand le masque lentement se déchire

Parmi les signes récents de l’activisme débridé de M.RUSESABAGINA au service d’une cause douteuse, nous vous référons à ce titre de presse: « Rwanda: Les accusations de Rusesabagina contre le FPR ne sont que des ouï-dire », selon le procureur du TPIR Hirondelle News Agency,  29 juin 07, Lausanne…

Un article qui en dit long sur la manière dont commencent à être perçus les témoignages de M .RUSESABAGINA devant la justice internationale. Ajouté à certaines interviews et déclarations, ainsi qu’à d’autres dérapages (comme la fausse annonce par M.RUSESABAGINA, de sa rencontre récente avec M. Ban Ki Moon, Secrétaire Général de l’ONU), ce désaveu public devrait donner à la démarche politique de M.RUSESABAGINA, sa véritable dimension : celle d’une escroquerie morale et financière intéressée et indigne, sur le dos des victimes du génocide.

Concernant la situation dans notre pays après le génocide, voici pour finir un témoignage parmi d’autres, déjà vieux de trois ans. Il émane de l’UNION EUROPEENNE et dit ceci : « l’Union européenne salue (également) les efforts déployés avec succès par les Rwandais pour reconstruire leur pays après les terribles événements de 1994. Les progrès qui ont été réalisés au Rwanda au cours des dix dernières années et les efforts qui sont menés pour parvenir à la réconciliation nationale montrent que les Rwandais sont déterminés à ne plus jamais avoir à subir de telles atrocités » (8 avril 2004).

Nous aimerions formuler un souhait. Celui de voir les tribunes successives devant lesquelles M. RUSESABAGINA est invité à se produire, enfin se refuser à la célébration souvent innocente du négationnisme. Pour l’apaisement général. Pour permettre à un homme de plus en plus dépassé par la dimension de son imposture, de se libérer enfin d’une salle de cinéma dont il peine à trouver la clé de sortie. Et surtout pour le repos et la paix des âmes des victimes du génocide.

Nous vous remercions de votre attention.

Notes :

(1) Expression tirée du titre d’un livre de l’historien Pierre Vidal-Naquet. Compte tenu de la présentation parfois contestable de cet événement qui a bouleversé le monde il ya 13 ans à peine, permettez-nous de rappeler la nature des faits tels qu’ils ont été vécus en 1994 au Rwanda, et tels qu’ils ont été reconnus par la communauté humaine, l’Organisation des Nations-Unies en tête. Nous citons : « La commission d’experts formée par la résolution 935 du 1er juillet 1994 du conseil de sécurité conclue le 4 octobre 1994 qu’il y a eu génocide des Tutsi mais pas de génocide de Hutu ». (« 148. After careful deliberation, the Commission of Experts has concluded that there exists overwhelming evidence to prove that acts of genocide against the Tutsi group were perpetrated by Hutu elements in a concerted, planned, systematic and methodical way. Abundant evidence shows that these mass exterminations perpetrated by Hutu elements against the Tutsi group as such, during the period mentioned above, constitute genocide within the meaning of article II of the convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, adopted on 9 December 1948. To this point, the Commission has not uncovered any evidence to indicate that Tutsi elements perpetrated acts committed with intent to destroy the Hutu ethnic group as such during the said period, within the meaning of the Genocide Convention of 1948. ») (S/1994/1125) .

(2) http://www.globalre search.ca/ index.php? context=va&aid=5507. En dépit d’un léger haut-le-cœur, nous vous référons à cette interview qui baigne dans une indignité à peine croyable. D’ailleurs, peut-être que le fait d’exposer ce drôle d’entretien est aussi une bonne manière de dénonciation.

(3) Passage de l’interview précitée : « No. No one stopped the genocide. The rebels are still fighting when the movie ends »…

« Non, dit Rusesabagina, personne n’a arrêté le génocide. A la fin du film, les rebelles sont toujours en train de se battre ». Si le génocide continue, le film et le business aussi sans doute. Y aura-t-il une suite ?

(4). Dans son livre intitulé « Un homme ordinaire » (p. 118), Rusesabagina raconte tout cela à sa manière : « Certains de mes pensionnaires, les plus riches, vinrent me proposer de signer une lettre de garantie, s’engageant à payer la Sabena, une fois le calme revenu, et j’acceptai cette offre. Mais nous ne réclamions de l’argent à personne ». Et le lecteur de s’interroger. Pourquoi ces gens auraient-ils proposé de signer une garantie, alors que personne ne réclamait de l’argent à personne ? Et pourquoi Rusesabagina accepte-t-il ces reconnaissances de dette ?

(5) A comparer au passage du livre « Un homme ordinaire » qu’on trouve à la page 169. « Le général Augustin Bizimungu est aujourd’hui en prison. Il y restera probablement jusqu’à la fin de ses jours ».

 

Posté par rwandaises.com