… L’entretien
que vous allez lire a été réalisé le
16 avril au Village Urugwiro (siège de la
présidence), à Kigali.
JEUNE AFRIQUE : Vous n’êtes pas
encore officiellement candidat à
l’élection présidentielle du 9 août,
mais il ne fait aucun doute que votre
parti, le Front patriotique rwandais
(FPR), vous investira lors de son prochain
congrès, à la mi-mai. Peut-on
vraiment parler d’une élection pluraliste
?
Pau l Kagamé : Elle devrait l’être,
il n’y a aucune raison pour qu’il en soit
différemment. Les partis légaux et
reconnus ont la possibilité de désigner
leurs candidats à travers un processus
démocratique, à l’instar de ce qui se fait
au sein du FPR, où tout militant peut
postuler s’il le souhaite. J’espère donc
bien qu’il y aura, le 9 août, plus d’un
candidat. Quant à l’élection elle-même,
nous la voulons transparente et irréprochable.
C’est dans notre intérêt.
Deux de vos concurrents potentiels,
Victoire Ingabire, des Forces démocratiques
unifiées, et Frank Habineza,
du Democratic Green Party,
se plaignent de multiples entraves à
leurs activités. Pourront-ils tenir leur
congrès et se présenter à l’élection ?
C’est ce qu’ils veulent et rien a priori
ne s’y oppose, à condition que le processus
qui conduit le simple citoyen à
pouvoir en définitive briguer la magistrature
suprême et qui s’impose à tous,
y compris à moi-même, soit respecté. Ce
processus oblige tout candidat à répondre
positivement à un certain nombre de
critères de moralité et de comportement
politique, passés et présents, afin que
nous n’ayons pas affaire à des criminels
déguisés en démocrates. Si Ingabire et
Habineza passent ces tests avec succès,
pourquoi pas ? Mais une chose est sûre :
c’est aux Rwandais qu’il appartiendra
d’en décider, pas à l’extérieur.
Considérez-vous ces deux personnalités
comme des opposants, ou comme
des ennemis ?
Mon opinion importe peu. Ce qui
compte, c’est ce que pense la grande
majorité des Rwandais. À leurs yeux, ces
gens n’existent pas. Faites un sondage
dans la rue, les noms et les partis de ces
individus sont inconnus pour une raison
simple : ce dont ils parlent, ce dont
ils se réclament, ce pourquoi ils disent
vouloir se présenter ne concerne absolument
pas la vie et les préoccupations des
Rwandais. La démocratie, le développement,
l’éducation, la santé, les infrastructures,
voilà ce qui compte et voilà
ce que nous faisons, chaque jour. Mobiliser
les médias et les ONG étrangers est
devenu pour ces personnes un travail à
plein temps, mais cela n’a strictement
aucun impact sur la population.
Lors de son retour à Kigali, le 16 janvier,
Victoire Ingabire a tenu, devant
le Mémorial du génocide des Tutsis
du Rwanda, des propos que vous avez
considérés comme inacceptables : « Il
y a aussi des Hutus qui furent victimes
de crimes contre l’humanité
et de crimes de guerre, qui ne sont
pas évoqués ni honorés ici », a-t-elle
notamment déclaré. Pourquoi ne les
considérez-vous pas comme une simple
expression démocratique ?
Ce n’est pas moi qui ai considéré ces
propos, que je n’ai d’ailleurs pas lus,
comme inacceptables, c’est le peuple
rwandais. En ce qui me concerne, ce
L’opposante Victoire Ingabire, le 7 avril, à Kigali.
BERTR AND GUAY/AFP VINCENT FOURNIER /J.A.
Paul Kagamé avec François Soudan.
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que dit ou ne dit pas cette dame ne
m’intéresse absolument pas, et je ne
cherche même pas à savoir ce qu’elle
raconte. Ne perdons pas notre temps à
épiloguer sur Ingabire : elle ne représente
rien.
Tout de même. À travers son cas
et l’enquête de police dont elle fait
désormais l’objet, c’est le problème
de la loi de 2008 réprimant l’idéologie
génocidaire qui est en cause. Un
texte dénoncé par Amnesty International
et Human Rights Watch comme
attentatoire à la liberté d’opinion au
motif qu’il serait rédigé en des termes
volontairement vagues ou ambigus
permettant de décourager toute
opposition politique…
Que l’on me cite un incident, un seul
abus, une seule violation des droits de
l’homme du fait de cette loi et je prendrai
en considération cette critique.
Mais j’attends encore. Après tout, ce
type de procès d’intention pourrait aussi
être fait à propos des lois européennes
ou américaines contre le racisme et l’antisémitisme,
mais ces ONG ne l’instruisent
pas parce qu’elles estiment que cela
va dans le sens de la justice. Dès lors,
pourquoi ce qui est jugé irréprochable
et nécessaire ailleurs ne le serait-il pas
en ce qui concerne le Rwanda ?
Le 7 avril, à l’occasion du seizième
anniversaire du génocide, au stade de
Kigali, vous avez déclaré ceci : « Qui
pourrait se permettre de donner aux
onze millions de Rwandais des leçons
sur leurs droits et ce qui est bon pour
eux ? » À qui faisiez-vous allusion ?
À tous ceux qui travestissent notre
histoire et nos réalités
pour dénigrer le
Rwanda et donner de
ce pays une mauvaise
image. Aucun pays au
monde n’a connu ce
que nous avons vécu
ici. Un million de
morts, quatre millions de réfugiés, soit
la moitié de la population de l’époque.
Et, seize ans après, une croissance économique,
une qualité de gouvernance,
des transformations sociales et une stabilité
interne unanimement reconnues.
Alors oui : qui, dans ces conditions, est
habilité à nous donner des leçons ?
Y compris des leçons de démocratie ?
Y compris des leçons de démocratie.
La démocratie n’implique pas l’existence
de conflits, c’est une affaire de choix
populaire, d’élections libres. C’est ce qui
se passe en Occident et c’est ce qui se
fait chez nous. La Grande-Bretagneet
les États-Unis comptent chacun deux
partis ultra-dominants, les autres
n’existent pratiquement pas. Ici, nous
avons neuf partis autorisés. Combien
nous en faudrait-il pour être qualifiés
de purs démocrates ? douze ? vingt ?
deux ? Tout cela n’a aucun sens.
Seize ans après, n’est-il pas temps de
tourner la page du génocide ?
Cela dépend de ce que vous entendez
par là. Nous faisons de notre mieux
pour dépasser cette tragédie et nous
ne voulons surtout pas être piégés par
notre propre passé. Mais si tourner la
page signifie oublier le génocide, c’est
évidemment exclu, sinon comment faire
en sorte qu’il ne se reproduise plus ? On
peut pardonner à ceux qui nous ont fait
ce mal, mais on ne peut pas l’effacer.
du 16e anniversaire du génocide.
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Le Haut Conseil des médias a décidé
le 14 avril d’interdire pour six mois
deux journaux proches de l’opposition,
Umuseso et Umuvugizi, pour
« incitation au désordre public ».
Pourquoi ces problèmes récurrents
entre le pouvoir et la presse ?
Nous n’avons pas de problème avec
la presse en général, mais avec une
certaine presse. La presse de caniveau,
la presse poubelle, dont le but est de
propager des rumeurs déstabilisatrices,
celle dont les intentions peuvent être
qualifiées de criminelles. En réalité,
ce genre de hooliganisme déguisé en
liberté d’expression ne devrait même
pas exister. Le Rwanda est un pays où
les journalistes étrangers peuvent travailler
sans aucune entrave, mais où la
presse nationale souffre d’un niveau de
professionnalisme très bas dont profitent
toutes sortes de manipulateurs en eau
trouble. Résultat : c’est un peu comme
si vous surpreniez des voleurs en train
de cambrioler votre domicile et qu’ils
vous répondaient : « Mais je ne fais que
mon job de voleur, que me reprochezvous
? » Leur job à eux consiste à inventer
des faux coups d’État, des fausses
arrestations, des fausses liaisons adultérines
entre personnalités, à spéculer
sur les grâces et les disgrâces, à semer
la discorde et la division. À nos yeux,
ce ne sont pas des journalistes, ce sont
des criminels. Ce peuple et ce pays ont
suffisamment souffert des torrents de
haine déversés par les médias du génocide
pour tolérer le retour de ce genre
de pratiques. Et ceux qui, à l’étranger,
voudraient nous pousser à les accepter
n’ont qu’à aller en enfer.
Si vous êtes élu le 9 août prochain,
ce mandat de sept ans sera, selon
la Constitution, votre dernier. Ne
serez-vous pas tenté de modifier la
Loi fondamentale pour pouvoir vous
représenter en 2017 ?
Étrange question. La Constitution
est là, c’est elle qui me guide. J’y crois
profondément. Pourquoi devrais-je vous
répondre ?
Ce que l’on a vu ailleurs en Afrique
ne devrait donc pas arriver au
Rwanda…
Just wait and see.
Je ne comprends pas.
Écoutez. Si je vous dis que je respecte
et que je respecterai la Constitution, ce
qui est et sera le cas, je sais que je ne
vous convaincrai pas. Après tout, ceux
qui ailleurs sur le continent ont modifié
leurs Constitutions ne disent pas autre
chose. Donc, wait and see. Tout ce que
je vous demande est de m’accorder le
bénéfice du doute : peut-être suis-je différent
des autres.
Kigali a connu en février et mars une
série d’attentats terroristes à la grenade,
lesquels ont fait deux morts et
une trentaine de blessés. Qui sont les
coupables ?
Nous sommes en train d’assembler
les pièces du puzzle, tant à l’intérieur
qu’à l’extérieur du pays. Peu à peu, des
liens s’établissent entre plusieurs pôles :
l’est de la RD Congo, l’Afrique du Sud où
se sont réfugiés des officiers en fuite,
d’autres pays de la région. Mais je vous
rassure, ce qui s’est passé n’affecte en
rien le niveau de sécurité et de stabilité
qui prévaut au Rwanda.
Les officiers en fuite dont vous parlez
ne sont pas n’importe qui. Il s’agit du
général Kayumba Nyamwasa et du
colonel Karegeya, qui ont tous deux
occupé des postes clés au sein de
l’armée et des services de sécurité.
Kayumba, particulièrement, a été
l’un de vos proches collaborateurs
avant d’être nommé ambassadeur,
puis de faire défection. Que s’est-il
passé ?
Il a été l’un de ceux qui ont participé
à la lutte de libération. Il lui a été donné
d’occuper certains postes à responsabilité .
Et puis, un jour, il a fallu qu’il
rende des comptes. Rendre des comptes
est chez nous une obligation fondamentale,
que ce soit en politique, en
économie, dans la gestion de tel ou tel
département, en matière de lutte contre
la corruption, etc. Certains, parfois,
refusent de le faire. Par orgueil, parce
qu’ils se sont enrichis illégalement ou
parce qu’ils ont quelque chose à cacher.
Certains se croient au-dessus de leurs
propres responsabilité s. Au Rwanda,
cela ne marche pas.
Le général Kayumba, dit-on, voulait
votre fauteuil.
Les tribunaux populaires fermeront après « l’examen du dernier cas et la dernière
sentence. Dans trois mois ? Six mois ? Nous verrons bien », indique Paul Kagamé.
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Ah bon ? Pourquoi pas. Mais il faut
tout un processus pour s’asseoir ici, le
sait-il ? On n’y accède pas par la trahison,
la manipulation, la tromperie ou
l’assassinat. Je ne suis pas cloué sur ce
fauteuil à vie. Quelqu’un d’autre, un jour,
s’y assiéra. Beaucoup en rêvent, je le sais.
Mais la personnalité qui me succédera
aura auparavant subi avec succès toute
une série de tests de la part du peuple.
Et il aura rendu des comptes.
Un coup d’État est-il possible au
Rwanda ?
Non. Pour une raison simple : le système
et les institutions que nous avons
mis en place, où chacun de nous est
responsable de soi-même et des autres,
rendent pratiquement impossible toute
prise du pouvoir par la force. La maison
Rwanda est solide, et ses fondations lui
permettent de résister aux tremblements
de terre d’une magnitude respectable.
Ces officiers dissidents constituent- ils
une menace pour la sécurité nationale
?
Non. Tout ce qu’ils peuvent faire, au
maximum, c’est utiliser quelques individus
pour réaliser des attentats à l’aveugle
qui n’ont aucune conséquence sur notre
marche en avant.
Ils se sont réfugiés en Afrique du Sud,
pays avec lequel le Rwanda n’a pas de
traité d’extradition. Avez-vous évoqué
leur cas avec le président Jacob
Zuma ?
Oui. Nous sommes en train de voir ce
qu’il convient de faire.
Vous venez de nommer un nouveau
titulaire au poste de ministre de la
Défense en la personne du général
James Kabarebe, ainsi que de nouvelles
personnalités à la tête de l’armée.
Y a-t-il un lien avec le contexte que
nous venons d’évoquer ?
Non, pas directement. Cela relève
plutôt du réexamen périodique et des
rotations régulières auxquelles nous
procédons dans ce secteur comme
dans d’autres. Comme vous avez pu le
constater, ce sont les mêmes personnes
qui passent d’un poste à l’autre. Il n’y a
pas eu de limogeage.
Le portefeuille de ministre de la
Défense est considéré comme plutôt
administratif, l’opérationnel étant du
ressort du chef de l’État-Major général.
Cela va-t-il changer avec l’arrivée
de Kabarebe ?
Vous faites erreur. J’ai moi-même
cumulé un moment les fonctions de président
de la République et de ministre de
la Défense. Croyez-vous que je l’aurais
fait si, comme vous le dites, ce poste
ministériel était moins important que
celui de chef de l’État-Major général ?
Les rebelles hutus des
Forces démocratiques de
libération du Rwanda, qui
évoluent dans l’est de la
RD Congo, représententils
encore un danger ?
Les FDLR n’ont jamais
été autre chose qu’une nuisance.
Ni plus ni moins. Ces groupes ne
menacent en rien notre développement
et notre stabilité, mais personne n’a envie
de voir une nuisance potentiellement
maligne prospérer à sa porte. Dès lors,
il faut bien qu’on s’en occupe.
Êtes-vous satisfait de votre collaboration
avec les autorités congolaises en
la matière ?
Tout à fait. Les résultats sont excellents.
Et vos rapports personnels avec le
président Joseph Kabila ?
Très bons. Nous avons développé une
vraie relation de travail et de confiance
mutuelle.
Il y a pourtant un grain de sable entre
vous : Laurent Nkunda. L’ancien chef
rebelle du Nord-Kivu est en résidence
surveillée à Kigali depuis plus d’un
an. Justice civile et justice militaire
se renvoient la balle. Kinshasa réclame
son extradition. Bref, votre ancien
allié est devenu bien encombrant.
Qu’allez-vous en faire ?
Nkunda n’est qu’une petite partie du
problème beaucoup plus général posé
au cours de ces dernières années dans
l’est de la RD Congo. Il fallait procéder
par étapes et résoudre d’abord tout ce
qui avait pu produire ce phénomène et
qui a porté atteinte aux relations entre
nos deux pays. Nous nous y sommes
attelés avec des résultats qui, je vous
l’ai dit, sont plus qu’encourageants.
Maintenant, Nkunda. Ce n’est pas à moi
de décider de son sort dans la précipitation.
La justice est là, et nous avons
notre temps pour trouver une solution
qui nous impliquera, qui impliquera le
gouvernement congolais et qui impliquera
Nkunda ainsi que ses partisans.
C’est un long parcours.
Les tribunaux populaires gacacas, qui
ont jugé en cinq ans plus d’un million
de personnes mêlées au génocide de
1994, devaient fermer leurs portes
au 31 mars. Une nouvelle fois, la date
de clôture a été repoussée. Jusqu’à
quand ?
Lorsque le dernier cas aura été examiné
et la dernière sentence rendue.
L’important, ce n’est pas la date précise,
mais le fait que le principe de
la clôture des gacacas ait été décidé.
Dans trois mois ? Dans six mois ? Nous
verrons bien.
La réconciliation franco-rwandaise,
scellée il y a peu par la visite
du président Nicolas Sarkozy à
Kigali, est-elle durable ?
Je le pense. Mais nous aurons à gérer
tous les aspects de cette réconciliation. Je
n’ignore pas qu’à Paris certains milieux et
certaines personnes, sans doute prisonniers
de leurs responsabilité s passées, n’y
étaient pas favorables. Ici même au Rwanda,
vous pouvez rencontrer des gens qui
vous diront que la France aurait dû rendre
des comptes, et que ces retrouvailles
étaient prématurées. L’important, c’est
que le processus soit honnête et sincère
de part et d’autre. Et je crois qu’il l’est.
Nicolas Sarkozy n’a pas prononcé
d’excuses officielles quant au rôle
de la France au Rwanda entre 1990
et 1994. Cela vous a-t-il déçu ?
Ce qu’il a dit à ce sujet n’était pas
très loin de cela. Dans le contexte, avec
les réticences et les oppositions qui, je
l’imagine, n’ont pas manqué de surgir en
France, c’était courageux de sa part.
Après trois années de rupture, qu’attendez-
vous de la France ?
Une refonte totale de nos relations sur
la base d’un partenariat fait de respect
et d’intérêt mutuel. En aucun cas une
répétition du passé.
Agathe Habyarimana, la veuve de
l’ancien président rwandais, a été
convoquée par la justice française
cinq jours après la visite de Nicolas
Sarkozy à Kigali. Est-ce un simple
hasard ?
Comment le saurais-je ? Si vous suggérez
par là que cette
convocation est intervenue
à la suite d’une
demande que j’aurais
formulée auprès du président
Sarkozy, la réponse
est non. Nous avons parlé
justice en général, sans
évoquer de cas particuliers. Cela dit, j’y
vois un signe du nouvel esprit positif qui
préside à nos relations.
Vous souhaitez que Mme Habyarimana,
contre laquelle vous avez lancé
un mandat d’arrêt international, soit
jugée. Mais jugée où ? en France, au
Rwanda, ailleurs ?
Ma préférence serait évidemment
que cette personne suspectée de participation
au génocide soit jugée là où
le génocide a été commis, c’est-à-dire
au Rwanda.
Mais si pour une raison ou
pour une autre, bonne ou mauvaise,
il ne pouvait en être ainsi, nous voulons
néanmoins que justice soit faite.
En France, par exemple, où le système
judiciaire, me dit-on, est indépendant et
professionnel. Eh bien, qu’il le prouve !
Agathe Habyarimana dit avoir peur
des escadrons de la mort que vous
pourriez décider d’envoyer en France
pour attenter à sa vie…
Qu’elle se rassure : la peine de mort
est abolie au Rwanda. Cela dit, ce fantasme
ridicule est intéressant. Si elle
pense qu’on peut l’assassiner, c’est sans
doute qu’elle a des choses à se reprocher.
Qui voudrait tuer une innocente ?
Le pape Benoît XVI a prononcé des
excuses publiques pour le comportement
de prêtres coupables de pédophilie,
mais le Vatican n’a jamais
émis le moindre regret pour les prêtres
et soeurs rwandais complices
du génocide et dont certains ont été
condamnés, notamment en Belgique.
Ni pour l’attitude générale de l’Église
catholique, pour le moins passive,
pendant ces événements tragiques.
Deux poids, deux mesures ?
C’est à l’Église catholique, au Vatican
et au pape de répondre à cette question
et de trouver la solution. Jusqu’ici,
ils ont refusé d’être tenus pour responsables
du comportement des évêques,
prêtres et soeurs rwandais coupables
d’incitation ou de participation au
génocide, au prétexte qu’il n’existe pas
de responsabilité collective. Pourtant,
c’est bien ce qui a été admis et confessé
publiquement dans le scandale des
prêtres pédophiles. Le pape est même
allé plus loin, en rencontrant des victimes
et en acceptant le principe de
compensations financières. Ici, rien de
tel. Ni honte, ni excuses, ni remords.
Au contraire : dès que vous évoquez ce
problème, c’est comme si vous vouliez
persécuter l’Église. Un million d’Africains
sont morts au cours d’un génocide.
L’Église y a eu sa part d’ombre. Et
alors ? Ce ne sont que des Africains…
Êtes-vous toujours hostile à la Cour
pénale internationale ?
Je continue de dire que de nombreuses
questions non résolues se posent à
propos de cette cour et du fonctionnement
de la justice internationale. Le
problème de la CPI dans son état actuel
est, qu’on le veuille ou non, un problème
de légitimité. Le Nord est-il fondé
à exercer son autorité judiciaire sur le
Sud et à s’exonérer lui-même de toute
poursuite, dans la mesure où il ne peut
se juger lui-même ? Nous, Rwandais,
savons d’expérience combien la justice
internationale peut être biaisée.
L’indépendance du Sud-Soudan
serait-elle une « catastrophe pour
l’Afrique », ainsi que vient de le
déclarer dans nos colonnes le président
tchadien, Idriss Déby Itno ?
Je ne dirais pas cela. Obliger le Soudan
à demeurer uni poserait autant de
problèmes que de l’obliger à accepter
la partition. Dans un cas comme dans
l’autre, c’est aux Soudanais d’en décider,
et il n’y a pas grand-chose que Déby
Itno ou moi puissions y faire. Si ce n’est
de gérer au mieux les conséquences
éventuelles de cette situation.
Quelle est votre position sur l’Iran et
sur le dossier du nucléaire iranien ?
Êtes-vous favorable aux sanctions
ou pensez-vous que Téhéran a le
droit de poursuivre son programme,
militaire ou non ?
Ma position est de ne pas en avoir.
Je n’ai ni informations particulières ni
influence sur ce sujet, et encore moins
l’envie d’être entraîné dans un débat
dont je ne maîtrise pas tous les aspects.
Êtes-vous un démocrate ?
Bien sûr. C’est tout le sens de mon
combat et de celui du FPR. Mais je
n’accepte pas que l’extérieur définisse
à notre place les contours de notre
démocratie.
Acceptez-vous la critique ?
Je la recherche. Et j’en tiens compte.
Chaque jour. Chacun est libre de me
dire ce qu’il pense.
Faites-vous des erreurs ?
Oui, cela m’arrive. Mais je me corrige.
Vous arrive-t-il de vous tromper sur
le choix des hommes et des femmes
qui vous entourent ?
Évidemment. J’ai fait confiance à
des collaborateurs, qui par la suite ont
abusé de cette confiance. J’ai nommé
des gens à des postes à responsabilité
en dépit des réticences manifestées par
mes propres camarades du FPR. Une
fois la trahison consommée, ces mêmes
camarades sont venus me dire : « Vous
voyez, on vous avait prévenu ! » Tout
cela est vrai. Mais où est l’erreur ? Dans
le fait d’avoir fait confiance, ou dans le
fait d’avoir trahi cette confiance ? Ce
n’est pas si simple. Je préfère croire que
ce que les gens font des postes qu’on
leur attribue relève de leur propre responsabilité
et non de la mienne. Dans le
cas contraire, je n’accorderais plus ma
confiance à quiconque, ce qui serait, en
termes de gouvernance, contre-productif.
Et la voie ouverte à la paranoïa.
Et dans votre vie privée, familiale,
avec votre épouse et vos quatre
enfants ?
Oh ! Je suis, là aussi, un démocrate.
Nous discutons beaucoup en famille,
nous débattons de tout, sans rien laisser
de côté. Tout est sur la table comme
on dit, rien ne doit être occulté. Il n’y
a pas de sujet tabou. Mais, à la fin, il
faut qu’une décision soit prise et que
chacun s’y tienne, quitte à la corriger
ultérieurement si nécessaire. Dans le
fond, entre la façon dont je gère ma
famille et la méthode avec laquelle est
gouverné le Rwanda, il n’y a guère de
différences…
Posté par rwandaises.com