Dans son dernier ouvrage, «Voyage en Postcolonie, le Nouveau Monde franco-africain», l’africaniste va à la rencontre de la nouvelle génération d’Africains, libre de tout lien avec l’ancien colon.
En 2003, Stephen Smith provoquait la polémique avec «Négrologie: Pourquoi l’Afrique meurt», réflexion sur la responsabilité des Africains dans le mal-développement de leur continent. Délesté de son rôle de journaliste, le nouveau professeur de la prestigieuse université de Duke aux Etats-Unis revient avec un récit de voyage à la parole décomplexée*, qu’il défendra lors du Salon africain du livre de Genève (dès le 28 avril).
Pour l’ancien responsable des rubriques Afrique au Monde et à Libération, la Françafrique et ses réseaux secrets, qui visaient à préserver les intérêts de l’Hexagone et sa mainmise sur ses anciennes colonies africaines, est bel et bien enterrée. Son dernier livre est un appel à regarder la nouvelle société africaine, qui évolue dans un monde multipolaire où, «entre la France et l’Afrique, chacun est désormais à sa place».
– Aujourd’hui, que reste-t-il de la France en Afrique?
Stephen Smith : Il demeure surtout ce que la nouvelle génération a bien voulu faire de l’héritage laissé par l’ancien colon. Ce qui était français au départ est devenu africain ou, plus spécialement, sénégalais, malien ou camerounais. Le fait que la France s’accroche encore exaspère d’autant plus les jeunes Africains que cela les empêche d’assumer leur «francité» en toute liberté. Or, le Français d’Afrique vit désormais sa vie en toute indépendance. De ce point de vue, la Françafrique n’existe plus, et ceux qui voient la France plus grande qu’elle ne l’est tardent à l’admettre.
– Mais il est impossible d’ignorer les «réseaux Sarkozy», qui ont notamment poussé la France à valider des élections à la transparence douteuse, comme au Togo ou au Gabon.
– Certes, alors qu’il avait promis la «rupture» avec la Françafrique, le président Sarkozy confie sa politique africaine à des «réseaux» gérés par le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant. Mais qu’est-ce qui importe? La fraude dont se rend responsable un régime africain ou la reconnaissance d’une élection par Paris? L’élection de Faure Eyadéma [ndlr: président du Togo] et d’Ali Bongo [ndlr: président du Gabon] a aussi été «validée» par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), par l’Union africaine, les Etats-Unis, l’Allemagne, la Chine, etc. Pourquoi la France serait-elle plus à blâmer que l’Afrique et la communauté internationale? Pourquoi se battrait-elle pour la démocratie à la place des Togolais et des Gabonais? Maintenant, on peut rêver à la conspiration étrangère jusqu’à la fin des temps. Mais ce qui était vrai avant la Guerre froide ne l’est plus du tout aujourd’hui. L’Etat franco-africain ayant été pour l’essentiel démonté, la Françafrique n’a plus les moyens de sa politique.
– D’après votre livre, en Guinée, au Cameroun ou au Sénégal, les indépendances n’ont pas été acquises de la manière souhaitée par les peuples et leurs dirigeants. Mais existait-il une «bonne» façon de décoloniser?
– Non, de même qu’il n’y a pas de «bonne» façon de coloniser. Les Britanniques appelaient creative abdication leur décision de couper le cordon et de laisser le soin aux élites locales d’inventer une gouvernance moderne à un moment où le rouleau compresseur de la démographie rendait cette tâche pratiquement impossible – ce dont on était bien conscient à Londres. La France, elle, est restée dans sa trame faussement assimilationniste, parce qu’elle n’a jamais sérieusement envisagé de devenir, comme disait de Gaulle, «la colonie de ses colonies» au nom d’une loi du nombre – la règle de la démocratie – qui allait à terme jouer contre elle. En 1960, elle a choisi de «partir pour mieux rester». Mais c’était un choix franco-africain. En retenant le colonisateur, la plupart des leaders africains, l’Ivoirien Houphouët-Boigny en tête, pensaient pouvoir le faire «payer».
– La célébration du cinquantenaire des indépendances serait donc une fausse «bonne idée»?
– Il y a une différence entre célébrer et commémorer. Dresser un bilan d’étape est utile. 1960 a marqué une césure parce que la souveraineté, même formelle, ce n’est pas rien. Mais cette drôle de décolonisation a donné naissance à une connivence d’élites institutionnalisée, dont faisaient partie nombre de dirigeants africains, souvent des anciens députés ou ministres en France. Chacun trouvait alors son compte dans la «coopération» avec Paris. Ce qui n’est pas, a priori, déshonorant. A l’indépendance, «l’assiette était vide», comme le constatait Houphouët-Boigny. Il faudrait être sourd au sort de l’Africain de base pour trouver le choix facile entre la dignité et la pauvreté… Valait-il mieux grandir dans la Guinée de Sékou Touré, ou au Nigeria, plutôt qu’en Côte d’Ivoire? Oui et non – on voit bien que ce n’est pas évident.
* «Voyage en Postcolonie, le Nouveau Monde franco-africain», Ed. Grasset, 2010.
lundi19 avril 2010 Sandra Titi-Fontaine/InfoSud
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