Le Togo a célébré, mardi 27 avril, dans une relative confidentialité et une certaine cacophonie politique, le cinquantenaire de son indépendance. Le cas togolais n’est pas unique au sein d’une Afrique francophone qui est censée fêter, en 2010, le cinquantième anniversaire de son indépendance. Quatorze anciennes possessions françaises ont en effet accédé à la souveraineté en 1960, principalement pendant les mois d’été de cette année-là.

Les quatorze pays d’Afrique francophone ayant gagné leur indépendance en 1960 sont : le Bénin, le Burkina Faso, le
Cameroun, la Centrafrique, le Congo-Brazzaville, la Côte
d’Ivoire, le Gabon, Madagascar, le Mali, la Mauritanie, le Niger,
le Sénégal, le Tchad et le Togo. Le président Sarkozy n’honorera
aucune des invitations qui lui ont été faites d’assister aux
cérémonies de commémoration.

Malaise et indifférence dominent le jubilé des indépendances africaines Pareil jubilé pourrait servir de prétexte pour analyser le passé et interroger l’avenir. Mais, alors que les dates fatidiques approchent, cet anniversaire menace plutôt de passer inaperçu, tant il se heurte à l’indifférence ou suscite un malaise lié à des ambiguïtés coloniales jamais dépassées.

L’invitation faite par Nicolas Sarkozy aux armées des anciennes colonies de défiler sur les Champs- Elysées le 14 juillet focalise la controverse. « Un divorce ne mérite pas un défilé aux côtés des troupes françaises », raille Jean-Baptiste Placca, chroniqueur à Radio France Internationale. Bien des observateurs africains s’étonnent que le colonisateur célèbre la fin de sa propre oppression. « Faut-il rappeler les horreurs (…) qui ont jalonné l’occupation coloniale ? Que célèbre- t-on ? », interroge Joachim Vokouma, rédacteur en chef du site burkinabé Lefaso.net.

Certaines armées invitées à défiler ont participé à de sanglantes répressions dans leur pays. « Ce jubilé, renchérit Nabbie Ibrahim Soumah, juriste guinéen, risque d’être ressenti comme une double peine : après la colonisation hier, ce sera la célébration de la Françafrique, un pied de nez aux populations en proie à la misère (…). » L’ancien ministre Jacques Toubon, chargé par M.Sarkozy d’organiser les célébrations françaises, tente d’expliquer que le défilé africain sur les Champs-Elysées est seulement organisé en « hommage au sang versé » par les soldats coloniaux des deux guerres mondiales.

L’organisation, la veille d’un « mini-sommet » auquel Nicolas Sarkozy a convié les présidents des anciennes colonies, obéit, à l’évidence à des considérations plus actuelles. Il s’agit d' »assumer, expliciter et rénover » la relation entre la France et ses anciennes possessions, explique M.Toubon, lui-même figure du gaullisme africain.

Le fait qu’il ait qualifié la réunion des chefs d’Etat francophones à Paris de « familiale », le 1er avril lors d’une conférence de presse, a été mal perçu. « Il ne s’agit pas de paternalisme ni de nostalgie, se défend-il. Mais d’une proximité qui existe avec les peuples, pas seulement avec les Etats. » Le « secrétaire général du cinquantenaire » souhaite « mettre un peu de vérité et de complexité » dans une relation franco-africaine qui n’est « pas banale ». « La mentalité française sur l’Afrique, analyse- t-il, est un mélange de familiarité, d’empathie, et d’une forme de condescendance qui place l’immigration postcoloniale dans une position très particulière. L’histoire coloniale est une composante de l’histoire de France. Elle ne peut être que partagée. »

Dix mois après sa nomination, M.Toubon a été doté d’un petit budget interministériel de 16,3 millions d’euros (incluant des manifestations organisées en Afrique). Il n’a toujours pas obtenu de l’Elysée un clair feu vert pour ses initiatives, hormis le défilé du 14-Juillet et le concert africain qui doit suivre au Champ-de-Mars.

Il plaide pour que le cinquantenaire ne se limite pas à des commémorations, mais soit l’occasion d’annonces concrètes en matière de formation professionnelle des jeunes Africains, d’octroi de visas, de promotion de la diaspora africaine en France, et de « décristallisation » des pensions des anciens soldats coloniaux (égalisation avec les pensions servies aux Français).

Mais le calendrier politique français – débat sur l’identité nationale, élections régionales – a manifestement heurté ces ambitions. M.Sarkozy, qui devait lui-même lancer « 2010, année de l’Afrique » en décembre dernier, y a renoncé. Le sondage, publié par M.Toubon, qui évalue à 69 % la proportion des Français ne se sentant « pas concernés » par le cinquantenaire, pourrait conforter ce silence.

Sur le continent africain, l’embarras est aussi perceptible, même s’il est d’une tout autre nature. Le cinquantenaire gêne des gouvernants qui n’ont guère envie d’être confrontés à un bilan souvent calamiteux. Rares sont donc les pays à avoir programmé des cérémonies grandioses, comme l’a fait le Sénégal en inaugurant son Monument de la renaissance africaine, le 3avril.

Dans la plupart des Etats, quelques proclamations émues, un vague colloque d’historiens officiels et un défilé militaire feront l’affaire. La population, occupée à survivre, à bien d’autres soucis. Mais la presse et l’Internet se sont emparés du sujet sans la moindre circonlocution.
Si le rôle de la France dans l’octroi d’indépendances en trompe l’oeil est dénoncé, la prédation des richesses et de l’aide internationale par des élites africaines au pouvoir est largement stigmatisée.

« Qu’avons-nous fait de nos cinquante ans ?, se désole Abdou Rahmane Mbengue dans le quotidien sénégalais Walfadjiri. Voici un demi siècle que nous portons le bonnet d’âne de l’humanité. » Dans le quotidien Le Messager de Douala, l’historien camerounais Achille Mbembe renchérit : « Y a-t-il vraiment quoi que ce soit à commémorer ou faut-il au contraire tout reprendre ? »

La difficulté est accrue par le fait que les tenants actuels du pouvoir sont rarement les héritiers des combattants pour l’émancipation. Au Cameroun, où l’indépendance a été acquise au prix d’une guerre contre la France, sanglante mais totalement occultée, et de l’assassinat du leader nationaliste, Ruben UmNyobe, le cinquantenaire ravive de très douloureux souvenirs.

A Yaoundé, les militants qui tentent de perpétuer cette tendance politique ont, le 10 avril, qualifié de « provocation » la célébration par Paris des indépendances. « Il est pour le moins indécent que l’esclavagiste célèbre la liberté de l’esclave qu’il tient encore enchaîné », ont-ils protesté, fustigeant « l’arrogance du gouvernement français qui s’auto-élit ordonnateur des fêtes nationales de pays supposément indépendants ».

Seule la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo a opposé une fin de non-recevoir à l’invitation de Paris. « La Côte d’Ivoire entend célébrer le cinquantenaire seule, dans le cadre de sa politique nationale de refondation », a pris acte Jacques Toubon. M.Gbagbo, qui, élu en 2000 pour cinq ans, entame sa dixième année au pouvoir, se veut l’apôtre de la « seconde indépendance » de son pays. Un mot d’ordre qui, dans le contexte de la célébration du cinquantenaire, prend une singulière actualité.

Philippe Bernard
Article paru dans l’édition du 29.04.10


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